En 2014, une nouvelle façon de déclarer sa flamme fait son entrée dans le répertoire des clichés érotiques au Japon, sous le nom de kabedon. Il s’agit de plaquer sa bien-aimée contre le mur. Deux ans plus tard, comment ce cliché a-t-il évolué ?
Il existe dans les manga et les jeux vidéos des façons stéréotypées de déclarer sa flamme. Il s’agit, pour un garçon de retenir une fille en posant fermement la main contre le mur avant de se pencher pour lui murmurer quelque chose à l’oreille. Mur se dit kabe (壁). Don (ドン), c’est le bruit que fait la paume (ou le poing) contre le mur. Le procédé est donc baptisé kabedon (壁ドン), l’équivalent de «Pan dans le mur». «Le procédé, tiré des mangas pour jeunes filles, suscite un réel engouement», explique Le Courrier International. Ci-dessous un extrait-culte du feuilleton Kyô ha kaisha yasumimasu (きょうは会社休みます).
L’engouement est en effet tel que lors du très attendu Game show de Tôkyô, une célèbre firme de jeu-vidéo (Voltage) spécialisée dans les petits copains virtuels, propose aux fans de vivre « pour de vrai » la scène-phare du kabedon. L’Asahi shinbun raconte : « des acteurs en costard, pour la plupart des éphèbes de plus d’un mètre quatre-vingt, simulaient tour à tour la scène du kabe don avec des visiteuses en susurrant : “A partir d’aujourd’hui, tu es à moi”». Voltage affirme que 3000 japonaises se précipitent à l’attraction. Voici la vidéo.
L’engouement est également tel qu’un entrepreneur a l’idée d’ouvrir un café éphémère, Kabedon Café (壁ドンカフェ), dans lequel les clientes peuvent s’isoler en compagnie d’un mannequin-automate de 180cm fait à l’image d’un séduisant barman franco-japonais. Pourquoi un mannequin plutôt qu’un acteur ? «Parce que beaucoup de femmes se sentent trop intimidées avec un vrai garçon», explique l’auteur de l’article publié sur le site Netoraba, incitant celles qui «ne l’ont jamais fait à essayer avec un beau garçon (une poupée)», mais également les garçons à tenter cette expérience propre à «faire fondre», terme ambigu qui désigne à la fois une abondante perte de liquide et le fait d’être enchanté-ravi-ensorcellé. Les client.e.s du Kabedon café ont le choix entre 5 fantasmes. Le kabedon menu propose le personnage dit tsundere (personnage froid, sarcastique et distant capable de trahir soudainement ses véritables sentiments), kohaku (personnage qui fait sa confession), asananajimi (l’ami d’enfance qui brusquement révèle l’amour qu’il dissimulait depuis plus de dix ans) et sotsugyô (personnage qui met fin à une situation… je ne sais pas trop ce que cela implique). L’automate est configuré pour frapper le mur puis prononcer des phrases en mode aléatoire (chaque option se décline en déclarations, du style : « Ne dis pas des choses égoïstes ou je te fermerai les lèvres avec ma bouche » ou encore « Ne t’ouvre à personne d’autre qu’à moi. Je suis le seul homme à qui tu devrais parler. »). Voici la vidéo. La journaliste qui a accepté de faire l’expérience mesure 148 cm et la poupée lui dit : Donna suîtsu [sweets] yorimo kimi ga ichiban gokujô no suîtsu [sweets] da yo : «Tu es une friandise supérieure à toutes les autres friandises.»
Surfant sur l’effet de mode, une dizaine de feuilletons TV romantiques mettent en scène le moment-clé, tant attendu par les spectatrices, durant lequel un personnage masculin va brusquement avoir sa montée d’hormone, froncer les sourcils, devenir menaçant et coincer l’élue de son coeur contre – au choix – la paroi d’un ascenseur, la porte d’une rame de métro, la vitre d’un distributeur de boissons ou n’importe quelle autre surface capable de renvoyer en écho le bruit – Don ! (Pan !, Boum !) – afin de lui dire ses quatre vérités, c’est-à-dire «Tu m’appartiens, corps et âme.» La scène provoque des palpitations, voire des orgasmes tels qu’il existe sur Internet toutes sortes de top 10 des meilleures séquences kabedon, au rang desquelles on trouve les suivantes (vidéo ci-dessous). Attention, la bande-son est désagréable.
