« Vingt Noirs à cinquante francs par jour valent moins cher qu’une machine alors usons le Noir. » Réalisé en 1949 par René Vautier, Afrique 50 est un documentaire français très engagé dénonçant les méfaits du colonialisme sur les populations africaines. Le film a été interdit d'exploitation totale en France pendant près d'un demi siècle. Le 18 septembre dernier, la coopérative audiovisuelle "Les Mutins de Pangée" vient de sortir le film censuré sous la forme d'un livre-DVD illustré par Michel Ocelot dans la collection "Mémoire Populaire", offrant pour la première fois un éclairage historique exceptionnel (textes, photos, lettres de René Vautier, vidéos) d'une œuvre pour laquelle le cinéaste sera condamné à une année d'emprisonnement.
René Vautier a également accompagné les Algériens dans leur combat pour l’indépendance dans Une nation, l’Algérie en 1954, ce qui lui vaudra une nouvelle fois d’être poursuivi pour « atteinte à la sûreté de l’État ». L’Algérie en flammes, autre documentaire filmé dans le maquis entre 1957 et 1958 aux côtés du FLN, l'entrainera une nouvelle fois en prison mais cette fois du côté algérien. Le site Rfi nous révèle en effet que recherché par les autorités françaises et une fois le film fini, René Vautier fut emprisonné plusieurs mois par le FLN qui ne pouvait admettre de faire la promotion d’un film « réalisé par un Français communiste alors que la direction du FLN affirmait ne recevoir aucune aide communiste » pour ne pas s’aliéner le soutien de pays arabes. Ce n’est qu’en juillet 1960 que René Vautier quittera sa geôle algérienne pour être sacré « premier cinéaste algérien ». Il forme alors les réalisateurs algériens et prend la direction des Cinés-Pops, cinémas itinérants. Le film Algérie en flammes ne sera diffusé en France pour la première fois qu’en 1968, dans la Sorbonne occupée. Mais c’est Avoir vingt ans dans les Aurès, primé à Cannes en 1972, l’un des rares longs-métrages de fiction qu’il réalisa et le premier film français mettant explicitement en scène la guerre d’Algérie, qui valut à René Vautier d’entrer dans les « classiques » du cinéma français.
Faute d'avoir déposé un nouveau dossier au CNC depuis son interdiction totale, Afrique 50 n’a jamais obtenu de visa malgré une première projection à la Cinémathèque française en 1966.
Albert Montagne ajoute : "René Vautier, cinéaste communiste et politique engagé, méconnu du grand public car tiers-mondiste, est le réalisateur français le plus censuré. Il a tâté de tout : des menaces, des coups, des procès, de la prison... Dans "Caméra Citoyenne, Mémoires", son livre biographique, le cinéaste avoue : "En voulant braquer ma caméra sur les luttes des travailleurs - des travailleurs en France, des travailleurs coloniaux, des travailleurs immigrés, etc. - j'ai rencontré quelques problèmes : 39 arrestations, 17 inculpations, 5 condamnations, 54 mois de prison, 6 séjours à l'hôpital, 11 fractures, 4 expulsions, 5 caméras détruites par matraques, balles ou grenades, 7.000 mètres de pellicules saisis, 60.000 mètres de pellicule détruits à la hache ou à la cisaille ... sans compter les dizaines de films pour lesquels je dois me battre en justice pour récupérer le droit de les montrer ". Afrique 50 n'est donc qu'une censure parmi tant d'autres. Le film lui coûta treize inculpations et une condamnation à un an et un jour de prison pour violences sur la personne d'un agent de l'autorité (mais aussi la médaille d'or au festival de Varsovie). Le "un" jour de prison est important car il prive tout citoyen français de ses droits civiques !"
Le film Afrique 50 sera projeté le 26 septembre 2013 au cinéma "La Clef", en présence de René Vautier, et le 7 novembre à Montpellier au cinéma "Diagonal".
Le livre-DVD Afrique 50 (134 pages, 22€) est disponible en librairie et sur le site des Mutins de Pangée depuis le 18 septembre 2013 : COMMANDER.