En Bretagne, les saints bizarres guérissent de tout : St Molvan soigne la colique, St Kirio les furoncles, St Tudeg les maux de tête, Ste Azenor la stérilité… Il y a aussi des saintes à trois seins et des saints enceintes !?
En Bretagne, les saints ne sont pas des martyrs, mais des personnes à prodiges. Leurs pouvoirs se perpétuent depuis parfois plus de 15 siècles, par le biais de fontaines ou de statues. Il y a les saints qui font tomber la pluie. Ceux qui soignent les rhumatismes. Ceux qui aident à trouver l’amour. Il y a même des saints pour en finir avec la vie : St Lyphard vous délivre d’une agonie trop longue. On lui dit : Tu Pé Du («d’un côté ou de l’autre»), autrement dit «la vie ou la mort». Dans Le livre des saints bretons, un dictionnaire qui recense 447 saints bretons (à défaut des «7777 et sept saints descendus à Kersaint» de la comptine), Bernard Rio, spécialiste du patrimoine, dresse un abécédaire exhaustif de ces faiseurs de miracle à qui sont attribués de mystérieux pouvoirs. Prenez la sainte qui fait gonfler les seins par exemple. Celle qui engrosse les femmes à distance. Celle qui fait passer les diarrhées… Et que dire de saint Fiacre, patron des chauffeurs de taxi, qui guérit les hémorroïdes ?
Sainte Guen : femme à trois seins
Le nom de Gwendoline vient de Sainte Gwen ou Guen, qui signifie en breton : blanche, candide, sacrée. Drôle de sainte que cette femme à trois seins, surnommée Alba Trimammis (Blanche Trois-Mamelles) ou Gwen Teirbron (idem en breton)… «La légende dit que pour nourrir ses trois enfants, Dieu accorda un troisième sein à sainte Guen. Il s’agit là d’une erreur d’interprétation, puisque la traduction correcte serait trois fois mère et non trois seins», explique Bernard Rio. Mais qu’importe… Dans les églises comme celle de Saint-Venec à Briec-sur-Odet ou de Saint-Cast-le-Guildo, elle allaite ses trois fils à la fois. Sa statue a la vertu d’améliorer la lactation des mères. Quand un nourrisson souffre du «mal de Ste Gwen» (les croûtes de lait, également appelées «casque séborrhéique»), les croyantes trempent un vêtement de l’enfant dans la fontaine Sainte-Guen à proximité de la chapelle Saint Piric à Plouguin.
Sainte Gravida : version «engrossée» du dieu Mars
Cette sainte est-elle mâle ou femelle ? On la connait sous le nom de saint Gravé. Mais saint Gravé n’est «connu que sous la représentation féminine de sainte Gravida dans l’église paroissiale de Saint-Gravé. La sainte possède un ventre arrondi qui indique son état ! Est-il possible que l’église fit ici référence à l’ancienne divinité païenne Gravidu, mentionnée par Isidore de Séville. Sainte Gravida redeviendrait alors masculin, puisque Gravidus est l’épithète qualifiant le dieu Mars de «dieu qui fait pousser»»… Mystère. Sainte Gravida, littéralement «sainte grosse» ou «engrossée» est invoquée par les femmes enceintes pour faciliter l’accouchement.
Sainte Ninog ou Ninnoc : la femme d’outre-tombe
En 1922, un certain Maître Léon écrit dans la Revue d’histoire de l’Eglise que l’Armorique possède un très grand nombre de saints guérisseurs pour tout ce qui concerne la colique : «Les enfants ne manquent pas de protecteurs surtout quand ils sont affligés des indispositions du ventre; on appelle à leur secours les saints nommés Mamert, Fiacre, Tenearan, Efflëde, Germain, les saintes Nonne, Ninnoc et Pompée.» Il s’extasie devant cette abondance de figures salvatrices, parmi lesquelles sainte Nonnic, alias Nennoc ou Ninog mérite une mention spéciale : sa légende est liée à une histoire de porte entre le monde des vivants et celui des morts. Serait-ce là l’origine de ses vertus antidiarrhéiques ? Fille du roi gallois Brychan de Brycheiniog, elle prend le voile puis obtient les terres de Ploemeur (56) où elle fonde en 456 un monastère pour les femmes. Or voici en quelles circonstances elle obtint ces terres : lors d’une chasse à cour, un cerf en fuite, traqué par la meute, se réfugia dans une église. Le chasseur, un prince, s’étonna de voir que les chiens refusaient d’entrer et aboyaient devant l’église sans oser y pénétrer. Mettant pied à terre, il entra : sainte Ninnoc chantait l’Office divin, le cerf à ses pieds. «L’utilisation du cerf pour délimiter les limites d’une enceinte sacrée ou attribuer des terres est un symbolisme récurrent dans les hagiographies et légendes de Bretagne», explique Bernard Rio qui cite un texte gallois dans lequel la chasse à courre d’un cerf entraîne le prince au royaume des morts. «Le cerf trace une frontière entre les hommes et le divin. Sa chasse autorise seule le passage dans l’espace d’à côté.» Curieusement, tout ce qui touche à l’idée d’une frontière se traduit dans les croyances populaires en termes de colique, hémorroïdes, chancre, etc. Tout ce qui touche au cul.
Saint Fiacre : le patron des chauffeurs de taxi
Le «mal de St Fiacre», c’est les hémorroïdes, un problème souvent lié aux stations assises prolongées. St Fiacre soigne ce problème. Il est également invoqué pour guérir la syphilis, les coliques, la coqueluche, les chancres et les cancers. Saint-Fiacre est le patron «des chauffeurs de taxi. C’est en effet dans la rue Saint-Martin à Paris, où se trouve l’hôtel de Saint Fiacre, qu’on louait des voitures attelées, les fameux «fiacres»»… qui ont été progressivement remplacés par des automobiles… Voilà peut-être pourquoi saint Fiacre est devenu naturellement le protecteur des conducteurs.
Sainte Nonne : elle accouche sur une pierre
Fille du roi de Cambrie, cette femme fut violée par un homme dont elle repoussait les avances. Son rejeton, fruit de la vilenie, était condamné d’office… Mais il y eut un miracle : Nonne mit au monde le petit garçon «sur un rocher qui s’amollit comme de la cire pour former un berceau au nouveau-né», raconte Hippolyte Sarton qui retranscrit l’anecdote dans Cinq jours en Basse-Bretagne (1899). Naissance miraculeuse. L’enfant devient légitime, par la grâce de ce prodige sans pareil qui voit le corps pâle d’une parturiente se tordre sur un roc dont elle fait sa molle matrice. L’église Sainte-Nonne à Dirinon conserve le tombeau de la sainte, dit Bernard Rio, qui cite un texte magnifique attribué à la sainte : «Mes deux mains blanches appuyées sur la pierre, la divisent en deux, à mon grand étonnement, pour me tirer de peine. Elle s’amollit, comme par un miracle, et devient comme de la cire. Quand je vois cela, je suis émerveillée ; je suis pleine d’amour, c’est la vérité. Voici qu’auprès de la pierre il est né un homme vivant.» Bernard Rio décrypte ainsi la légende : «La naissance sur la pierre légitime le fils né du viol. La pierre qui se divise en deux s’apparente en effet à la pierre de Fal, en Irlande, qui crie sous le pied du haut roi. La sainte et la pierre ne forment plus qu’un. C’est symboliquement la terre qui donne ici naissance.»
A LIRE : Le livre des saints bretons, de Bernard Rio. Préface de Philippe Abjean. Éditions Ouest-France. 32 €. A peine publié et déjà en rupture de stock ! Gageons qu’une réédition est en cours.