Transformer une femme en table ? Un homme en tabouret ? Pour Sacha Bel-Ami, animateur d’un atelier EroSphère intitulé «La quiétude du tabouret», rien de plus agréable que cette sensation : devenir immobile et servir d’objet. Se réifier, attendre… s’oublier.
Tout commence avec le jeu «Abracadabra». «Un jour de ma pré-adolescence je joue avec une copine de mon âge. Je suis le gentil chevalier et elle la magicienne. Mais soudain la magicienne devient irritable et farouche, pointe sa baguette magique (un petit tuteur pour géraniums) vers moi, et me dis “J’en ai assez de toi, et je suis fatiguée, abracadabra je te transforme en coussin.”». A sa plus «grande surprise», Sacha s’allonge illico sur le flanc, rassemblé en position fœtale. «Lorsqu’elle s’assit sur moi je découvrais ébahi que cela me provoquait une forte érection…» Enfant, Sacha Bel-Ami découvre sans le savoir l’érotisme du mobilier humain, –qu’on appelle forniphilie–, ainsi défini sur Internet : pratique SM qui consiste à utiliser quelqu’un (ou à se faire utiliser) comme un simple meuble. «C’est donc par le rôle d’objet que j’ai découvert ces pratiques, mais le souvenir refoulé n’a fait surface qu’il y a maintenant 7 ou 8 ans.» Depuis 7-8 ans qu’il ressuscite les émois de son enfance, Sacha se laisse transformer tour à tour en oreiller, en fauteuil ou en repose-pied humain, n’hésitant pas à renverser les rôles parfois. Jeudi 13 juillet (de 14h30 à 16h30) et samedi 15 juillet (de 19h30 à 21h30), il anime d’ailleurs dans le cadre du Festival EroSphère un atelier d’initiation à ces plaisirs étranges : forniphilie. Mais au fait d’où vient ce nom bizarre ?
Forniphilie : furniture-fornication
Le mot-valise est inventé par l’Anglais Jeff Gord à partir des termes «furniture» (meuble), «fornication» et «philie» (amour). Jeff Gord est ingénieur, spécialisé dans la transformation des débris en métal qui sont aplatis, compressés et transformés en blocs. Il est très excité à l’idée de transformer l’humain suivant les mêmes processus, ce qui explique pourquoi il compresse ainsi trois mots en un, comme il le fait couramment des modèles que lui confient leur corps… Jeff Gord affirme qu’il «rêve de femmes objets» depuis ses 5 ans. «J’ai grandi en pensant que j’allais devenir un fou jusqu’à ce que je découvre – dans le magazine Bizarre – les dessins de Stanton et de Jim, des artistes spécialisés dans les bondage “utilitaires” de filles transformées en guéridon et en chandelier. Plus tard j’ai vu le film Orange mécanique, avec ses femmes-tables et ses femmes-fontaines-d’alcool. Je n’étais donc pas le seul avec des fantasmes étranges!?» Il déménage aux Etats-Unis pour se consacrer tranquillement à ses expériences. Créateur de la maison d’édition House of Gord en 1989, Jeff met d’abord ses fantasmes par écrit avant de passer à l’acte en photos.
House of Gord : la maison des meubles qui vivent
Dans la Maison de Gord, aucun meuble n’est tout à fait immobile. Ça respire. Transformées en lustre, on retrouve des femmes au plafond. Un abat-jour fixé sur la tête et le corps pris dans un socle rigide, d’autres servent de lampes d’appoint avec une exemplaire disponibilité. Dans la chambre à coucher, il y a une femme-table de chevet. Dans la cuisine, une femme-bar américain : pratique. Dans le salon, une femme-canapé : pneumatique. Intégrées à la décoration d’intérieur de son agréable demeure, les modèles de Gord lui donnent un «standing certain» : «La valeur d’usage d’une femme nécessite tout de même quelques solides aménagements : il faut veiller à ce que son piédestal soit stable et confortable pour qu’elle puisse servir une heure ou deux sans souffrir. Un exemple ? Pour concevoir une femme-chaise, j’ai fait appel à un chirurgien spécialisé en orthopédie : il fallait que je puisse m’asseoir sur Blanche sans l’étouffer, ni lui couper la circulation sanguine, ni lui abîmer les lombaires.» Blanche, c’est le nom du modèle le plus populaire de Gord. C’est aussi un siège humain dont les formes rebondies s’adaptent parfaitement à l’usage que l’on désire faire d’elle : un excellent fauteuil de relaxation. Quand Gord prend place sur le confortable postérieur de Blanche, tout son poids se répartit sur la colonne vertébrale de la femme qui, pliée, coudée, enserrée, emboîtée, forme une sorte de cube sans visage et sans voix, méthodiquement instrumentalisée au service de son utilisateur.
