Est-il possible d’avoir une relation sexuelle en dormant, sans s’en rendre compte ? Cela arrive. Si votre partenaire se caresse, vous touche ou vous prend, en pleine nuit, avec des gestes de robot, c’est peut-être une ou un sexsomniaque.
«La sexsomnie est une forme de somnambulisme, une forme épicée on va dire.» Dans son dernier opus – Labo Sexo –, Elisa Brune, auteur de très nombreux ouvrages consacrés aux mystères de la sexualité, cite des cas de sexsomnie étonnants. «Suivons ce couple australien de 45 ans, couple stable et sans histoires. Il sait que sa femme a parfois le sommeil agité, mais rien d’inouï là‑dedans. Il a un jour le regard attiré par une capote usagée qui traîne dans le jardin. Puis une autre sur le trottoir. Ça se répète et se multiplie. Une nuit, il se réveille alors que sa femme a quitté le lit et part à sa recherche. Il la découvre dans la rue, en train de se faire mettre par un inconnu. Banale histoire de fesses me direz-vous… Pas du tout (ils auraient quand même pu éviter de le faire dans la rue, non ?). Ce qui sort absolument du commun ici, c’est qu’elle ne baisait pas, elle dormait». Une fois réveillée, la femme ne se souvient absolument de rien. Lorsque son époux lui apprend ce qu’elle faisait, elle s’effondre. Cette «maladie» porte un nom depuis peu. Mais il n’existe à ce jour pas de remède.
Se masturber en dormant
La sexsomnie entre dans la littérature scientifique en 1984, lorsque le docteur Shapiro, docteur en philosophie, entame une recherche dans un laboratoire du sommeil en Afrique du Sud. Il rencontre une journaliste qui lui pose des questions sur les troubles du sommeil (parasomnie). A la fin de l’interview, la journaliste lui confie qu’elle a un problème : la nuit, son mari, qu’elle vient d’épouser, se réveille parfois et la trouve en train de se masturber, alors qu’elle dort. Il le prend mal. Cela crée une vive tension dans leur couple. Si elle se masturbe en dormant, c’est qu’elle doit être terriblement frustrée ? Shapiro décide d’enquêter. 12 ans plus tard, en 1996, il publie le premier article officiel sur le sujet : «Le comportement sexuel pendant le sommeil. Une nouvelle forme de parasomnie». En 2003, il met un nom sur ce trouble : sexsomnia. En 2007, d’autres chercheurs se penchent à leur tour sur le phénomène qu’ils confirment dans un article intitulé : «Sommeil et sexe : qu’est-ce qui peut dysfonctionner ?» (2). L’étude montre que la sexsomnie féminine se manifeste le plus souvent par la masturbation, alors que les hommes ont tendance à toucher, enlacer ou pénétrer la personne allongée à leurs côtés.
Le cas de Stephen : un zombie sexuel
En 2010, une autre étude, à laquelle Shapiro participe, démontre qu’environ 8% des patients traités pour troubles du sommeil souffrent de sexsomnie, une maladie qui, semble-t-il, touche plus facilement les hommes que les femmes. En 2013, la sexsomnie est inscrite dans le DSM-5, la nomenclature «officielle» des troubles psychiques. Pourquoi en faire une pathologie ? En 2014, un sexsomniaque raconte son expérience sur Vice : «Il y a environ trois ans, j’ai commencé à rêver que je couchais avec une femme étrange. Nous avions une sorte de connexion physique. À chaque fois que nous nous trouvions dans la même pièce, l’atmosphère devenait torride et pesante, sans qu’on échange le moindre mot. Mais il ne s’agissait pas de rêves ordinaires : ces rêves s’infiltraient dans la réalité. J’ai très vite compris que cette femme étrange était en réalité ma compagne, allongée près de moi». Le sexsomniaque en question, Stephen Klinck, a de la chance. Son épouse prend la chose plutôt bien.
