J’étais l’autre jour en sociabilité, et une amie me vantait la qualité de la chanson issue du nouvel album d’Orelsan, Basique.
Elle disait ne pas vouloir s’intéresser à l’œuvre d’Orelsan au départ, dans la mesure où, étant restée sur la polémique Sale Pute (qui date de 2009 – il a quand même fait 3 albums depuis…), elle en avait l’image d’un connard misogyne. En un sens, elle n’a pas forcément tort, mais d’un autre côté, j’admire perso sa qualité d’écriture qui surpasse tout jugement moral qu’on puisse faire sur sa personne.
Dans le même temps, cette même amie évoquait le cas de Michel Sardou, à qui elle reprochait peu ou prou des propos de la même veine. Je lui ai donc expliqué que Michel Sardou était dans une démarche tout à fait différente : comédien de formation et d’ascendance, il a bâti sa carrière sur le fait d’interpréter des personnages pour dire des choses qui pouvaient le dépasser. J’en avais fait un article à l’époque d’ailleurs.
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Avec les différents scandales qui émanent dans les milieux des arts et du show-business en cette fin 2017, je me suis posé les deux questions suivantes : L’art dit-il la vérité sur l’artiste ? Comment, par conséquent, séparer l’artiste de son art, si on peut lui accoler le même discours que celui développé dans son œuvre ?
Il est en effet de plus en plus nécessaire que les sociétés humaines séparent les artistes de leur art. Non seulement en arrêtant de mettre des artistes sur un piédestal au jugé de leur art, mais surtout en osant questionner l’artiste sur son rapport au monde en dehors de son activité artistique.
C’est ce qui permettrait qu’on arrête de coller des étiquettes à certains artistes (et ainsi qu’on arrête de passer à côté d’œuvres complexes et riches), mais aussi qu’on arrête de tomber des nues et de trouver des justifications à la con dès lors qu’on observe un artiste abuser de sa position pour commettre des crimes.
Car si les arts sont un mode d’expression de la plus grande des beautés, ils ne confèrent pas forcément aux artistes et aux créateurs une légitimité de parole plus importante que la plupart de leurs contemporains, au même titre que les journalistes ou les politiques. Pourtant, il est compliqué de faire comprendre aux masses humaines que ce n’est pas parce que leurs actions les ont mené vers la notoriété que ces personnes en perdent le statut d’humain pour acquérir celui de dieu vivant.
De surcroît, avec le recul et l’influence que peut avoir une analyse de son œuvre à la moulinette de la notoriété, un artiste en arrive à refabriquer sa vérité par rapport à son rapport à l’œuvre. C’est le cas de beaucoup d’artistes, notamment quand leur œuvre est récupérée à des fins politiques ou sociétales (John Lennon le premier en a pas mal souffert). Cela veut-il dire qu’à partir du moment où le public s’est approprié une œuvre, elle n’appartient plus à son créateur au point qu’il n’ait plus de droit de regard dessus ? Je ne pense pas qu’il faille aller jusqu’à une telle extrémité.
Quoi qu’il en soit, l’artiste a toujours quelque chose à dire sur son œuvre, que ce soit sa vision du monde ou une forme de prise de recul sur un sujet où il n’a pas forcément d’avis au départ. Le tout est de ne jamais prendre pour argent comptant cette vision de l’artiste. Il se peut qu’il ait aussi envie de troller son public et de s’accorder une pudeur somme toute légitime sur son œuvre.
À titre personnel, je pense que le mécanisme qui vient à penser que l’artiste dit textuellement son point de vue dans son œuvre est le même qui fait que les masses populaires le propulsent sur un piédestal ou plus bas que terre. Il me semble, dès lors, que l’art doit être simplement réduit au rang de mode d’expression quotidien comme la parole ou l’écrit. Par conséquent, il est de notre devoir commun d’une part, séparer l’artiste de son œuvre, et d’autre part, de questionner davantage les artistes sur leurs motivations réelles.
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