Les femmes : seules victimes du sexisme ? Dans le domaine de la santé, les hommes aussi sont touchés par les stéréotypes de genre, ainsi que le dévoilent Catherine Vidal et Muriel Salle dans un ouvrage qui bat en brèche les vieux préjugés.
La science et la médecine prennent souvent l’homme, jeune, occidental, de 70 kilos comme la norme pour tester des médicaments, des traitements médicaux ou des dispositifs de sécurité. Les vieux, les femmes, les hommes mesurant moins de 170 centimètres et les populations non-blanches présentant des caractéristiques physiques ou biologiques différentes sont considérés comme des «déviations» de la norme.
Sexisme chez les mannequins de simulation d’impact ?
Prenez le cas des Crash Test dummies, par exemple : lorsqu’ils sont mis au point en 1949 par l’armée de l’air américaine, ils reproduisent le corps d’une personne de sexe mâle, baptisée Sierra Sam. Normal. Les pilotes américains sont des hommes. Mais lorsque les Crash Test dummies sont testés sur des voitures civiles ? Il faut attendre les années 1980 (et les échecs des fabricants de voiture américain sur le marché japonais) pour que des mannequins de petits hommes, de femmes et d’enfants soient testés. Quid des bébés à naître ? Dès 1996, des chercheurs de l’Université du Michigan s’inquiètent des 13 millions de conductrice enceintes en Europe et aux USA. Ils créent un mannequin de test enceinte de 28 semaines : Mama 2-B (prononcer mama to be, «bientôt maman»). Mais, en 2012, ce mannequin n’est toujours pas utilisé dans les programmes européens ou américains d’évaluation des nouveaux véhicules… S’il faut en croire une étude datant de 2011, la cause numéro 1 de mortalité foetale est pourtant bien l’accident de voiture.
Expérience concernant le cancer de l’utérus… menée sur des hommes ?
Prenons un autre exemple de sexisme médical : les essais cliniques. Ils sont eux aussi effectués de préférence sur ce que les scientifiques définissent comme la «norme» (traduisez : le mâle), comme si les femmes –qui constituent pourtant la moitié de l’humanité– n’étaient pas des versions standards mais… des aberrations ? Des irrégularités ? Des anomalies ? Dans un ouvrage intitulé Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ?, deux chercheuses –Catherine Vidal et Muriel Salle, membres du Laboratoire de l’égalité– dénoncent le dysfonctionnement : «les maladies cardio-vasculaires étant perçues comme masculines, les femmes sont sous-représentées dans les essais cliniques et les recherches biomédicales. Les enquêtes menées au niveau international et en France montrent que sur l’ensemble des protocoles de recherche clinique, seulement 33,5 % des participants sont des femmes.» Problème : les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité des femmes. Autre exemple éloquent : «celui d’une étude financée par le gouvernement fédéral américain sur la relation entre obésité et cancer du sein et de l’utérus. L’étude pilote a été menée sur des hommes !»
Caissière ou maçon : qu’est-ce qui est le plus dur ?
Il serait temps d’en finir avec l’idée selon laquelle la physiologie masculine serait le modèle de référence pour la santé des femmes. Les différences entre les sexes existent, n’en déplaisent aux savants. «Les différences purement biologiques sont loin d’être seules en cause», rappellent d’ailleurs les deux chercheuses qui mentionnent l’influence des rôles sociaux et des activités professionnelles sur la santé. Prenez les postes de caissière, par exemple. «La pénibilité de ces emplois [qui occasionnent des troubles musculo-squelettiques, TMS] est souvent sous-estimée. Les critères de reconnaissance des maladies professionnelles sont fondés sur le travail masculin. On admet moins difficilement le préjudice subi par un salarié du bâtiment qui a passé sa vie professionnelle à porter des charges lourdes que celui d’une salariée ayant fait des ménages toute sa vie.» Mais les inégalités ne se mesurent pas qu’à la perception des risques ou des nuisances pour la santé. Elles se mesurent aussi à la façon dont les médecins et les soignants pratiquent la médecine… parfois au détriment des hommes eux-mêmes. En voici quatre exemples.
Infarctus : seuls les hommes sont stressés ?
