Sur son blog intitulé avec humour Le ticket de Métro, Ovidie s'interrogeait le 21 janvier dernier sur le thème : "Images scandaleuses et censure : ce que dit le droit français." Pour y répondre, elle a questionné Maitre Emmanuelle Pierrat, auteur de divers ouvrages sur la censure. Malheureusement, beaucoup de généralités et des approximations. Des raccourcis, sans doute générés par le peu de place laissée à l'avocat pour s'exprimer. Darkness propose donc d'apporter quelques précisions.
Dans l'ordre de l'entretien :
Ovidie : Qu’est-il encore interdit de publier en France ?
Me Pierrat : Bien évidemment certaines images à caractère pornographique, en particulier celles mettant en scène des personnes dont on suppose qu’elles ne sont pas consentantes. Cela inclut le viol, les enfants, et certaines représentations SM. On ne peut pas non plus diffuser d’images de cadavres, de victimes d’attentat… La loi condamne tout ce qui porte atteinte à la dignité humaine.
Darkness : Les images à caractère pornographique ne sont pas interdites en France mais soumises à une législation qui protège les mineurs et l'atteinte à la dignité humaine (art. 227-24 et suivants du Code pénal). Le législateur n'a jamais défini une telle atteinte, laissant le soin au juge de se prononcer. Le problème tient plus de la publicité des représentations - si l'on excepte la pédopornographie - que de leur existence. Certaines images ne sont donc pas prohibées pour ce qu'elles sont, mais peuvent être interdites à la vue de certaines personnes, les mineurs par exemple, par la loi ou par le juge. Ce principe est ainsi mis en œuvre pour le cinéma avec la classification des films en fonction de l'âge des spectateurs.
Ovidie : Qu’est-ce qu’on entend par « dignité humaine » ? Le terme est assez flou…
Me Pierrat : C’est effectivement assez vaste. On peut prendre l’exemple de la campagne anti-tabac qui avait fait polémique en 2010. On y voit une personne à genoux, s’apprêtant à faire une fellation, le sexe étant ici remplacé par une cigarette, avec ce message "Ne soyez pas esclave du tabac" . C’est intéressant parce que cela sous-entend que faire une fellation c’est être esclave et cela porte atteinte à la dignité humaine. Mais en quoi tailler une pipe est-il un asservissement ? Nadine Morano, à l’époque secrétaire d’État chargée de la famille et de la solidarité auprès du ministre du Travail a été la première à avoir demandé son retrait au titre de « l’outrage publique à la pudeur ». La campagne a été interdite par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité.
Darkness : Si l'outrage public à la pudeur était un délit réprimé dans l'article 330 de l'ancien Code pénal de 1810, il a disparu depuis 1994 au profit du délit d'exhibition sexuelle (art. 222-32 du Code pénal) qui n'a rien à voir. Aucun tribunal n'a jamais condamné la campagne anti-tabac de 2010 pour atteinte à la dignité humaine. Si les visuels proposés ont pu être discutés et contestés, ils n'ont jamais été interdits par le juge. Par ailleurs, si l’ARPP a pour mission de mener une action en faveur d’une publicité loyale, véridique et saine dans l’intérêt des consommateurs, du public et des professionnels de la publicité, elle ne dispose d'aucun pouvoir de contrainte, administratif ou judiciaire.
Les autres réponses apportées dans l'entretien amalgament parfois diverses situations juridiques, confondant la régulation professionnelle, l'interdiction législative et les décisions de justice.