Mon corps. Drôle de machine que j’oublie la plupart du temps. Machine qui m’accompagne, me permet d’avancer, me connecte, au monde, aux autres, à moi. A chaque instant. Et moi, je n’y pense pas. Comme s’il était normal, et juste, que cette machine fonctionne parfaitement.
Bien sûr que c’est juste. Bien sûr que le corps, les corps devraient fonctionner, tous, sans accroc. Mais ça n’est pas le cas. Pas pour tout le monde. Et je l’oublie, on l’oublie si souvent.
Pourtant, j’en ai rencontré des corps abîmés. Des corps d’hommes et femmes qui n’ont d’autres toits que le ciel ouvert. Même quand le ciel est sombre et qu’il s’échappe de la buée à chaque mot prononcé, les matins froids d’hiver. Ces corps-là sont fatigués, si fatigués, et parfois lâchent, après avoir prévenu plus d’une fois.
J’ai rencontré des corps qui ne répondaient pas. Des corps d’enfants dont les jambes n’avancent pas. Des corps avec des grains de sable dans le mécanisme. Et moi, j’oublie que mon corps n’a pas de grain de sable dans le mécanisme.
Oh bien sûr, parfois, il y a un petit quelque chose. Un tout petit grain, au bras, à la nuque, dans le dos, dans la jambe, un petit quelque chose qui vient me rappeler que c’est dans l’esprit qu’il y a peut être quelque chose. Mon corps sait bien faire ça. Tirer la sonnette d’alarme. Je ne l’écoute pas toujours. Je suis têtue. Mais il finit par avoir le dernier mot. Toujours.
Je n’ai d’autre choix que de l’écouter quand il me fait tout à coup si mal, vous savez, cette douleur musculaire ici ou là qu’on prend bien soin la plupart du temps d’ignorer. Mon corps est extraordinaire. Il me parle. Il m’envoie des messages. Et insiste quand je n’écoute pas.
Je ne sais pas encore, et ne saurai sans doute jamais tout à fait comment il fonctionne ce drôle de corps, comment il peut si bien s’ajuster à mes demandes parfois exigeantes, mais il répond. Et me surprend. Parfois, je lui fais prendre des positions aux noms d’animaux sur un tapis rectangulaire. Il aime bien ça, on rit ensemble.
Parfois, je l’oblige à apprendre des enchaînements, demi-pointes aux pieds, une main sur la barre. Là, souvent, il rechigne. Il me fait rire ce corps un peu maladroit, ces jambes qui s’emmêlent et font n’importe quoi. Mais il se tient debout et persévère.
Merci à cette enveloppe incroyable dont je ne percerai pas tous les secrets, et c’est bien comme ça, merci à mon corps d’être ce qu’il est, dans tout ce qu’il a d’unique. Mon corps, tu sais, je n’en voudrais pas un autre que toi.
(cc) luca savettiere
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