Il est courant de penser que seuls les hommes peuvent avoir un arrêt cardiaque. C’est bien connu : ils ont des postes à responsabilité. Les femmes sont pourtant 56 % à mourir de maladies cardio-vasculaires contre 46 % des hommes. Fatigue, nausée, douleur à la poitrine ou à la mâchoire ? Si c’est une femme, on imputera ces maux à du vague à l’âme. Si c’est un homme, les soignant-e-s prendront ces symptômes au sérieux. «Une patiente qui se plaint d’oppression dans la poitrine se verra prescrire des anxiolytiques, alors qu’un homme sera orienté vers un cardiologue», résument Catherine Vidal et Muriel Salle. «Une étude du Centre de santé de l’Université McGill à Montréal (Canada) a révélé que les femmes qui arrivent aux urgences pour une suspicion d’infarctus sont moins vite prises en charge et diagnostiquées que les hommes. L’enquête menée sur plus de mille patient·e·s dans des hôpitaux du Canada, des États-Unis et de Suisse indique qu’en moyenne les femmes sont 29 % à passer un électroencéphalogramme en moins de 10 minutes, contre 38 % des hommes.»
Ostéoporose : seules les femmes ont des os fragiles ?
Longtemps considérée comme une «maladie de vieilles», associée à la ménopause, l’ostéoporose est sous-diagnostiquée chez les hommes. Pourtant «un tiers des fractures de la hanche chez les hommes est liée à l’ostéoporose. Les femmes ont certes un risque plus élevé de fracture, mais l’évolution médicale de l’ostéoporose chez les hommes est plus grave : une fracture de faible intensité chez une femme multiplie par deux le risque d’en faire une autre, alors que chez l’homme, le risque de refaire une fracture est multiplié par trois.» S’il a fait une chute et s’est cassé les reins, un homme sera encouragé à vite reprendre le dessus : «Faites de l’exercice». «Ce n’est qu’en 1997 que, dans les examens d’ostéodensitométrie, des normes de densité osseuse ont pu être définies spécifiquement pour les hommes», racontent les chercheuses qui déplorent l’impact des préjugés concernant l’idéal masculin. Un squelette fort dans un corps d’acier ?
Dépression : un truc de fille qui pleure ?
Bien que la dépression majeure touche, semble-t-il, deux fois plus de femmes que d’hommes (pour des raisons encore à explorer), elle frappe aussi les hommes mais passe inaperçue pour une raison toute bête : les hommes n’expriment pas leur souffrance en se laissant aller au spleen. lls préfèrent se mettre en colère, partir sur un coup de sang, crier, boire, conduire trop vite.
Leur mal-être, du coup, passe pour une forme d’agressivité perçue comme «normale » chez un mâle. «Les codes sociaux féminins et masculins influencent l’expression des symptômes. Les signes classiques tels que tristesse, pleurs, anxiété, perte d’énergie, troubles du sommeil, fatigue, irritabilité, stress, sont fréquents chez les femmes. En revanche, les hommes présentent davantage d’autres types de symptômes : colère, agressivité, consommation d’alcool et de drogues, comportements à risque, hyperactivité. La faiblesse émotionnelle, signe de vulnérabilité, n’est pas socialement admise chez les hommes.» Et tant pis si le suicide passe pour un accident en état d’ivresse.
Autisme : les garçons timides, ça n’existe pas
L’exemple en miroir de la dépression est bien celui de l’autisme, largement sous-diagnostiqué chez les femmes, parce qu’elles «cachent» leurs symptômes derrière une apparence de timidité… timidité perçue comme tout à fait normale chez une fille. «Le retrait sur soi, le défaut d’interactions sociales sont considérés chez une petite fille comme de la réserve et de la timidité. Ces mêmes attitudes sont davantage interprétées comme un indice de trouble de communication chez les garçons, car en décalage avec les représentations sociales des comportements des garçons censés être plus expansifs et dynamiques. En conséquence, l’autisme est sous-diagnostiqué chez les filles. Dans une enquête menée aux États-Unis sur un échantillon de 14 000 enfants présentant des troubles autistiques avérés, 18 % des filles avaient été détectées dès le plus jeune âge contre 37 % des garçons.»
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A LIRE : Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ?, Catherine Vidal et Muriel Salle, éd. Belin, 2017.
EN SAVOIR PLUS : «Pourquoi les mouches de labo sont-elles mâles ?»
A REGARDER : «Genre et santé, attention aux clichés !», vidéos de sensibilisation aux stéréotypes de genre dans le domaine de la santé, créée par l’INSERM.