«C’est comme les Pokemon, mais au lieu d’attraper les Pokemon, vous attrapez votre futur mari.» Depuis 2017, une application pour smartphone et iPad permet de capturer le coeur d’un mâle surnommé Pokekare : «Chéri de poche».
Créés par la compagnie japonaise Voltage, spécialisée dans «l’art et l’amusement», les «chéris de poche» constituent –à ma connaissance– les premières formes de vie sentimentales dans l’univers de la Réalité Augmentée.
L’expression Pokekare est un jeu de mot sur l’anglais pocket («poche») et sur le japonais kareshi («petit copain»), par allusion au «monstre de poche» (pocket-monster, abrégé en Pokemon). L’application s’appelle PokekareAR (ポケカレAR). Le terme «Réalité Augmentée» (AR) désigne les dispositifs –écrans de smartphone ou lunettes style Hololens– qui permettent de superposer à la réalité des éléments numériques calculés en temps réel. Jusqu’ici, ces dispositifs permettaient d’incruster des informations, du son ou des objets virtuels dans l’environnement du joueur. Maintenant, c’est un petit personnage masculin qui vient vous dire des choses gentilles et réclamer de la tendresse. «Il tient dans la poche […] et vous le sortez pour faire une pause au travail ou pour vous relaxer à la maison, dans un café… N’importe quand, n’importe où, il prend sur lui tous vos soucis», résume le dossier de presse.
«Prenez soin de lui tous les jours»
Lancée en décembre 2016 au Japon, l’application est désormais disponible en anglais, offrant au plus grand nombre la chance «de parler, de toucher ou de gâter» ce petit copain virtuel. Téléchargez-le, sur AppStore ou Google Play, pour 3,90 euros. Après quoi, réglez votre smartphone ou iPad en fonction “caméra” et visez une surface plane : sur le bureau que vous filmez, le petit copain apparaît comme une fée Clochette, vous salue, vous sourit, vous demande comment vous allez. Si vous filmez vos main, cliquez : le voilà qui se juche confortablement dans votre paume. Si vous filmez votre table de repas : il s’installe à l’aise entre le steak et les haricots. Vous pouvez le prendre en photo. Pour initier la conversation, il suffit de cliquer sur son corps. Si vous le laissez seul, après avoir dépensé beaucoup d’énergie à se déplacer un peu partout dans votre bureau ou votre chambre (indiquez-lui les directions en cliquant), le voilà qui entame une sieste ou, déçu, lâche «Au-revoir» avant de disparaître. Il s’agit de récupérer son coeur. Offrez-lui un cadeau (une fraise, par exemple). Il vous en coûtera une somme allant de 1 à 39 euros : le petit copain, en échange, se fendra d’une déclaration… «Plus vous devenez proche de lui, plus vous verrez son côté tendre et mignon, un aspect de lui qu’il cache jalousement», indique le mode d’emploi qui insiste sur l’importance d’en prendre soin : «Accordez-lui votre affection.»
Des héros de jeux destinés à «séduire» les femmes ?
L’application vous donne le choix entre une dizaine de personnages qui disent des choses différentes selon l’heure du jour. Ils possèdent, par ailleurs, une personnalité distincte, un style propre et des idiosyncrasies. Il y a Tsumugu, le type d’allure nonchalante, porté à la paresse, qui ne vous dit des choses gentilles qu’à contre-coeur (mais c’est un grand timide). Il y a aussi Scorpio, le borgne, qui vous rappelle à vos devoirs : «Oublie le travail, prends un peu de bon temps avec moi.» Depuis mai 2017, il y a Nomura, le beau gosse infatué, puis –depuis juin 2017– Ayumu, suivi en juillet de Soryu… En septembre une floppée d’autres (Sanada le guerrier, Saizo au masque de renard, etc) ont été rajoutés dont les répliques sont traduites, au fur et à mesure, en anglais. Chaque personnage vient d’un jeu connu de la firme Voltage (ボルテージ). Créée en 1999, basée à Tôkyô, Voltage est une usine de chéris numériques.
Voltage : les mille et un chéris
Avec ses 405 employés (1) et son chiffre d’affaire variant entre 8 et 10 milliards de yens par an, elle s’est imposée comme la firme numéro un au monde dans la production de jeux de Simulation amoureuse, qui proposent au choix 10 séducteurs avec lesquels former un harem. Chacun d’entre eux ne demande qu’à tomber amoureux de vous. Le but du jeu c’est en choisir un, puis suivre ce qu’on appelle sa «route», c’est-à-dire dialoguer avec lui au fil d’environ 15 épisodes qui s’achèveront sur deux ou trois fins, plus ou moins heureuses. Finira-t-il par vous déclarer sa flamme ? Parfois, le personnage meurt. Parfois, il s’avère que c’est un menteur. Ou qu’il est amoureux d’un autre personnage. Tout dépend des choix opérés au cours du jeu. Il n’est d’ailleurs pas rare que les joueuses rejouent la partie pour avoir toutes les fins et qu’elles bifurquent en cours de route, troquant un amoureux contre un autre, avec une sorte de sadisme amusé. «Tu m’ennuies, j’en prends un autre.» Ces personnages jetables participent-ils d’une forme de dissidence au Japon ? Pour beaucoup de joueuses, il semble en effet très jouissif de disposer des «chéris de poches» comme de distrayantes poupées mâles : on les achète et on les manipule, on les tient dans la main, on les convoque, on les renvoie. Qui a le pouvoir dans ce petit jeu ?
LA REPONSE MERCREDI PROCHAIN
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Site en anglais de Voltage.
Site en anglais dédié aux applications AR/VR de Voltage
Annonce de presse pour la version en anglais de PokekareAR, traduite «Let’s Snuggle AR» (snuggle signifie «se blottir», «se pelotonner» et par extension «faire une pause canapé»)
Site dédié à «Let’s snuggle AR» en anglais. La version Tsumugu,comme la version Scorpio, est téléchargeable sur AppStore ou Google Play et propose tous les autres personnages, au fur et à mesure qu’ils sont implémentés en version «chibi» (sous la forme de personnages mgnons et miniatures de 5 cm de hauteur).
NOTE 1 : le chiffre des 405 employés correspond à la date de l’interview, réalisé en juin 2018.
VIDEO DU JEU EN JAPONAIS