Cet article a été écrit dans le cadre de la Journée Spéciale “Ça déménage !” du 9 février 2017.
Juillet 2007. Je viens de fêter mes 21 ans. Je ferme mes derniers cartons. Je jette un dernier regard sur cet immense appartement dans lequel je viens de passer deux ans avec mes cousins. On a ri, on s’est engueulé, on a fait des fêtes incroyables. Mais depuis plusieurs mois, ça ne va plus entre nous. Ils sont deux. Je suis seule en face d’eux. Ou plutôt, je suis avec un garçon bien trop présent à leurs yeux. Il est temps pour moi de partir. Ils ne sont pas là quand je quitte l’appartement. Je suis triste, je ne voulais pas que cela se termine ainsi.
Mais je trépigne aussi d’impatience. Mon nouvel appartement m’attend – oui, enfin, un studio de 17m2. Mais ce sera mon premier appartement à moi, rien qu’à moi. Mon petit nid. Mon petit havre de paix. Un nouveau quartier. Une nouvelle vie, en somme. Pour m’aider ce jour-là, un collègue de mon père et l’un de mes amis. Une fois le dernier carton déposé, nous ouvrons une bouteille de vin avec un tire-bouchon emprunté à une voisine. Je souris. Je crois que je vais être heureuse ici.
Et puis vient le temps de tout déballer. D’installer mes photos, mes guirlandes, d’acheter un joli tapis de bain, des rideaux. J’adore ces moments-là. Rapidement, je me sens chez moi.
Mais, j’ai la sensation d’avoir un inconnu à mes côtés. Ce garçon qui partage ma vie depuis un an et demi n’a rien à faire dans ce décor. Je n’ai pas envie qu’il soit là. Je n’ai pas envie que cet endroit soit le nôtre. J’ai besoin qu’il m’appartienne à moi, rien qu’à moi. J’ai besoin d’apprendre à vivre seule… Adieu joli garçon.
Quelques mois plus tard, je rencontre Mister Big. Certaines d’entre vous connaissent l’histoire. Deux années et demi de sexe et de larmes. De ruptures et de retrouvailles. De rêves et de cauchemars. Ces 17m2 deviennent le théâtre de mon drame à huis clos. Victime consentante. Nous ne nous voyons que chez moi. Le « nous » n’existe pas en dehors de ces quatre murs. Deux années et demi. Et puis je réussis finalement à me libérer de ses chaînes, de mes chaînes. Mais quelle douleur de rentrer tous les soirs dans cet appartement, de me coucher dans ces draps.
Tout chez moi me rappelle Mister Big. J’ai la sensation de vivre sur les cendres encore brûlantes d’une maison incendiée ou d’un avion qui vient de se crasher. Certains soirs, j’ai l’impression d’entendre ses pas et sa respiration dans l’escalier.
Je voudrais fuir. J’étouffe. Mais l’immobilier parisien est ainsi fait. On ne déménage pas en un claquement de doigts, sur un coup de tête. Alors je tente d’éteindre les cendres. Je me bats avec le fantôme. Petit à petit, les murs de mon appartement ne sont plus les parois palpitantes de mon coeur meurtri. Il me faut partir, malgré tout. Deux autres années s’écoulent.
Et puis, un jour d’avril 2012, la délivrance arrive enfin. Je vais pouvoir partir. Recommencer ailleurs. Un appartement bien plus grand. Un appartement d’adulte, enfin. Je décide de vendre tous mes meubles.
Adieu Casto, Ikea. Bonjour les jolies pièces vintage auxquelles j’ai tant rêvé.
Je ne veux rien garder de cette vie-là. Rien garder de ces douleurs. Je crois que mon premier achat, ce sont de nouveaux draps. Tout est symbole, quand j’y repense aujourd’hui.
Le jour du déménagement, je suis entourée d’amis. Il est tôt ce samedi matin, certains ont la gueule de bois… Mais préfèrent une bière au café que je leur propose. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le camion est chargé. Forcément, sans meubles, c’est rapide. Presque cinq années de vie dans moins de 20m3. J’ai l’impression d’avoir ma vie encartonnée devant moi. Les camions de déménagement, ça me rend mélancolique.
Alors que je ferme pour la dernière fois la porte de mon studio Passage Rauch, je réalise que j’y laisse l’étudiante que j’ai été. J’y laisse mes larmes. J’y laisse le fantôme de Mister Big. Et je souris. Bientôt, je vais ouvrir une nouvelle porte.
(cc) Angela Cinicolo
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