Voulez-vous rejouer une scène du film “Titanic” ? C’est possible. Donnez rendez-vous par FaceTime à la personne aimée. Fixez ce rendez-vous depuis la galerie Charlot à Paris, afin de vivre à deux un «Moment Vraiment Magique». C’est le titre de l’oeuvre.
L’oeuvre –un système pour couple– s’intitule A Truly Magical Moment. Elle a été créée par l’artiste, compositeur et interprète de musique expérimentale Adam Basanta. Nè à Tel-Aviv, Adam Basanta vit et travaille à Montréal. Il créé des dispositifs acoustiques et mobiles (1) dont l’installation A Truly Magical Moment constitue une des pièces les plus étonnantes. Cette pièce, actuellement exposée à la galerie Charlot, dans le cadre de l’exposition Data Dating, fonctionne seulement si deux personnes se donnent rendez-vous sur FaceTime (2) avec le désir de partager trente secondes d’ivresse.
Prêts pour un vertige dématérialisé ?
L’oeuvre permet de rejouer une séquence cinématique pure, celle durant laquelle deux amoureux, se prenant par les mains, tournoient jusqu’à ce que la vitesse de giration rende flou le monde environnant. Les amoureux en loop se donnent le vertige. Plus rien n’existe que leurs deux seuls corps reliés l’un à l’autre… Imaginez la scène. C’est le moment durant lequel Kate Winslet tourbillonne avec Di Caprio dans Titanic. Vous aussi vous pouvez le faire (sur une musique bien plus enivrante d’ailleurs). Allez ensemble ou séparément à la galerie Charlot. L’un de vous deux doit appeler par mail sur FaceTime : atrulymagicalmoment1@gmail.com. L’autre doit appeler en se synchronisant (il lui faudra composer un mail fourni sur place par la galerie). Après quoi… Voici ce que cela donne. Yeux dans les yeux, grâce aux iPhone, les amoureux-ses peuvent tous et toutes s’offrir un vrai vertige dématérialisé.
«Internet a dédoublé la vie romantique de millions de personnes»
Cela peut sembler anecdotique, mais l’oeuvre de Basanta inaugure l’ère de dispositifs inédits dont nous serions bien avisés d’examiner le potentiel. Pour Valentina Peri, organisatrice de cette exposition, «L’avènement d’Internet et des smartphones a dédoublé la vie romantique de millions de personnes, qui désormais habitent à la fois le monde réel et leur propre “monde du téléphone”.» Avec quelles conséquences ? Mue par le désir de comprendre le phénomène au moment même où se mettent en place de nouvelles modalités d’échanges affectifs, Valentina a rassemblé une dizaine d’artistes qui tous proposent leur analyse sous un angle différent. Il y a par exemple ce trio de créatifs sur Instagram (Tom Galle, Moises Sanabria, John Yuyi) qui s’amusent à se promener dans New York munis d’énormes casques de réalité virtuelle. Ils ne voient rien autour d’eux, ou plutôt ils ne voient personne ce qui rend leur performance d’autant plus drôle : sur le casque, ils ont collé un auto-collant Tinder, qui est (avec Grinder), une appli de rencontre par géolocalisation favorisant les coups d’un soir.
Hookup : le sexe sans lendemain
Par opposition aux sites de rencontre sur lesquels ont bavarde pour faire connaissance, Tinder est un site de hookup, terme emprunté au lexique gay pour désigner les plans culs. Sur Tinder, «pas de profil à créer, l’appli aspire le profil Facebook et met directement votre photo ; ensuite, c’est un défilé de visages que l’on balaie du doigt, vers la gauche pour éjecter d’un «nope», vers la droite pour aimer d’un «like», comme on remplirait son panier de courses. Si la cible est OK, ça forme un «match». Ne restera plus que quelques phrases d’approche avant de planifier le rencart.» (Source : Le Nouvel Observateur). Ce mouvement du doigt sur l’écran est appelé swipe : on fait un swipe right (vers la droite, pour dire j’aime) ou un swipe left (vers la gauche : je n’aime pas). Lorsque les artistes enfilent leur casque, affichant publiquement l’activité à laquelle ils se livrent, les voilà qui miment dans le vide le swipe left des compulsifs, éliminant tous les profils les uns après les autres en consommateurs exigeants.
tinderVR02_10m from Galerie Charlot on Vimeo.
Faire réseau avec des «ami-e-s baisables»
Il en est du swipe comme d’une nouvelle forme d’interaction affective. Avec l’avènement des réseaux sociaux et des applis qui permettent de «zapper» les profils, le mouvement de l’index fait maintenant partie des nouveaux moyens d’entrer en contact. Mais d’autres choses changent : «Internet permet l’anonymat, ce qui donne un sentiment d’impunité à double tranchant, explique Valentina. D’un côté, cela libère (on s’autorise le sexe sans lendemain), d’un autre côté cela favorise l’expression de la haine en ligne ou la propension qu’ont les gens à s’envoyer directement des dick-pic.» Les dick-pic sont des photos d’érection en guise de bonjour, style «Voilà ma came, tu prends ?» Valentina s’avoue parfois troublée par ces nouveaux codes. Elle a conçu l’exposition comme une forme d’exploration des pratiques émergentes et des bricolages en cours dont même les nouvelles générations ne maîtrisent pas toujours les règles. «Tout le monde est dans une sorte d’apprentissage», dit-elle, ce qui rend le travail des artistes d’autant plus intéressant : leurs créations à la fois anticipent et questionnent les pratiques sentimentales et/ou sexuelles à venir. Au-delà des jugements faciles ou prématurés.
.
A VOIR : exposition Data Dating (jusqu’au 26 juillet 2018), à la galerie Charlot : 47 rue Charlot 75003 Paris.
NOTES
(1) Adam Basanta a notamment créé des hauts-parleurs distribuant des messages d’amour et des rideaux d’écouteurs diffusant du «son blanc» à la douceur hypnotique.
(2) FaceTime est une application gratuite de type Skype pré-installée, disponible, sur tous les appareils Apple : on peut s’offrir un Vrai Moment Magique sur son ordinateur Macintosh ou sur son iPad, aussi bien que sur son iPhone.