Il existe des tasses appelées boob mug : "tasse à nibards". Il existe aussi des coupes de champagne modelées sur des seins de top-modèles. Serait-ce le comble du snobisme que de verser dans le mauvais goût ?
Certaines coupes à vin, dans la Grèce antique, prennent la forme de seins ornés en leur extrémité d’un téton et généralement ornées de figures mythiques liées à la fertilité ou à la lactation. Les plus anciennes datent du Ve siècle avant J.-C.. «On les appelait mastos (μαστός = sein). Au XVIIIe siècle, ils auraient inspiré la création d’une porcelaine baptisée “bol-sein” dont la légende dit qu’il aurait été modelé à l’image du sein gauche de la reine Marie-Antoinette.» Johan Mattelaer, urologue à la retraite, collectionneur de phallus et auteur de nombreux livres consacrés aux organes génitaux publie sous le titre Forbidden Fruit un ouvrage consacré aux détournements des seins, des sexes et des testicules dans l’art. L’occasion de brasser une infinité d’informations richement illustrées parmi lesquelles – au hasard – il relate à titre d’anecdote que le sein de certaines femmes célèbres a parfois servi de coupe à boire.
Rien de nouveau sous le soleil !
« Nihil nove sub sole !, remarque Johan Mattelaer. Pour fêter ses 40 ans, en 2014, la mannequin Kate Moss aurait signé un contrat avec un célèbre restaurant londonien pour qu’une coupe de champagne soit créée à partir d’un moulage de son sein gauche. C’est l’artiste Jane McAdam Freud, fille du peintre Lucian Freud et petite fille de Sigmund Freud, qui se serait chargée de cette création.»
De Claudia Schiffer à Kata Moss
En 2008, une autre mannequin –Claudia Schiffer– avait déjà «prêté» la silhouette stylisée de son sein gauche à Karl Lagerfeld pour que celui-ci fasse produire une coupe de champagne en porcelaine destinée à la marque Dom Perignon (1), ce qui est très étrange car les coupes trop évasées ne permettent pas de garder le pétillant d’un alcool. Mieux vaut utiliser une flute, voire un verre-tulipe aux bords resserrés vers le haut. Mais qu’importe le flacon… pourvu qu’on ait une femme de légende sous les lèvres, et plus précisément son sein gauche, par allusion à celui de Marie-Antoinette.
La Jatte-téton de la dernière reine de France
Concernant la légende Marie-Antoinette, il y a une part de vrai : le Bol-sein, existe. On peut même l’acheter sur le site de la Manufacture de Sèvres sous l’appellation «Jatte-téton» : «il fut créé en 1787 pour une commande royale destinée à la Laiterie de Rambouillet, lieu d’agrément offert par Louis XVI à la reine Marie-Antoinette. […] La reine se servait de cet incroyable objet pour boire le lait, symbole de la fécondité.»
Vierge de Sèvres, corset et minerve
En 2011, le corsetier Hubert Barrère s’en inspire pour créer une étonnante tenue – la Vierge de Sèvres – une minerve couverte de petits seins imitant le Jatte-téton de Marie-Antoinette. La minerve se porte avec une robe largement échancrée. Elle prend pour modèle un tableau de la vierge allaitante, datant d’environ 1452, dont le modèle aurait été «la belle Agnès» –Agnès Sorel– qui prenait des bains au lait d’anesse afin d’aviver l’éclat de sa peau blanche.
La Dame de beauté, créatrice des décolletés
«La mode qui consistait à montrer un sein aurait commencé au XVe siècle, explique Johan Mattelaer et aurait été initiée par Agnès Sorel, maîtresse du roi Charles VII [celui qui eut le triste privilège de trahir et d’abandonner Jeanne d’Arc aux Anglais]. Les fins vêtements qu’elle portait à la Cour de France dévoilaient en effet souvent un ou deux seins. Ce dont se serait inspiré le peintre Jean Fouquet pour représenter la Vierge […]. De fait, il devint coutumier pour les femmes de l’aristocratie [et pour les courtisanes] de se faire immortaliser avec un ou deux seins nus.»
