Co-écrite par une femme qui fréquente le milieu libertin depuis ses 18 ans, la BD “Une vie d’échangiste” énumère les avantages et les inconvénients des clubs privés. Il y est beaucoup question de liberté sexuelle car, oui, les clubs sont des lieux qui libèrent… de gré ou de force.
Avis aux femmes qui voudraient suivre des cours d’empowerment : le meilleur endroit pour devenir plus forte, c’est le milieu échangiste. Parce qu’il ne vous laisse pas le choix. Si vous ne dites pas NON, n’importe qui vous met son pénis dans la main (ou ailleurs).
Vous êtes souriante ? On vous tripote. Vous êtes « gentille » ? Vous voilà prise d’assaut. Il suffit de quelques soirées pour vous changer en super-woman. Cette leçon-là, la bien-nommée Sagace (auquel le dernier post était consacré) la transmet dans une BD grinçante et roborative – Une Vie d’échangiste –, en arrière-plan de laquelle se dessine un combat plus qu’acharné en direction de la liberté. Son parcours de vie n’a pas été un conte de fée. Ou plutôt si : finalement, Sagace a rencontré le prince orgasmant. Entretien.
Quand avez-vous commencé l’échangisme et qu’est-ce qui vous a amené à faire cette expérience ?
«J’ai découvert le milieu libertin avec le père de mon fils. Je l’ai connu très jeune, à 16 ans, il en avait 25 de plus de moi. Très vite, moi inexpérimentée, et lui impatient de découvrir, il a amené le sujet. Je ne connaissais rien, mais n’étais fermée à rien non plus. D’abord sur ce que recherchent quasiment TOUS les couples débutants, à savoir une autre femme pour un trio. Et comme ça n’existe pas ou presque pas dans la vraie vie, surtout à l’époque des débuts d’Internet, évidemment nous n’avons pas trouvé. Ca m’arrangeait et ça me stressait à la fois : je voulais lui faire plaisir, en même temps je sentais bien que la démarche était d’abord pour lui. Donc le temps de passer des annonces en sex-shop, comme ça se faisait, et de n’avoir de réponses que d’hommes seuls, à 18 ans il m’amenait en club. Moi 18, lui presque 44.
Pouvez-vous raconter cette première fois ?
«C’était à Toulouse, dans un grand sauna à côté de la gare. Je n’avais pas d’appréhension particulière. Je suis de nature à faire d’abord, puis rectifie le tir si besoin. Donc go.
Vous affichez 21 ans d’échangisme : avec toujours le même partenaire ?
«Non. Il y a eu trois hommes dans ma vie.
De 16 à 24 ans, j’ai d’abord vécu avec cet homme de 25 ans mon aîné. Il m’avait prise très jeune, pour me former à ses goûts. Peu à peu, sous couvert d’amour, il a voulu me mener à toutes les pratiques qui lui passaient par la tête : l’uro, les gang bang sur les aires d’autoroute, et pour finir la zoophilie. J’ai refusé. Je me suis toujours «cantonnée» à l’échangisme, pratique que je considérais, et considère comme l’extension des fantasmes partagés et «normaux» que peut avoir un couple. Le reste, non. Mais quand je refusais, c’était horrible : un mélange d’angoisse, la peur de le «déçevoir» et de dégoût.
Au bout de 8 ans de cette vie, alors que notre couple allait sur sa fin, nous avons fait un trio, chez un homme âgé de 20 ans de plus que moi, beau. Ca s’est très bien passé. Je lui ai plu. Il était gentil. Nous nous sommes revus. J’ai quitté mon premier partenaire six mois après cette rencontre. J’avais 24 ans, le nouveau en avait 44, presque 45. Mais ça n’a duré que 5 ans, parce que là… pareil. Mon deuxième partenaire était gentil, tant que ça allait comme il voulait. Nous n’avons jamais habité ensemble. Je l’avais connu avec l’échangisme, la messe était dite, on continuait avec ça. Et souvent. On couchait plus souvent avec des couples qu’ensemble... “On avait toute la vie pour baiser ensemble«. Ca ne me dérangeait pas plus que ça au début. Je rencontrais beaucoup de gens, je sortais, j’étais habituée à ce milieu.
Il avait 20 ans de plus, et du coup je ne me tapais que des vieux, qui eux aussi étaient avec des jeunes. A eux les jeunettes, et nous, les 45-55 ans. Ca, c’était chiant. Et là, absolument pas question de trios, jamais.