Toujours en 2014, l’enseigne Gu organise à l’occasion de ventes spéciales dans son magasin de Ginza une journée événementielle durant laquelle les clientes se voient offrir, pour l’achat d’un vêtement de leur choix, une expérience troublante : le ikemen tsugi tsugi kabedon (le «kabedon à la chaine des beaux gosses»). Il s’agit de prendre la file d’attente (il y a foule) avec son achat, puis de le montrer en faisant mine de le porter devant soi (Ca me va ?) et de se faire coller contre le mur prévu à cet effet par un beau garçon : Uun, mecha niatteruyo sugoi kawaii (« Mmmm, ça te va vraiment bien, t’es super mignonne »). Si on a de la chance, le garçon exécute le « double kabedon », c’est-à-dire qu’il frappe le mur avec ses deux bras : Don ! Don ! Si on a encore plus de chance, c’est le double kabedon avec deux beaux garçons (un bras par garçon, Don ! Don !). La firme invite aussi les clients mâles à tenter l’expérience. Nous sommes au Japon.
S’il fallait classer le kabedon ce serait dans la catégorie des fantasmes de viol. Les lycéens ne s’y trompent pas qui parodient le kabedon sous la forme de mises en scène grotesques, en déclinant le stéréotype jusqu’à en épuiser la charge érotique : kabedon avec le genoux (style coup dans les parties), kabedon avec le coude (variante faussement désinvolte), kabedon avec les deux mains et les pieds (technique de l’encerclement), kabedon suivi d’une prise de menton (estampillé kabegu-i, parce que relever le menton de quelqu’un avec un doigt, dans les manga, s’accompagne de l’onomatopée gu-i), kabedon suivi de deux doigts dans le nez, auto-kabedon, reverse-kabedon, kabedon en trio, etc… Les garçons le font autant que les filles.
Tout le monde s’entraîne dans les écoles et se filme en train de faire des kabedon, au point d’inspirer par effet boule de neige des scènes de feuilleton, comme ici, dans cette séquence-culte de GTO mettant en scène deux étudiants qui s’amusent à le faire « pour rire », jusqu’au moment-clé où. Don, leur coeur fait Don.
Toujours en 2014, la firme qui produit les célèbres nouilles instantanées Cup Noodle lance une publicité décalée qui dit : «Le Japon, c’est le pays des manga. Toutes les jeunes filles lisent des manga. Le fantasme qui les fait rêver c’est le kabedon. Malheureusement, la réalité est différente. Dans ce pays, les [seules] choses chaudes sont les personnages de manga et les Cup noodle». Conclusion : on se console vite de la perte de ses illusions avec un bon bol de nouilles.
En 2015, une série comique met en scène les émois orgasmiques d’une mère de famille indigne, qui passe son temps à fantasmer sur les manga, met ses enfants à la porte et tente de retenir les deux professeurs avec qui les enfants avaient rendez-vous pour des cours à domicile. Dans ses rêves éveillés, les professeurs exécutent toute la succession des figures alternatives du kadebon, qu’elle énumère avec délices comme autant de postures sexuelles.
La plus étonnante variation érotique sur le kabedon se nomme semidon (蝉ドン), c’est-à-dire «kabedon du grillon» par allusion à la capacité de ces insectes à planter leurs pattes sur le tronc d’un arbre par exemple et à y striduler d’amour, pendant la période de reproduction, jusqu’à ce que mort s’ensuive. On retrouve les grillons morts toujours plantés dans l’arbre, en position de chant amoureux…
Le semidon a d’ailleurs lui-même donné naissance au kabezubo (壁ズボ), une déclinaison irréaliste du kabedon avec les bras et les jambes enfoncés dans le mur… et, et… de parodies en parodies, le fantasme a fini par perdre toute puissance, comme le grillon qui meurt à force de striduler : le vent froid d’automne le fige à jamais dans sa position. Il n’est plus qu’une coquille vide. Il ne suscite plus le désir.
POUR NE PAS FINIR SUR UNE NOTE TRISTE : concernant le semidon, cela donne, en version TV, la parodie suivante (toujours ma mère de famille indigne)…