Les SpeedDating sont des soirées au cours desquelles des femmes et des hommes jouent aux chaises musicales. Toutes les 7 minutes, le gong retentit. L’homme se lève et la femme reste assise. Mais pourquoi doit-elle rester assise ?
Lorsque Yaacov Deyo et sa femme Sue mettent au point ce qu’ils appellent la «rencontre par tournante» qu’ils font breveter comme service mark (1) sous le nom de SpeedDating, ils énoncent 10 règles sur le modèle d’une Table des Lois. Leur méthode s’inspire du Talmud (disent-ils) et a pour but de promouvoir des couples pérennes partageant des valeurs culturelles communes. Leur formule fait mouche. Mais elle est si librement «adaptée» qu’on pourrait presque parler de trahison. Partout dans le monde, des agences lancent leurs propres versions des soirées SpeedDating, sous des formes parfois rocambolesques : SpeedDating d’entreprise, SpeedDating par webcam, SpeedDating sur télésiège dans les stations de ski… Les 10 règles sont rarement respectées. Parfois même elles sont sérieusement mises à mal.
Se rencontrer pour s’insulter
En 2010, à Londres, une agence invente le Speed Hating, qui consiste non pas à trouver le Prince charmant (ou le coup du soir) en 7 minute mais à lâcher en 7 minutes tout ce qu’on déteste en général dans le monde, en particulier dans son vis-à-vis, avant de passer à quelqu’un d’autre. L’idée est lancée en réaction aux soirées «pour célibataires», afin d’en dénoncer la ringardise. Il semblerait que cette formule de rencontre fonctionne aussi très bien pour initier des relations de couples. L’essentiel, semble-t-il, c’est que des inconnu.e.s soient rassemblé.e.s dans un espace clos et forcé.e.s d’échanger à tour de rôle pendant un temps donné. Quid du concept originel ? Les organisateurs s’en fichent. Pourvu que ce soit fun.
Les hommes proposent, les femmes disposent
Sur les 10 règles du jeu mises au point le couple Deyo, une seule est à peu près respectée partout dans le monde : la numéro 3. «Les hommes bougent et les femmes restent assises». Cela a-t-il à voir avec la spiritualité ou avec un préjugé tenace ? Dans leur livre Speed Dating, le couple Deyo suggère qu’il s’agit d’un «principe» immuable. «Le Talmud affirme que c’est la façon dont les hommes courent après les femmes», se justifient Yaacov et sa femme. Loin d’être remise en cause, cette règle ultra-normative est adoptée par presque toutes les agences de rencontre. A quoi bon questionner les conventions ? Dans le monde occidental, il semble «normal» que les mâles – actifs, debouts et dynamiques – passent d’une fille à l’autre. C’est donc aux hommes de se déplacer.
«Rencontre par tournante», mode d’emploi
Dans son livre Mon partenaire en un éclair, l’anthropologue Pierre-Yves Wauthier décrit ainsi le système : «Lorsque tous les participants inscrits sont arrivés dans l’établissement où a lieu l’événement, chacun reçoit un numéro de table. Ensuite, il est demandé aux femmes d’aller s’asseoir à la table correspondant à leur numéro, où elles resteront assises jusqu’à la fin de la soirée. Lorsque retentit la cloche, chaque homme s’assoit à la table correspondant au numéro qu’il a reçu à son arrivée et rencontre la femme qui y est assise. Au bout de sept minutes, la cloche sonne à nouveau et il est demandé […] aux hommes de passer à la table qui se situe deux numéros plus hauts». Au cours de sa pratique de terrain, Pierre-Yves Wauthier affirme qu’il n’a jamais vu de femmes se déplacer, ni d’hommes rester assis (2), ce qui est étrange, dit-il. La règle 3 pose en effet deux problèmes.
Comment connaître une femme qu’on ne voit pas marcher ?
Le premier problème, c’est que les hommes se sentent lésés. Ils ont été matés en gros plan, en pied, de face, de côté et de dos. Les femmes se sont bien régalées. Mais eux ? Pierre-Yves Wauthier rapporte que pour éviter toute frustration, beaucoup d’agences proposent «quasi systématiquement aux participants de rester prendre un verre en fin de soirée. Cela “pour que les hommes puissent voir les femmes bouger“, me souffle confidentiellement un directeur d’agence ; car les femmes étant la plupart du temps assises, les hommes ont peu d’occasions de voir autre chose que leur buste». C’est justice. Après tout, comment juger la personnalité d’une femme qu’on ne voit pas marcher et dont une table vous sépare à la façon d’une paroi vitrée ? Autant faire des rencontres dans un parloir de prison.
Les personnes assises sont les plus sélectives
Le second problème avec la règle 3, c’est que les hommes en tirent la désagréable impression d’être livrés comme aux jeux du cirque. Lorsque les femmes sont maintenues en position assise («passive») elles ont tout loisir de scanner les prétendants, de les jauger, de les juger et de les… rejeter. La règle 3, paradoxalement, place les femmes en position de force, celle du Roi devant qui les courtisans défilent si possible en tremblant. Il est à cet égard très instructif d’apprendre que cette sensation de toute puissance n’est pas le propre des femmes mais des personnes assises, quel que soit leur sexe : «Aux USA, dans le cadre d’expérimentations en psychologie sociale au sujet de la formation du couple, les chercheurs P.W. Eastwick & E.J. Finkel (2008) organisèrent des speed datings inversés. Cela permit entre autres de déterminer que ce sont ceux qui restent assis qui sont les plus sélectifs.» Sachant cela, vous ferez attention de ne pas donner rendez-vous dans un café : si la personne arrive avant vous, si elle reste immobile dans son siège à votre arrivée, peut-être sera-t-elle deux fois difficile à conquérir ?
A LIRE : Mon partenaire en un éclair. Un anthropologue en Speed Dating, de Pierre-Yves Wauthier, Academia L’Harmattan.
(1) Dans le système anglosaxon, le service mark est un brevet qui protège non pas un produit mais un service.
(2) Ce cas de figure (l’homme assis, la femme passamt de table en table) aurait cependant existé mais de façon très exceptionnelle, précise l’anthropologue Pierre-Yves Wauthier qui cite le blogue d’un speed dateur racontant une expérience de ce type.
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