J’étais baladée au Cap d’Agde, où il faut être vu. Il y voyait les copains, les partenaires d’affaires etc. La soirée se passait à sucer des heures entières, pour attirer des couples, ou pour que lui fasse son spectacle devant les gens qui le connaissaient. C’était pas toujours drôle, loin de là.
Et donc, de bouts en bouts si je puis dire, ça a fini par terminer notre couple aussi, j’avais saisi le concept que comme le précédent, sous couvert d’amour, je servais de viande à échanger. Je l’ai accepté un temps, je pensais que c’était comme ça. En avançant en âge, je ne l’ai plus accepté. Mais ça a été très difficile aussi.
Aujourd’hui, avec mon nouveau partenaire, c’est très différent. Ca tient d’abord au fait que j’ai appris, donc je ne vais plus en club avec le même état d’esprit (celui de « servir »). Maintenant c’est moi qui me sers, ou plutôt je sers mon plaisir, et non celui des autres. Et pour la première fois, je suis avec un partenaire à mon écoute : nous sommes ensemble, nous venons d’abord pour nous. Il ne vient pas pour lui, je ne viens pas pour moi. Nous venons en couple, et ça ne m’était jamais arrivé. Une petite précision par ailleurs : notre entente sexuelle est parfaite. Les clubs ou les rencontres ne comblent pas un vide. C’est du jeu et du plaisir en plus, ça nous comble nous.
Qu’avez-vous appris grâce à l’échangisme ?
«L’échangisme m’a énormément appris. Enormément. Sur la nature des hommes, sur moi-même, sur la vie en général.
Pour les hommes, j’ai appris que c’est révélateur de leur nature, la vraie, sans filtre. Affectueux à la maison ? tendre en public ? Si ça se passe différemment en club, vous voyez son vrai visage. Si en club il vous laisse seule, vous oblige à coucher avec un homme qui ne vous plaît pas parce que sa femme lui plaît à lui, qu’il est là pour rentabiliser un max ses 40€ d’entrée et vous envoie à la pêche aux couples toute la soirée pendant que lui reste assis avec son Perrier, ce n’est pas bon signe du tout… Si en club un homme fait passer sa bite avant vous, ne vous leurrez pas sur sa nature profonde. Le club, ça rend un peu dingue, surtout les hommes qui sont venus pour eux, et pas pour être avec vous.
Un souvenir terrible me revient en mémoire : c’était avec mon second partenaire, lors d’une soirée ou il n’y avait personne qui me plaisait… Il avait repéré un couple. Mais je ne voulais pas. Et là il m’a hurlé dessus, hurlé, que je devais “le respect à celui qui paye”, je devais payer avec mon cul, c’était ça et c’est tout. Il y a des moments qui éclairent d’un coup une personne. On paye la leçon, mais on apprend.
Me concernant –et j’ai beaucoup payé de ma personne–, mes erreurs, ça m’a appris justement le respect de soi.
A un moment, il est impossible de ne pas s’apercevoir que l’on est plus qu’un objet. Alors on apprend à refuser, à dire non, tout simplement. Et du coup, au quotidien, on sait dire NON.
Voilà la leçon principale de l’échangisme.
Je n’ai pas à “subir” le sexe sous prétexte que j’aime ça. Il n’y a pas de culpabilité à avoir. Je n’ai pas à coucher ou à faire des trucs que je ne veux pas, en échange du plaisir que je prends une fois de temps en temps. Imaginez un homme à ma place. Aucun homme n’accepterait de se faire sodomiser sur un capot de voiture par un inconnu, pour payer la note d’avoir fait un trio sympa la veille. Ca aussi je l’ai appris.
Du coup, les clubs sont un peu devenus mon “révélateur test” de personnalité masculine, je trouve ça non seulement marrant, mais rapide et très efficace comme méthode.
Un petit tour là bas et ça m’aide à trier les infos : je vois comment se comporte l’homme qui m’accompagne. Très éclairant. Par ailleurs, je pense que la baise reflète la personnalité. On est comme on baise. Je le sais pour moi. Je le vois pour les autres. Ce que l’on est vraiment est dans le sexe. Il n’y a plus de faux-semblants dans la recherche du plaisir. C’est beau et ça fait peur parfois, on regarde au fond de nous mêmes, on voit l’autre. Le sexe, ça ressemble un peu à la question du sphynx. Des fois, on n’aime pas la réponse.
Les règles du jeu échangiste ne sont pas évidentes. Avez-vous commis des erreurs au début ?
