Tapez les premiers mots d’une question sur Google : «Veut-elle». Le moteur de recherche propose : «Veut-elle sortir avec moi ?», «Veut-elle me quitter ?», «Veut-elle me revoir ?». C’est ce qu’on appelle l’autocomplétion. Un artiste en a fait le moteur d'un magnifique poème d’amour.
Quand un homme répond favorablement à vos messages, comment l’interpréter ? Que signifie sa gentillesse ? Avant les années 2000, on demandait conseil à des proches. Maintenant on va sur Internet et on tape des questions pour trouver la réponse : «Veut-il… ?», «Veut-elle… ?». S’appuyant sur les recherches les plus fréquemment effectuées sur Google concernant l’amour, un artiste a créé une machine à générer automatiquement des requêtes. L’oeuvre s’intitule Glaciers. Il s’agit d’un poème en diptyque, constitué de trois écrans, trois liseuses reliées à Internet. Sur la première on peut lire, à l’encre électronique : «Veut-il m’épouser / Veut-il sortir avec moi / Veut-il être mon petit copain». Sur la seconde : «Veut-elle m’épouser / Veut-elle être ma petite copine / Veut-elle m’embrasser». Sur la troisième : «Je ne veux jamais…» (1). Suivent les trois choses qu’on «ne veut jamais», et dont je préfère ici ne pas dévoiler la nature. Il faut aller voir cette oeuvre pour en savoir plus. Elle est actuellement exposée à la galerie Charlot (Paris), dans le cadre d’une exposition intitulée Data Dating, consacrée à «l’impact des nouvelles technologies dans le domaine de l’amour et des relations sexuelles».
Recherches Google «avec la saisie semi-automatique»
Pour Valentina Peri, anthropologue de formation, organisatrice de l’exposition Data Dating (jusqu’au 26 juillet 2018) et co-directrice la galerie Charlot depuis 2011, il n’est pas anodin que les gens se tournent vers le Web pour trouver des réponses concernant leur vie intime. C’est à Google qu’ils s’adressent, semble-t-il, lorsqu’ils sont amoureux. Ils vont sur Google taper des questions dont les motifs les plus fréquents reviennent sous la forme de phrases pré-écrites dans le moteur de recherche. Le système est désigné sous le nom d’autocomplétion ou encore complétion automatique. Son fonctionnement est simple : «Lorsque vous lancez une recherche sur Google, vous pouvez trouver des informations plus rapidement à l’aide des prédictions de recherche». Ces prédictions correspondent aux recherches les plus souvent faites par les autres utilisateurs «dans votre région» et sur la base des mêmes mots.
Une oeuvre constituée de prédictions
Générées automatiquement par le biais d’un algorithme, calculant «la fréquence de recherche d’un terme par les Internautes», ces prédictions constituent une étonnante vitrine des préoccupations qui agitent l’ensemble des Internautes partageant la même aire géographique et linguistique. Ces préoccupations évoluent au fil du temps, bien sûr. Certaines peuvent varier au cours de la journée. D’autres changent une fois par semaine… Il y en a qui ne changent pratiquement jamais… C’est ce miroir que nous tend l’artiste Zach Gage. Son oeuvre s’intitule Glaciers par allusion aux infimes variations amoureuses qui font évoluer les prédictions de recherche sur Google. Son oeuvre est faite pour le long, très long terme. Bien qu’elle ait été créée en 2016, les mots n’ont pratiquement jamais changé sur les trois écrans. Tels des «glaciers», en apparence ils ne bougent pas. Et pourtant : «bien qu’elles semblent statiques, chaque oeuvre se rafraîchit une fois par jour.»
Un poème d’amour proche de la prière
Chaque jour, Valentina Peri va les lire. Les mots restent les mêmes. Ou presque. Les requêtes sur Google restent quasi similaires, comme si les mots «Veut-il», «Veut-elle» ou «Je ne veux jamais» étaient toujours, inévitablement, suivis des mêmes répétitives interrogations : «Veut-il m’épouser ?», «Veut-elle m’embrasser ?». Dans cent ans, quels mots s’afficheront sur les écrans ? Quelles questions les enfants de nos enfants poseront-ils au réseau, dans l’attente d’une réponse impossible ? De ces questions, Zach Gage a fait le «moteur perpétuel» d’un poème qui ne prendra jamais fin. Le poème n’apportera jamais de réponses. Il ne fera jamais qu’afficher les trois premières des dizaines de milliers de questions classées par ordre statistique… Les trois premières qui nous tiennent au coeur. Les trois premières questions, les plus anonymes, les plus poignantes.
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A VOIR : exposition Data Dating (jusqu’au 26 juillet 2018), à la galerie Charlot : 47 rue Charlot 75003 Paris.
NOTE 1 : Le poème est en anglais. A la date du 19 juin 2018, les strophes en étaient : «Does he want to marry / Date me / Be my boyfriend», «Does she want to marry me / Be my girlfriend / Kiss me». Concernant la question «I never want to…», je laisse en suspens.