J’ai tout retenu, car je n’oublie jamais rien, et je n’oublie jamais rien car je suis différente. Je n’ai jamais eu beaucoup d’amis, je pensais à l’époque que je n’étais pas assez bien pour eux, je n’avais pas compris que ce n’était pas moi, que j’étais juste là, les autres n’acceptaient pas.
Je retiens toutes les dates, et leurs moments dedans, et parfois ça pèse dans ma mémoire encombrée, c’est tout le temps là, chaque détail de nous, de vous, de moi. Quand j’ai peur je me pince les joues, et j’enfonce mes ongles dans la chair de mon cou, quand je réfléchis j’oscille la tête de droite à gauche pendant de longues secondes, toujours de droite à gauche, jamais l’inverse, quelques fois je m’arrête de marcher, sans aucune raison, parce que mon corps sans doute n’accroche pas mon esprit et que mes gestes déroutent. Parfois aussi je titube ; dans la rue je compte sur mes doigts, et pour m’endormir je compte jusqu’à 300, parfois plus, parfois moins.
Et dans ma tête j’écris tout le temps, j’écris des livres entiers, des pages coloriées de souvenirs, des tomes infinis de mots, de phrases. J’écris les histoires qui n’ont pas marché, j’écris le futur auquel je ne crois pas car je suis incapable de penser plus loin que demain.
J’en suis incapable car le passé accapare mon cerveau, et mon hypermnésie fait le sale boulot.
Je n’ai pas été élevée différemment de mes frères, j’avais juste un peu plus peur qu’eux. J’ai été choyée par mes parents, protégée par ma mère, assez, pas trop. Parce que c’est ça ma vie, la peur, la peur constante de tout, la peur du bonheur, la peur d’avoir peur, la peur de demain, d’hier.
J’ai peur du désordre aussi, et cet article est en désordre, mais j’ai eu besoin d’écrire ici, après avoir lu Storia, qui elle pose des mots sur ce qu’elle est, quand moi je n’ai aucun mot pour décrire qui je suis. Je ne suis pas autiste, le suis-je ? Je ne sais pas, parfois je lis des choses et je m’identifie dans ces catégories, mais après tout, qui définie tout ça ? Je pourrais être tout, ou rien.
Je suis différente, je suis asociale, introvertie, j’ai peur des gens, des inconnus et des connus, aussi, j’ai peur de parler en public mais j’ai aussi peur de ne rien dire, je n’aime pas le silence quand je suis seule mais je le chéris plus que tout quand je suis entourée.
J’ai des phobies, le vomi, les lézards et les regroupements d’animaux, peut-être la foule. Je parle souvent seule, quand je m’arrête dans la rue pour refaire mes lacets, je cours pour rattraper les pas que j’aurais pu louper, je peux lire dix fois la même phrase jusqu’à ce que je trouve l’avoir lue convenablement.
Je me souviens, enfant, je lisais les notices de médicament à voix haute, et si je butais sur un mot je relisais toute la notice. Je répète parfois mes gestes deux fois, et puis par temps de crises je me roule en boule en me bouchant les oreilles comme pour me protéger d’un monde extérieur qui rentrerait trop en moi.
Mais dehors c’est pas pareil… Dehors personne ne le voit.
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