Les femmes au XIXe siècle étaient considérées comme attirantes en raison de leur beauté, qu’elle soit physique ou spirituelle. Au XXIe siècle, maintenant, il faut être «cul», sentir le «sexe» et afficher 1003 «conquêtes»… pour trouver bague au doigt.
Au XIXe siècle, «l’attrait sexuel en tant que tel ne représentait pas un critère légitime pour la sélection du partenaire.» Dans Pourquoi l’amour fait mal, la sociologue Eva Illouz explique comment le sex-appeal en est venu à désigner l’essence d’une personne et surtout à représenter le facteur décisif en matière de choix amoureux. C’est ce qu’elle appelle «la grande transformation de l’amour», c’est-à-dire le virage à 90° concernant tout ce qui touche au sexuel. La capacité à susciter l’excitation est devenue, dit-elle, «le critère central de sélection d’un(e) partenaire», au point de devenir l’équivalent d’une vertu morale. Peu importe qu’on soit trop maigre ou trop grosse. Si on est sexy, on dispose d’un atout supérieur. Sophia Loren disait : «Etre sexy, c’est une qualité personnelle, qui vient de l’intérieur. C’est quelque chose qui est en vous, ou qui n’y est pas, et qui n’a vraiment pas grand-chose à voir avec la poitrine, les cuisses ou la moue dessinée par vos lèvres.»
Sans sexy, pas de salut
Maintenant «être attiré sexuellement par quelqu’un est devenu une condition sine qua non du lien amoureux», dit Eva Illouz. Elle en veut pour preuve l’étonnante propension des médias à glorifier le «sexy», mot synonyme de «charme», ayant valeur de formule magique. Certainement, la femme idéale c’est celle avec qui tous les hommes se sentent «mâles». Comme s’il fallait justifier ce discours (encore trop osé ?), de nombreuses revues féminines mentionnent l’existence d’études pseudo-scientifiques, censées servir de caution. En 2010, il est ainsi possible de lire dans la presse des titres du style : «Vous êtes habillée élégante et sexy ? La faute aux ovules». On y apprend que «Les femmes en période menstruelle font davantage attention à leur look pour augmenter leurs chances de séduire.» Traduction : le sexy vient des gènes (ou des hormones, même chose).
«Lorsqu’elles ovulent, ces dames achètent des articles aguicheurs»
Détail révélateur : c’est une «étude marketing», réalisée par «l’école de gestion» de l’Université du Minnesota, qui le dit. Faut-il s’y fier ? Bien que l’étude en question présente toutes les apparences d’un discours vendeur «arrangé» en fausse-vérité, les journalistes se contentent en général d’en reproduire le contenu, sans aucune distance critique. «L’enquête visait à étudier les liens entre pulsions d’achats et facteurs hormonaux. Les résultats ont été publiés récemment dans le Journal of consumer research. Ils sont saisissants. Il apparaît en effet que, lorsqu’elles ont leurs périodes d’ovulation, les femmes s’habillent mieux. Elles achètent aussi des habits et des accessoires plus affriolants. Evidemment, pour attirer un partenaire. Mais pas seulement. Il s’agit surtout d’impressionner et de décourager les rivales. Tout cela se joue dans l’inconscient. Les résultats de l’enquête n’étaient pas les mêmes pour les femmes qui alors n’avaient pas leurs règles.»
Etre «plus désirable que la concurrence»
«Ce désir qu’ont les femmes, au moment-clé de leur fécondité, de choisir inconsciemment des articles qui mettent en valeur leur apparence est nourri par leur désir d’être plus séduisantes que leurs rivales, affirme Kristina Durante, l’auteure de l’étude, qui a interrogé 269 femmes. Si vous être plus désirable que la concurrence, vous avez plus de chances d’être retenue», résume-t-elle. Il est certainement bien pratique, pour les 269 américaines qui composent le panel, d’attribuer «la faute» aux ovules. Qu’en déduire ? Que les «élans d’achat portés par le cycle ovarien» (sic) passent mieux dans notre culture, parce qu’ils renforcent l’idée préconçue selon laquelle les femmes sont biologiquement «faites» pour séduire les hommes et se mettre en compétition les unes avec les autres, sur le marché très disputé des époux.
L’amour : de la «réaction physio-chimique involontaire» ?
Eva Illouz ne cite pas cette étude, mais se contente –en une pichenette– d’en dénoncer les présupposés. «Cette réduction de la quête amoureuse à une chimie cérébrale a pour résultat la disparition d’une conception mystique et spirituelle de l’amour et son remplacement par une nouvelle forme de matérialisme biologique», dit-elle. A ses yeux, les experts en marketing et les pseudo-spécialistes de la chimie humaine marchent main dans la main : ils oeuvrent au nom d’une société uniquement préoccupée de confort matériel et de «bien-être». Dans cette société-là, les individus ne sont que des consommateurs et leur quête existentielle peut facilement être ramenée aux dimensions d’une formule rassurante. «Lingerie sexy = production de phényléthylamine». Le bonheur à portée de bourse, donc. L’amour réduit à un mécanisme
Le désir comme métaphore sociale
Il faut se méfier des «explications scientifiques», ajoute Eva Illouz, car elles tendent à naturaliser des inégalités qui n’ont rien de naturel ni de normal. Dans notre société obsédée par le champ sexuel, les hommes, mais surtout les femmes, se doivent d’être sexy, désirables, attirant(e)s, excitant(e)s. Pourquoi ? Parce que le désir sexuel est devenu la métaphore opérative de la consommation. La collusion des termes appartenant aux registres a priori très différents de l’amour et de l’économie marquent bien cette «confusion», typique de notre époque : pour être sexy, il faut augmenter son «capital érotique» (sic), faire son «marché en ligne» sur des sites de rencontre et monter des «plans séduction» à coup d’achats ciblés : produits de beauté, suppléments vitaminés, articles de fitness et même… prothèses de sein.
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A LIRE : Pourquoi l’amour fait mal, Eva Illouz, éditions Seuil, 2012.