Le sein de Pauline
Pour en revenir au Bol-sein de Marie-Antoinette, il est loin d’être isolé. Joséphine de Beauharnais, épouse de Napoleon ; Diane de Poitiers, maîtresse de Henri II ; Madame de Pompadour, favorite de Louis XV ; Madame du Barry, autre favorite de Louis XV sont quelques unes des innombrables beautés à qui la légende prête d’avoir été transformées en chopine ou en coupe. La soeur de Napoléon, Pauline Borghese aurait fait faire deux coupes en bronze doré d’après moulage de ses seins par Jean-Baptiste-Claude Odiot qui en aurait vendu une paire à George IV en novembre 1815, en lui disant qu’il s’agissait des « seins de Vénus ». La Reine d’Angleterre possèderait donc ces seins dans son service de table. Odiot aurait rajouté un papillon sur leur bord, par allusion peut-être à la personnalité «volage» de Pauline.
La coupe en électrum d’Hélène de Troie
Pour remonter aux origines : la toute première des femmes à devenir (par synecdoque) un récipient s’appelle Hélène de Troie. Dans Histoire Naturelle, Pline, raconte que la cité de «Lindos, dans l’île de Rhodes, a un temple de Minerve où Hélène consacra une coupe d'électrum. L’histoire ajoute qu’elle avait été moulée sur le sein d’Hélène.» L’électrum est une matière très précieuse : c’est de l’or qui contient de l’argent, à la proportion exacte d’un cinquième. Pline ajoute : «Une propriété de l'électrum, c’est d’être aux lumières plus éclatant que l’argent. L'électrum natif a de plus la vertu de déceler les poisons : des iris semblables à l’arc-en-ciel se dessinent sur la coupe, avec un bruissement semblable à celui de la flamme.» La coupe modelée sur le sein d’Hélène était donc capable de détecter le poison, comme la corne de Licorne ? Intéressant de voir le lien entre sein et corne.
Hélène de Troie inaugure les cocktails psychotropes
Encore plus intéressant de savoir qu’Hélène tient un rôle très particulier dans l’histoires des libations antiques. Homère (s’il a jamais existé) affirme qu’elle est la première personne à proposer qu’on serve du vin avant le repas. Elle aurait de plus saoulé une troupe entière de vétérans de la guerre de Troie en leur concoctant un petit cocktail de son cru, agrémenté d’opium. L’anecdote se trouve dans le quatrième livre de L’Odyssée. Les pèlerins qui faisaient le voyage au Temple de Minerve (Athena) de Lindos devaient follement rêver de boire dans cette coupe. Qui sait si le breuvage coulant d’une telle empreinte n’était pas doté de pouvoirs magiques ?
Noël, retour de la vie et alcool
Il n’est, d’ailleurs, pas innocent que le vin de Noël soit parfois servi dans des chopes en forme de poitrine féminine, mais aussi de champignon hallucinogène (l’amanite) ou de botte de Père Noël… La botte phallique qu’on remplit de cadeaux renvoie à l’idée de la corne d’abondance. Quant à l’amanite tue-mouches, facilement identifiable à son «bonnet» rouge vif parsemé de pois blanc, il évoque aussi l’idée d’une célébration «extatique» de la vie. La théorie selon laquelle il existerait un lien entre le Père Noël et certaines traditions shamaniques, liées à la prise de drogue relève peut-être du délire, mais elle s’appuie sur un rapport d’analogie parfaitement avéré entre le sein et le pénis, qui sont tous les deux des organes producteurs de liquides blancs magiques, synonymes d’abondance, sources de vie, fontaines de jouvence.
Dégradation de la femme ?
On aurait tort, de ce point de vue, de trouver «vulgaire » les coupes ou les tasses aux formes explicites. Ce sont les résidus populaires d’une mémoire collective liée à des croyances ou des fêtes anciennes. Lait, sperme et ivresse vitale. Lorsqu’en 2014, le sein de Kate Moss sert de modèle à une coupe, des journalistes s’insurgent (l’Américaine Claire Cursillo va jusqu’à faire faire une coupe modelée sur sa poitrine pour montrer que celle de Kate est un «faux») contre la culture de la femme-objet réduite à son statut nourricier, indignement mise en scène comme simple récipient pour des machos buveurs de champagne ou de bière. Voire de café. C’est oublier un peu vite que le pénis lui aussi peut faire l’objet de détournements similaires. Le pénis est aux hommes ce que le sein est à la femme. Un symbole assez fort pour être ridiculisé.
A LIRE Forbidden Fruit: Sex, Eroticism and Art, de Johan Mattelaer, Antwerpen : Davidsfonds Uitgeverij, 2016
Pour commander le livre : demander par email à l’auteur «Dr. Johan J. Mattelaer» <johan.mattelaer@skynet.be>. Prix 30€ + frais d’envoi.
«Libation Titillation: Wine Goblets and Women’s Breasts», d'Adrienne Mayor, Studies in Popular Culture 16 (April 1994)