«La Bimbo a choisi une carrière d’objet sexuel. C’est équivalent américain d’une geisha parce que, contrairement à ce que les gens croient, cela demande énormément d’efforts pour devenir une bonne Bimbo.» Dans une vidéo d’art dérangeante, Guillaume de Sardes explore la «bimbofication»
La vidéo s’intitule “BIMBO”. Elle dure trois minutes et trente secondes. Il s’agit d’un mode d’emploi : comment devenir une Bimbo. Le texte –récité par une femme d’un ton neutre, monocorde– explique en termes précis les différentes étapes de cette transformation, la bimbofication, qui voit des femmes devenir des babes, ou des bombes. On pourrait croire que c’est facile. Non. «Être Bimbo exige un gros travail sur l’attitude, les compétences et l’apparence. […] La plupart des Bimbos ont subi des implants mammaires, des piercings (langue, tétons, chatte) et se sont fait gonfler les lèvres (qui ressemblent d’ailleurs à des vulves). Elles prennent soin de leur apparence et passent énormément de temps à leur toilette. […] Au lit, les Bimbos ont appris et se sont entraînées. Elles se sont efforcées d’exceller dans les pratiques préférées de leur homme. Ce sont des expertes en fellation et elles savent faire des gorges profondes. Les Bimbos ont par ailleurs des anus extrêmement accueillants et souples qui sont comme des secondes chattes.»
Peut-on être trans et hétéro-cisgenre à la fois ?
Alors que la voix énumère, sans émotion, la liste des aptitudes et des qualités exigées d’une Bimbo, une jeune femme (Régina Demina, plasticienne et chanteuse avec laquelle Guillaume de Sardes a souvent collaboré), vêtue de rose, bouge lentement devant la caméra. Elle n’a rien d’une Bimbo, mais s’applique à faire semblant. Visage sérieux, presqu’un peu grave, elle désigne tour à tour ses différents attraits comme une hôtesse de l’air fait la démonstration des consignes de sécurité. Tout, dans cette vidéo, est décalé, à commencer par ce texte étrange. Guillaume de Sardes s’est contenté de le reprendre sur Internet, tel quel : «Il s’agit d’un texte copié/collé (c’est-à-dire dans sa totalité, sans aucune modification) d’un tumblr américain consacré à la bimbofication.» Historien de l’art, écrivain-photographe, Guillaume de Sardes s’intéresse depuis longtemps «au désir, à la sexualité et à ses marges.» Lorsqu’il découvre la Bimbofication, il y voit un phénomène social peu connu «au croisement de la femme-objet, du trans et du fétichisme».
Bimbofication : «une pratique de mauvais goût»
Tout le monde s’intéresse aux tendances underground : soirées latex bizarres ou cultures alternatives. Mais les bimbos ? «La bimbofication, parce qu’elle est une pratique jugée «populaire», voire de mauvais goût, n’a pas été beaucoup prise en compte par les artistes, à la différence de la transexualité, par exemple, qui est un sujet ancien et qui a déjà inspiré de grandes oeuvres, de la série «Place Blanche» de Christer Stömholm (dans les années 50) à «La piel que habito» de Pedro Almodovar.» Jugeant qu’il y a là comme une forme d’injustice, un impensé, Guillaume de Sardes enquête. De fait, le mouvement Bimbo génère des productions textuelles bizarres. Sur Qora, par exemple, on trouve cet échange : «Qu’est-ce qui peut pousser une femme à devenir une Bimbo ?». Réponse : «Une Bimbo est une femme extraordinairement attirante sexuellement et qui donne l’apparence d’être bête. Pourquoi une femme va-t-elle prétendre être bête ? 1. Pour être sous-estimée 2. Pour valider ce préjugé chez les hommes 3. Pour flatter les hommes 4. Pour que les hommes fragiles ne se sentent pas menacés.» Et tout ça pour quoi ?
Ca paye d’être une Bimbo
Parce que «ça paye d’être une Bimbo», conclut l’article sur Qora. C’est donc un choix réfléchi. Il s’agit d’un plan carrière. C’est d’ailleurs vers cette conclusion que la vidéo “BIMBO” nous entraîne : «Les Bimbos se photographient dans des postures sexuelles pour leur homme si cela lui plaît, parce que la dignité des Bimbos est moins importante que la satisfaction de leur homme. Même la voix des Bimbos et leurs attitudes conversationnelles sont modulées pour paraître soumises et drôles. Les Bimbos peuvent être intelligentes mais pas intellectuelles. […] Une bonne Bimbo, avec ses très gros seins, ses ongles parfaits, ses tenues à la mode (talons hauts inclus) et les compétences sexuelles qui vont avec, fait la fierté de son homme et a la valeur d’un symbole de réussite sociale pour lui. Dès que les gens la voient, ils comprennent que cet homme a suffisamment de charme pour qu’une femme se soit transformée en Bimbo afin de lui procurer de meilleurs orgasmes. Cela demande une forme de sacrifice de la part de la Bimbo […]. Mais la Bimbo fait ce choix et, si possible, obtient un excellent niveau de vie en échange.»
Ni éloge, ni critique
On pourrait trouver cela cynique ou cinoque. Guillaume de Sardes résume ainsi sa position : «J’ai tenté d’être neutre. Mon attitude a deux raisons : d’abord, je crois qu’un artiste doit témoigner de son temps, pas le juger. Il y a déjà des personnes dont c’est le quotidien : les juges, les prêtres, les idéologues, etc. Ensuite, plus fondamentalement, je trouve que l’ambiguïté est très intéressante artistiquement. Elle ouvre à la multiplicité des interprétations et conduit le regardeur à exercer son esprit critique. Je n’apprécie pas les oeuvres dont le sens est explicite. Elles me paraissent toujours maladroites. On les épuise vite.» Volontairement ambiguë, sa vidéo se veut aussi détachée, froidement analytique finalement, que les textes de Bimbofication. Ce qui fait tout son intérêt.
«Femme-trophée» cherche «homme faire-valoir»
Quand on demande à Guillaume de Sardes si lui-même a jamais eu la tentation de vivre avec une Bimbo, il répond : «Je reconnais que je préfère vivre avec une jolie femme talentueuse qu’avec une fille idiote et moche. Aussi l’idée de «femme-trophée» ne me choque-t-elle pas ; elle m’amuse-même. Je pourrais y souscrire pourvu que l’on s’entende sur ce qui donne sa valeur au trophée (une valeur qui ne se limiterait pas de manière caricaturale à la seule beauté). Mais tout ça est banal. Il y a évidemment dans l’idée de couple une dimension narcissique, un effet miroir : on se regarde, on se mesure, on s’estime à travers l’autre. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un trait masculin. On le retrouve pareillement chez les femmes. Il faudrait pour le nier être hypocrite ou totalement méconnaître le jeu social.»
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A VOIR : «Bimbo», écrit et réalisé par Guillaume de Sardes. Avec : Régina Demina. Voix : Marie Piot. Texte : tumbr.
Ce court-métrage a été présenté au ON/OFF festival de La Havane. Il n’est normalement visible que lors de projections en galerie d’art ou en festival. Guillaume de Sardes a accepté qu’il soit visible sur Les 400 Culs, pour une durée limitée (3 mois). Merci à lui.