Avant d’être mis sur le marché, un médicament est testé. Mais la plupart des laboratoires utilisent des animaux mâles. Résultat : les médicaments qui sortent fonctionnent moins bien sur les femmes. Parfois même, ils sont dangereux pour elles.
Rappelez-vous l’affaire Zolpidem. Lorsque ce somnifère est commercialisé en 1992, son mode d’emploi ne mentionne nulle part que la concentration du médicament dans le sang est à 45% supérieur chez les femmes. La dose prescrite est la même pour les personnes des deux sexes. En 2013, scandale : une étude révèle que les femmes ayant pris ce somnifère ont souvent des accidents de voiture le lendemain matin. La Food & Drug Administration (FDA) recommande que les femmes, désormais, prennent une dose inférieure de moitié à celle des hommes parce qu’elles éliminent moins vite les principes actifs du somnifère. Des chercheurs s’inquiètent : «Nous ignorons combien de médicaments, actuellement en vente, présentent les mêmes inconvénients» Lesquels sont métabolisés différemment par les hommes et les femmes ? Certains de ces médicaments ayant prouvé leur efficacité sur des hommes pourraient-ils avoir des effets inattendus, voire contraires, sur les femmes ?
«Question de sexe : la prédominance des mâles en laboratoire»
En août 2017 –alors que des chercheurs militent depuis plus de 10 ans pour la parité chez les cobayes–, le professeur Thomas Merritt met le feu aux poudres avec un témoignage publié dans The Conversation : «À mes débuts en biologie expérimentale, j’ai remarqué que les travaux de recherche portaient exclusivement sur des mâles. Je travaillais dans un laboratoire réputé qui étudiait des mouches. […]. Nous n’étions pas les seuls à réaliser nos expériences uniquement sur des mâles. La plupart des laboratoires avec lesquels je collaborais faisaient de même. Certains ne pouvaient même pas dire à quand remontait leur dernière expérience sur un sujet femelle. Coïncidence ou non, tous les laboratoires dont je me souviens étaient dirigés par des hommes.» En 2011, une étude (publiée dans Neurosciences & Biobehavioral Reviews) tirait déjà la sonnette d’alarme : lors des expériences portant sur l’efficacité des médicaments ou sur la nature de certaines maladies, les animaux testés ont 5 fois plus de chances d’être des mâles que des femelles.
Discrimination dans la recherche ?
En 2016, la revue Surgery publie une étude bien plus inquiétante encore : après avoir passé au crible 2 347 articles scientifiques (publiés entre 2011 et 2012), sept chercheurs de l’université Northwestern, à Chicago, établissent l’existence d’une discrimination sexuelle évidente au niveau de la recherche, particulièrement la chirurgie du coeur. Problème : les médecins n’ont pas suffisamment de données pour être en mesure de diagnostiquer convenablement une maladie cardiaque chez la femme. Concernant les accidents vasculaires cérébraux, qui sont beaucoup plus fréquents et mortels chez les femmes que chez les hommes, idem : les expériences n’ont été réalisées que sur des mâles. En conclusion de leur article, les chercheurs énumèrent trois conséquences, catastrophiques pour les femmes : «Premièrement disent-ils, certains médicaments ou traitements qui sont développés pour les deux sexes [mais testés uniquement sur des cobayes mâles], pourraient n’être efficaces que pour les hommes.»
Quand c’est bon pour les femmes, c’est éliminé. Quand c’est nocif… tant pis
Deuxièmement, plus embarrassant : «certains médicaments ou traitements qui fonctionneraient mieux sur les femmes que sur les hommes pourraient passer à la trappe parce que leur taux d’efficacité serait jugé moyen (calculé sur une population mixte).» Certains –n’ayant été testés sur des animaux mâles– pourraient même ne jamais arriver au stade des essais cliniques sur les humains. Troisièmement, «certaines thérapies pourraient avoir des effets indésirables sur les femmes. Par exemple les risques d’une réaction indésirable aux médicaments (ce qu’on appelle en anglais l’ADR, adverse drug reaction) sont 50% fois plus élevées chez les femmes que chez les hommes, avec des risques également plus élevés d’attérir aux urgences.» Faut-il le rappeler ? Entre 1997 et 2001, 80% des médicaments retirés du marché aux Etats-Unis le sont en raison de leurs effets secondaires sur les femmes. Tout cela parce qu’ils n’ont été testés que sur des animaux mâles. Mais pourquoi ?
«Les femelles présentent plus de variables que les mâles»
Pourquoi les labos écartent-ils les cobayes femelles ? Tout part d’une étude de 1923 : il y a près d’un siècle, des biologistes notent que les rats femelles courent dans leurs roues d’exercice plus souvent quand elles sont en chaleur, c’est-à-dire pendant l’œstrus (la phase fertile de leur cycle). Ces femelles débordantes d’énergie faussent les données, disent-ils. Pour les chefs de laboratoire, l’argument qui prévaut depuis 1923 tient donc en une phrase, formulée en termes polis : «les femelles présentent plus de variables que les mâles.» Mieux vaut les écarter des expériences, car elles compliquent inutilement le travail de la recherche qui consiste à identifier des schémas clairs… autant que possible. Partant du présupposé 1. que ce qui fonctionne chez des mâles est aussi efficace chez des femelles et 2. que les cycles hormonaux féminins embrouilent les résultats, ils font donc l’économie de la recherche sur les femelles. A quoi bon s’embarrasser avec des rates en rut ?
Les femelles, plus «imprévisibles» que les mâles : vrai ou faux ?
Les femelles sèment-elles la pagaille ? Cette idée reste si prégnante que lorsqu’ils pratiquent des test sur des cobayes femelles, les scientifiques les choisissent généralement ménopausés. Dans un article de Popular Science –qui dénonce cette pratique comme une forme de tricherie– on apprend que les labos utilisent plutôt les vieilles rates. «Dans le cas où il s’agit de femelles d’âge jeune ou moyen, ils effectuent les tests entre les règles et la période d’ovulation – période où les différences hormonales sont les moins fortes entre les sexes. En bref, les études gomment les spécificités liées au sexe féminin.» Et si ces pratiques relevaient d’une forme de machisme totalement dépassé ? En 2011, deux savants de Berkeley (Annaliese Beery et Irving Zucker) protestent : «L’idée selon laquelle les mammifères femelles sont intrinsèquement plus variables que les mâles et qu’elles gênent trop la routine de la recherche [avec leurs sautes d’humeur mensuelles] pour être inclues dans les protocoles sont absolument non-fondées».
Se pourrait-il que les mâles soient tout aussi sujets que les femelles à des modifications hormonales ou autres ? Peut-être. La sous-représentation des femelles dans la recherche ne serait donc due qu’à une forme de sexisme scientifique ? A voir.
La suite au prochain article.