Il est plus viril quand il ne se contrôle pas…
«Ma sexsomnie se traduit par des avances un peu lourdes. La plupart du temps, ma femme y répond de manière positive, même lorsqu’elle est à moitié endormie. C’est devenu une surprise agréable pour nous, voire une source intarissable de blagues.» Au réveil, Stephen Klinck ne se souvient de rien. Sa femme s’amuse à lui raconter ce qu’ils ont fait la nuit. «Mais toutes les sexsomnies ne sont pas aussi innocentes», dit Stephen. Il peut y avoir des dérapages. La sexsomnie déclenche parfois des comportements sexuels inhabituels (3). Si votre partenaire, en pleine nuit, vous force dans une position inédite, sans dire un seul mot, sans témoigner aucun signe d’affection, avec les yeux ouverts d’un mort-vivant, ne le-la traitez pas de pervers.e. «Il s’agit en essence d’un trouble du sommeil et non d’un trouble de la sexualité», rappelle Elise Brune. Mais ce trouble s’accompagne parfois de symptômes inquiétants : les gestes peuvent être plus crus, les étreintes plus passionnées, voire violentes. En clair : la sexsomnie peut vous conduire devant les tribunaux.
…mais plus violent parfois
Dans son livre Une fenêtre sur les rêves, paru en 2014 aux Editions Odile Jacob, la neurologue Isabelle Arnulf, responsable du département des parasomnies à la Pitié-Salpétrière, rapporte le cas d’une femme que son mari terrorise la nuit. Elle a beau crier, le frapper, il ne se réveille pas. Devrait-elle s’acheter un Taser pour repousser ces avances brutales ? La sexsomnie s’aggrave en cas de stress ou de fatigue. Elle est également majorée par la prise d’alcool, «la drogue, ou la présence d’un «partenaire potentiel dans le même lit», dit Elisa Brune qui suggère à demi-mot d’écarter le danger. Un bon conseil : si vous souffrez de parasomnie (somnambulisme, bruxisme, somniloquie, ou autre), évitez que les enfants dorment avec vous dans le même lit. Il y a 8% de chance que vous souffriez aussi de sexsomnie. Stepen Klinck confirme : «Selon le Dr Bornemann, la plupart des affaires impliquant une sexsomnie présumée impliquent des parents et leurs enfants. Lui et ses collègues de Sleep Forensics Associates ont été le premier groupe à offrir une expertise de trouble du sommeil dans des affaires juridiques».
Sexsomnie et responsabilité juridique
«La sexsomnie provoque des comportements sexuels inconscients et involontaires allant de la simple branlette au viol», rappelle Elisa Brune. L’emploi du mot «viol», bien sûr, pose ici un sérieux problème. Si c’est inconscient, il ne s’agit pas d’un viol. Mais peut-on le prouver ? La frontière entre conscience et inconscience n’est pas forcément claire. Une partie du cerveau des sexomniaques est endormie, mais comme le montre l’imagerie médicale fonctionnelle, une autre partie est active. Par ailleurs, les juges redoutent que des cas d’attouchements ou d’abus sexuels avérés ne cherchent à être qualifiés de sexomnie. Une défense trop facile, disent-ils. La porte ouverte à tous les abus. Dans certains cas de viol ou de harcèlement portés devant la justice, l’accusé a parfois été relaxé au motif qu’il dormait lors des faits. La justice l’a reconnu non responsable.
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A LIRE : Labo Sexo, d’Elisa Brune, Odile Jacob.
NOTES
(1) Shapiro CM, Fedoroff JP, Trajanovic NN (1996). «Sexual behavior in sleep: a newly described parasomnia». Sleep Research 25: 367.
(2) Shapiro CM, Trajanovic N, Fedoroff JP «Sexsomnia—a new parasomnia?», publié dans Can J Psychiatry. 2003 ; 48:311-317.
(3) «Quelques exemples ? Une femme de 26 ans entre dans des phases de masturbation frénétique dans son sommeil. Si son mari l’interrompt, elle recommence plus tard. Mais elle écarte toute sexualité au réveil et refuse de croire à ses accès de sexsomnie. Une femme de 28 ans a des accès de «vocalisation» sexuelles tous les soirs 20 minutes après l’endormissement, perturbant mari et enfants pendant des années. Un homme de 27 ans se lance régulièrement dans un cunnilingus sur sa femme alors qu’elle est endormie… et lui aussi. Un homme de 43 ans a des épisodes de sexsomnie chaque nuit, où il réalise un rapport sexuel de 30 minutes avec éjaculation, en variant les positions, mais tout en ronflant bruyamment. L’étude ne précise pas si l’épouse subissait ou appréciait». (Source : Labo Sexo, d’Elisa Brune, Odile Jacob).