Qu’il soit nommé «pieu» ou «épine», «gourdin» ou «asticot», «anguille» ou «nouille», le pénis met toujours les lexicographes en joie. En témoigne un livre répertoriant plusieurs centaines de citations et de mots d’esprit : «Les Mots qui font mâle», aux éditions Hoebecke. Florilège…
Dans un ouvrage tout entier consacré aux «Mots qui font mâle», Jean Feixas et Emmanuel Pierrat répertorient les manières les plus inventives de défendre son cas. Il y a ceux qui vantent la taille de leurs attributs. Certains désignent leur sexe en usant d’unités de mesures équivalentes à 25 centimètres : le chibre, par exemple, serait – à l’origine – l’équivalent d’un empan, c’est-à-dire la distance séparant l’extrémité du pouce et celle du petit doigt. Vantardise
Le lexique recensé dans l’ouvrage des «Mots qui font mâle» rassemble par ordre alphabétique environ 200 mots pour désigner les organes génitaux masculins, d’aiguille à zob en passant par les plus étonnantes métaphores. «Doigt sans ongle», «merveilleuse fontaine», «tringle à frissons», «orage», «plût-à-dieu», «Salvum me fac» («Ce qui fait mon salut»)… Chaque mot est illustré de citations empruntées à des poèmes anciens ou des textes licencieux parfois Très Bien Tournés. Les verges mettent en verve et ça fait… des saillies.
La vantardise bien sûr est de mise parmi les auteurs de textes écrits à la gloire du «glaive» : nombreuses sont les métaphores conquérantes assimilant le sexe à une arme de destruction massive. «Fléau», «gourdin», «mandrin» ou «mitrailleuse»… Pour faire céder leur proie, les beaux parleurs affirment toujours posséder des «arguments» massue.
Le problème avec l’argument : mieux vaut qu’il soit de taille. S’il n’est pas convaincant, l’homme s’expose à la risée. Les mots pour désigner le pénis sont pour moitié moqueurs : «hochet», «sucre d’orge», «pissette», «poupon», «robinet», «virgule», «zizi»… Dans les sociétés qui assimilent le sexe à la guerre, la métaphore du combat perdu d’avance revient souvent : il est vain de se croire le plus fort à ce jeu-là, car les «proies» peuvent facilement prendre leur revanche sur ceux qui les déçoivent. En les épuisant.
Ce que les métaphores guerrières dissimulent – quoique à peine – se ramène donc toujours à l’expectative d’une défaite. L’arc trop tendu débande. Le poignard s’émousse. Le pieu ramollit. De façon récurrente, les hommes partent au front «certains d’être vaincus».
Aucune arme aussi massive soit-elle ne résiste à sa propre puissance de feu. Programmé pour s’autodétruire, l’homme finit toujours par capituler. Ce que les proies soulignent avec une morgue teintée de rancœur : la défaite de l’homme ne signe-t-elle pas leur propre impuissance à ressusciter le désir ? Au fond, personne ne gagne.
La proie reste sur sa faim quand son chasseur ne peut plus la «tuer d’amour». Qui possède qui dans cet univers de mâles attrapés par la queue ? Les voilà piégés, pareilles à de pauvres bécasses prises au collet. Les «pantaines» sont des filets étrangleurs pour capturer les oiseaux dont la forme fait penser à un sexe de femme…
L’homme n’est finalement rien d’autre que la nourriture «délicieuse» des femmes dans cet univers de faux-semblants. Même les femmes qui, en théorie, ne savent rien de la chose reprennent vie, au moins le temps de donner leur avis sur les vits : «Ceux que je préfère…»
Le pénis ranime les mourantes. Le pénis est la lumière dans les ténèbres. Le pénis est un don de Dieu. Le pénis est dédié aux femmes qui – tels des saints – montrent leurs seins afin que vers elles montent les flammes des cierges et des vœux.
Plus que l’aspect belliciste des métaphores sexuelles – ce que l’ouvrage «Des mots qui font mâle» met en lumière c’est donc surtout l’ambiguïté de ces rapports de force : les chasseurs ont besoin des proies autant que les proies des chasseurs pour entretenir la mascarade. Sans elle, il n’y aurait plus de course-poursuite, plus de combat, plus d’enjeu peut-être. Peut-être qu’au fond le désir dépend de ce jeu de simulation qui consiste à mimer tantôt le chasseur, tantôt la proie, tantôt le vainqueur, tantôt l’effroi ?
Mais peu importe qui joue quoi, femme ou homme, instrument pénétrant ou absorbant, outil qui perce ou qui avale, les rôles sont interchangeables et les pénis les plus conquérants ne sont finalement jamais que des «cœurs» à prendre, tous tremblants.
Dans la main des vierges, le sexe des hommes frémit puis se flétrit. Il est comme un fétu de paille et les proies le contemplent avec une feinte indifférence, parfois même du dédain : «Je ne désire pas attirer des choses petites comme vous».
L’image de l’ambre ici est intéressante : elle convie tout un imaginaire du magnétisme, figuré par dans ces pierres d’ambre – connues pour posséder les pouvoirs électrostatiques. Ambre en Grec se dit «électron» : lorsqu’on les frotte, elles attirent la limaille. Et c’est justement dans ce registre de l’attraction «naturelle» que les hommes et les femmes brodent le plus souvent la métaphore des sexes qui se dirigent les uns vers les autres, soumis à l’inévitable conjonction, de même que les astres pris au piège de leurs gravitations respectives. Lorsqu’une femme accapare un homme, elle s’attriste de priver ses sœurs d’un bel aimant ? D’un bel amant ? Les femmes elles-mêmes ne sont que des brins de paille.
On peut donc lire ce lexique des «Mots qui font mâle» moins comme une illustration des rodomontades masculines ou l’expression de leurs angoisses que comme une sorte de petit théâtre dans lequel des êtres se courent après, se fuient ou se repoussent, simulent toutes les affres d’une guerre des sexes qui n’est qu’un jeu de rôle. Jeu de rôle dont ils ne sont pas forcément conscients d’ailleurs… Raison pour laquelle les hommes et les femmes ont si souvent besoin, pour justifier le désir, de l’ancrer dans le domaine du sacré (ou du biologique, ce qui revient au même) afin de donner une apparence de légitimité à la répartition trop stricte des rôles dans lesquels ils se cantonnent : la plupart des citations répertoriées par Jean Feixas et Emmanuel Pierrat trahissent cette sorte de réflexe idéologique qui consiste à dire des sexes mâles et femelles qu’ils sont complémentaires et aussi indispensables l’un à l’autre que l’eau au moulin, l’anchois au saladier, la cage au perroquet, le bonnet au Saint-Esprit ou le pied à la chaussure…
Dans la France de l’ancien régime, le vagin est nommé «petit cas» et le pénis «Ce qu’il y faut».
Traduisez : si l’homme met «ce qu’il y faut», le cas est réglé. La paix règne et les vaches sont bien gardées. Arrive la révolution française. Suivant un subtil changement de paradigme, dans la France du XXe siècle, l’ordre divin devient celui de «la nature». Aux décrets du ciel on substitue ceux de l’ADN. Mais qui peut être dupe d’un tel tour de passe-passe ? Personne bien sûr. A part l’immense majorité de la population qui continue de dire que la science et la religion n’ont strictement rien à voir. Je plaisante… bien sûr.
A LIRE : Les mots qui font mâle, de Jean Feixas et Emmanuel Pierrat, éditions Hoebecke
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