«L’erreur suprême est de faire des choses dont on n’a pas envie. Mais je n’ai jamais regretté d’être allée en club, jamais. On peut se forcer un peu à aller voir, à faire l’effort de découvrir, ce qui n’engage à rien par contre, surtout que c’est très dommage de ne pas y aller par principe. Je regrette juste d’y être allée avec les mauvaises personnes.
En quoi la fréquentation des clubs rend-elle une femme plus forte ?
«Le libertinage redonne aux femmes l’envie d’être femmes. Elles perdent souvent cette envie de leur propre fait, avec la naissance des enfants. Elles se sentent d’abord mères, leur mari peut aussi d’abord les considérer ainsi. Et c’est fini pour la féminité, fini pour le sexe. Il y aura sans doute un sexe d’hygiène, de purge j’irai même à dire, mais d’envie réelle plus, ou beaucoup moins.
Les clubs réveillent tout ça. Les femmes sont d’abord obligées de s’apprêter pour les sorties : il y a un rituel de séduction qu’elles sont obligées de s’imposer, un effort de mise en valeur qu’elles ne font souvent plus ni pour elles mêmes, ni pour leur couple. Donc ça remue tout ça. Epilation, dessous, commandes sur le net, il y a déjà une excitation de préparer. Elles peuvent retourner chez le coiffeur, alors que ça fait des années que ça n’est plus le cas, épilation, teinture, tenue etc. Un peu comme pour un entretien d’embauche en somme. Le club devient l’amant du couple.
Après, elles se voient dans les yeux, séduisent d’autres hommes que le leur. C’est valorisant, il y a d’autres femmes en présence, et elles sont choisies, elles plaisent. C’est excitant pour elles, il y a de la nouveauté, c’est une aventure. Elles ne sont plus juste mères ou épouses, elles redeviennent une femme uniquement.
Par ailleurs, pour être franche, toujours la même paire de fesses conjugales pendant 20 ans sans jamais rien voir d’autre, c’est plutôt rude. Fidèle oui, amoureux oui, en prison, non merci.
Si le mari-compagnon est “d’accord” pour la partager avec un autre homme, qu’elle puisse choisir qui lui plaît, qu’elle puisse se laisser aller à ses fantasmes, et que les hommes soient là pour la satisfaire, lui faire plaisir, la respecter, être à son service, c’est un merveilleux moment. C’est une preuve d’amour, de confiance, de respect de la part d’un homme. Les hommes n’aiment pas partager trop souvent. Taper dans la femme des autres oui, qu’on lorgne sur la leur, non.
En quoi est-ce que l’échangisme change les hommes ?
«Pour les hommes, c’est un peu pareil. Ils sortent de leur rôle de pères, de conjoint. Ils sont de nouveau des hommes qui doivent séduire, faire attention aux autres femmes. Il peut y avoir également une préparation à la séduction : épilation, teinture, achat d’une nouvelle chemise etc. Certains s’en foutent totalement, ils arrivent habillés comme pour une pétanque/grillade, et là aussi tout est dit… Pas de préparation, on se demande même s’ils ont le cul propre.
La concurencce est rude, et réelle. TOUS les hommes sont d’accord pour avoir une aventure en club, les femmes c’est largement pas vendu.
Les hommes redeviennent séducteurs, entreprenants mais pas trop, les autres hommes regardent, il faut bander, il faut assurer. S’ils viennent vraiment pour de l’échangisme, ils font confiance à leur femme, ç’est un moment pour eux, à nouveau. S’ils baisent souvent, ils se sentent forts, virils, sûrs d’eux. C’est bon pour le moral et l’estime de soi il va sans dire.
Pourquoi parlez-vous uniquement des clubs dans la BD Une vie d’échangiste ?
«Je considère les clubs comme le seul lieu de liberté sexuelle à l’heure actuelle, disponible pour tous, pour tous les niveaux sociaux, pour tous les revenus. Ce sont vraiment des lieux de démocratie sexuelle.
Mais bien sûr, il sera question d’autres formes d’échangisme dans le tome qui suivra, en particulier les soirées privées, qui seront l’occasion d’aborder les pratiques «particulières». Ces pratiques «particulières» ne se trouvent pas dans les clubs, qui sont des lieux dédiés au sexe «classique». Dans les soirées privées, toutes les tendances peuvent se manifester. Ce sont des microcosmes singuliers où beaucoup d’autres choses se jouent, en «vase clos» et souvent à des degrés d’intensité supérieure. C’est plus fort. Mais, bien sûr, le deuxième tome ne verra le jour que si le premier se vend bien…
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A LIRE : Une vie d’échangiste, de Sagace et Monsieur le chien, éditions Carabas, sortie le 7 juin 2017.