Un univers d’objets qui respirent et ressentent
Considéré comme le père de cette pratique étrange qui consiste à transformer des humains en meubles, Jeff Gord n’est pourtant ni le premier, ni le seul à faire connaître ce fantasme bizarre. Au Japon, l’écrivain Edogawa Ranpo met en scène des pervers qui se glissent dans des fauteuils creux et jouissent de sentir de belles femmes s’endormir contre eux, alanguies entre les bras du fauteuil qui les serre, s’abandonnant au plaisir qu’elles n’identifient pas : la chaleur d’un meuble dont le coeur bat (La Chambre rouge). Dans l’après-guerre, le très célèbre écrivain Shozo Numa, auteur du roman-culte Yapou, bétail humain, se régale de descriptions étonnantes d’humains modifiés qui deviennent «par amour» des fournitures de lits. Pour Sacha, toute la beauté de ce fantasme réside là : dans le fait que les meubles palpitent. Leur peau réagit. Leur corps frissonne. Ce sont des meubles, mais animés. L’univers de Sacha est celui des choses qui sentent… Ce qui demande d’abord énormément de concentration. «Qui que soit» l’objet, ainsi qu’il le souligne, sa présence doit d’abord s’effacer. Afin que, lentement, l’humain disparaisse derrière la fonction qu’on lui attribue.
Renoncer à l’humain
«J’ai tendance à penser que cela doit durer et prendre son temps. Qui que soit l’objet, le protocole mis en place doit lui laisser le temps de lâcher prise et de se «résigner» à sa nouvelle condition avant que le plaisir ne commence à montrer son nez. Difficile de parler du dispositif adopté dans la mesure où celui ci dépend directement de l’objet que l’on va «créer». Si l’on prend pour exemple le cliché de la table basse, pour ma part je vais mettre en forme ma partenaire de façon confortable et tenable sur la durée. Puis je vais l’entraver dans cette position de façon à ce qu’elle se sente «condamnée à cette humiliante métamorphose». Et enfin la doter des accessoires et fonctions de l’objet voulu. Avec les plus aguerries on prend même parfois le temps d’abandonner le meuble à sa condition pendant quelques temps avant de commencer à en jouer.» Au bout d’un certain temps, l’humain –réduit à l’état de chaise ou de table– finit par plonger dans une sorte d’hypnose et ne fait plus qu’attendre. Vient alors le moment de s’en servir… de la façon la plus appropriée.
Attention de ne pas caresser les meubles
Sacha Bel-Ami insiste : le plaisir du meuble-humain doit dériver de son juste emploi. «Ainsi la table basse bien préparée ressentira un plaisir énorme à être –enfin– utilisée ne serait ce que pour se servir une tasse de café. Le tabouret sera excité qu’on s’y asseye, la table de chevet qu’on y pose la lampe…» Dans cet univers de formes fonctionnelles, les humains jouiront de n’être plus rien d’autre que les supports de gestes sans affects. Paradoxalement, dans un premier temps, il ne faudra rien leur faire… que les oublier. Pas question de caresser un canapé. «C’EST un canapé. Pourquoi est-ce qu’un canapé devrait m’exciter ?» Sacha précise : la seule excitation doit provenir du fait qu’on a «réduit son/sa soumis(e) à “ça”» Qu’entend-il par “ça” ? «Pire que soumis il y a l’esclave. Pire que l’esclave ? Il y a l’animal. Mais il me semble que la passivité et l’abandon de l’objet sont vraiment uniques.» Sacha s’enthousiasme : une fois passé ce stade magique de la métamorphose, tout deviendra possible. «Certains propriétaires de meubles resteront dans une pratique cérébrale, d’autres finiront par «abuser» de la situation pour le plus grand plaisir aussi dudit mobilier !»
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RENDEZ-VOUS au Festival EROSPHERE, du jeudi 13 au samedi 16 juillet 2017
Atelier «La quiétude du tabouret», jeudi 13 juillet (de 14h30 à 16h30) et samedi 15 juillet (de 19h30 à 21h30). Dans le cadre du Festival IN, qui se déroule durant trois jours avec des ateliers au choix, plus le dimanche avec un «module immersif».
Lieu : le festival se déroulera dans le 4è arrondissement de Paris, mais le lieu est tenu secret pour éviter les personnes qui viendraient non inscrites. L’adresse est dévoilée par courriel aux personnes qui réservent sur la Billetterie.
Déroulement de l’atelier : «Cette pratique étant à la fois nouvelle mais ancienne, comme un peu comme un «cliché inconnu», et quelque peu incongrue, je commencerai par une approche didactique et dynamique (représentations des participants, questions réponses, petite histoire de la pratique), avant de proposer à ceux qui en ont l’envie de constituer des binômes humain/meuble pour franchir le pas. Si l’atelier compte suffisamment de volontaires, je compte bien transformer l’espace qui me sera dédié en cafétéria éphémère et conclure l’atelier, (enfin, pour les humains !) assis sur des poufs confortables à touiller nos expressos en devisant comme si de rien n’était !» (Sacha Bel-Ami)