Avez-vous envisagé de vous raser le crâne suite à une rupture amoureuse ? Ou de recueillir vos cheveux tombés, en souvenir ? Une exposition à Londres (Hair! Human stories) propose aux visiteurs de découvrir les cheveux par le biais d'histoires personnelles qui leur sont liées.
Il y a quelque chose de très perturbant dans le fait de se confronter aux cheveux qui sont présentés, dans l’exposition Hair! Human stories, comme des boules semblables à des balles de mousse, Chacune porte un nom. C’est comme d’avoir affaire à un cadavre. «Quand le cheveu est sur notre tête, il évoque la vitalité, la virilité, la féminité ou la séduction, mais dès qu’il est tombé, il évoque la mort», explique Emma Tarlo, curatrice de l’exposition. De fait, en Occident, nous jetons nos cheveux et nous n’aimons pas trop l’idée que quelqu’un puisse s’en emparer. Pourrait-il les utiliser pour nous jeter un sort ? Nous préférons que les cheveux disparaissent à l’égout ou soient incinérés. Invitant les visiteurs à surmonter leur répugnance, l’exposition questionne notre perception culturelle des cheveux et propose de les aborder non plus comme des rebuts mortifères mais comme de merveilleux matériaux à recycler : les fibres capillaires, de fait, peuvent nous être utiles sous des formes inattendues.
Un gâchis de cheveux humains
«Etant donné leur extraordinaire, souplesse et durabilité, il est surprenant que nous n’ayons aucun usage de cette ressource naturelle, explique Emma Tarlo. Chaque année, rien qu’en Grande Bretagne, 6,5 millions de kilos de cheveux partent dans le flux des déchets.» Il y aurait pourtant beaucoup de choses utiles, voire éthiques, à faire avec ces cheveux : certains écologistes suggèrent que les cheveux humains constituent un matériau de choix pour les filtres à matière grasse, par exemple. L’exposition Hair! Human stories suggère d’autres moyens de reconversion : on peut fabriquer d’excellentes cordes avec les cheveux ou encore des laisses pour les chiens. On peut même en faire des vestes à capuchon, ainsi que le propose la créatrice française Alix Bizet, qui mène depuis quelques années un travail de réhabilitation du cheveu au nom du développement durable. Récupérer les cheveux réduirait la quantité des déchets qui polluent la terre, tout en fournissant un matériau utile dans l’industrie du vêtement.
Trafic de cheveux à l’échelle globale
Il serait facile de récupérer les cheveux en Occident, par le biais des salons de coiffure où ces cheveux coupés sont simplement jetés à la poubelle. Quel dommage, suggère l’exposition qui cite l’exemple des nombreux pays –Chine, Myanmar, Cambodge, Vietnam, Inde– où les cheveux sont récupérés. En Inde, 100 grammes de cheveux vendus sous la forme de boules poussiéreuses se vendent environ 100 roupies (1 euro). Les Indiennes pauvres –qui collectent chaque jour leurs cheveux pris dans le peigne– les vendent à des colporteurs qui les revendent à des grossistes. Il s’avère, ainsi qu’Emma l’explique dans un livre passionnant (intitulé Entanglement. The Secret Lives of Hair), que la plupart des cheveux dont nous avons l’usage pour nos extensions et perruques, proviennent de ce système de récupération : «Les cheveux humains exportés d’Inde, par exemple, 80% viennent des peignes et 20% des temples». Autrement dit : la majeure partie de nos extensions capillaires ou perruques viennent de pays où les femmes pauvres transforment leurs cheveux tombés en ressource financière. Dans une moindre mesure, elles viennent de donations rituelles. «Un peu comme les chrétiens se font tonsurer dans les couvents, les croyants en Inde se font couper les cheveux, en signe de renoncement», explique Emma Tarlo.
Des cheveux d’Indiennes vendus comme cheveux péruviens ?
La plupart des cheveux viennent des pays asiatiques. Emma Tarlo –qui a consacré plusieurs années de recherche à cette industrie– note qu’il n’existe cependant aucun système de traçabilité. Et pour cause : les personnes qui achètent les perruques ou les extensions préfèrent que les cheveux restent anonymes, comme pour en atténuer la charge symbolique. «En bout de chaîne, lorsque le cheveu de quelqu’un d’autre arrive sur votre tête, il a voyagé sur des milliers de kilomètres, il est passé par des dizaines de mains, il a été privé de sa personnalité, de sa couleur d’origine et on lui a attribué de nouvelles identités – commercialisé comme “brésilien”, “péruvien” ou “européen” suivant la teinture employée, puis réinjecté dans la société comme symbole de la beauté, de la santé et du glamour…». Ces cheveux tombés, récupérés sur un peigne, peuvent donc vivre d’une vie nouvelle. Emma Tarlo note raconte que, visitant les usines en Inde et en Chine qui les traitent, elle a pris conscience de leur valeur. Voyant les femmes exploitées qui travaillent dans ces usines, les heures passées par les colporteurs à récupérer le moindre cheveu et le soin avec lequel des ouvrières les trient un à un pour les assembler par taille (il y en a des millions), elle s’est dit qu’il fallait vraiment faire attention. «J’ai appris à respecter mes cheveux tombés, dit-elle dans une interview donnée à la revue INFRINGE. Cela fait maintenant 4 ans que je collecte les cheveux de mon peigne, afin qu’ils puissent être recyclés.»
Nos cheveux méritent autre chose que le tout à l’égout
Bousculant nos idées reçues, troublant nos conventions, l’exposition Hair! Human stories ne se contente donc pas de nous faire toucher des cheveux avec des petits frissons. Elle est conçue pour nous faire prend conscience du prix de chaque cheveu. «Bien que ces fibres [de la keratine] soient composés de matière morte, elles sont saturées de vie humaine et d’émotions», conclut Emma Tarlo. Sous-entendu : nos cheveux méritent certainement mieux qu’un destin de déchet.
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EXPOSITION : Hair! Human stories, jusqu’au 26 juin 2018. Adresse : The Library Space, 108 Battersea Park Road, Londres.
A LIRE : Entanglement. The Secret Lives of Hair, d’Emma Tarlo, Oneworld Publications, 2016.
«Why the hair on our head could – and should – be so much more than merely decorative», d’Emma Tarlo, 12 juin 2018, The Conversation.
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LES CHEVEUX, EN CHIFFRES
• 0,3 mm par jour c’est la pousse quotidienne du cheveu, 1,5 cm c’est la pousse mensuelle du cheveu
• 1,3 km de cheveux sont produits tous les mois, 16 km chaque année
• 4 mm sous la peau : c’est là où est implantée la racine du cheveu (follicule pileux)
• 20 kg de “matériau” cheveu sont produits par l’ensemble des follicules chaque année
• 45 microns est le diamètre d’un cheveu fin
• 30 % est l’allongement d’un cheveu en bon état quand il est tiré (à sec), sans se casser
• 50 % est l’allongement d’un cheveu mouillé quand il est tiré, sans se casser
• 50 à 100 cheveux tombent en moyenne tous les jours
• 100 grammes en moyenne est le poids que peut supporter un seul cheveu avant de casser
• 200 cheveux sont présents en moyenne sur un cm2 de cuir chevelu
• 600 cm2 est, en moyenne, la surface du cuir chevelu
• 120 000 cheveux composent une chevelure moyenne
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VIDEO : It’s Only Hair, sur vimeo.com. Animation par Stacy Bias. Recherche par Emma Tarlo, auteur de ’Entanglement: The Secret Lives of Hair’