Si l'affaire n'a pas fait les gros titres de la presse, Clip (Klip, 2012), le premier long métrage de la réalisatrice serbe Maja Miloš, a suscité quelques débats dans les rangs de la Commission de classification en France. Finalement interdite aux -16 ans avec avertissement le 26 mars 2013, l’œuvre de la jeune cinéaste risque aujourd'hui de faire l'objet d'une action devant les tribunaux français...
- Le film controversé raconte la galère d'une adolescente de 16 ans vivant dans la banlieue de Belgrade. Entre les cours au lycée et sa chambre d'enfant, Jasna organise sa vie autour de son téléphone portable. Elle aime jouer devant la caméra, dans des positions souvent lascives, pour ensuite poster ses vidéos sur les réseaux sociaux. Elle sombre très vite dans les excès : l'alcool, le sexe et la drogue deviennent des préoccupations quotidiennes. Le sexe prend une place importante mais demeure froid et dénué de tout plaisir. Maja Miloš explique avoir voulu montrer le mal-être de la jeunesse serbe, un mal-être né de la guerre en Yougoslavie, déjà mis en avant par Srdjan Spasojeviċ pour justifier la violence de A Serbian Film (Srpski film) en 2009. Dans Clip, les nombreuses scènes de shoots, de beuveries et de sexe explicites relèvent d'une même volonté sauf que l'actrice principale du film, Isidora Simijonović, n'avait que 14 ans au moment du tournage... Et c'est bien là tout le problème.
- De nombreuses fois primé, Clip ne peut être exploité en Russie faute de pouvoir obtenir une autorisation. En France, après les nombreux débats qui ont suivi les différentes projections du film en sous-commission puis en commission plénière, la ministre de la Culture décide d'interdire l’œuvre de Maja Miloš aux -16 ans avec avertissement : « Les scènes de sexe et de drogue peuvent choquer un public jeune. » Une décision plutôt clémente lorsqu'on la compare à l'interdiction de même niveau infligée à Sleeping Beauty de Julia Leigh en novembre 2011, film qui pourtant ne contient aucune scène de sexe.
- Clip pose un problème juridique puisqu'en mêlant une actrice mineure à des scènes de sexe, le film serbe contrevient à l'article 227-23 du code pénal qui punit « le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d'enregistrer ou de transmettre l'image ou la représentation d'un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique ». Si l'on sait depuis longtemps que la loi pénale s'applique aux œuvres cinématographiques, on avait oublié que le juge pouvait également sanctionner la « représentation ou l'image pornographique d'un mineur », qu'elle soit montrée directement ou simplement suggérée, réelle ou imaginaire comme l'a souligné la Cour de cassation en 2007 en confirmant la condamnation du distributeur du manga Twin Angels - le retour des bêtes célestes - Vol. 3.
- Dans le cas du film de Maja Miloš, comment apprécier un montage habile laissant croire au spectateur qu'il assiste à des scènes de sexe impliquant la jeune actrice de 14 ans, puisqu'il lui faut attendre le générique de fin pour découvrir qu'aucun acteur mineur n'a participé au tournage des scènes litigieuses et que seule l'alternance des plans est parvenue à créer la confusion ? Clip devait-il être interdit à tous les mineurs, doit-il être considéré comme pornographique ou bien aurait-il dû faire l'objet d'une interdiction totale ?
- Un bref rappel des affaires Baise-moi et Ken Park peut sans doute nous aider à y voir un peu plus clair. En juin 2000, le ministre de la Culture interdit Baise-moi (2000) aux -16 ans avec avertissement. Une semaine plus tard, estimant le niveau de classification insuffisant, le Conseil d'État annule le visa d’exploitation du film de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi. Après quelques péripéties juridiques et la réintroduction de l'interdiction de représentation aux mineurs, Baise-moi sort de nouveau sur les écrans français interdit aux -18 ans. Quelques années plus tard, le juge réaffirme sa position dans l'affaire Ken Park (2002). Autorisé aux seuls spectateurs de plus de 16 ans en 2003, le film de Larry Clark est finalement interdit aux -18 ans en février 2004, après que le juge explique que Ken Park devait être interdit à tous les mineurs puisque comportant « une scène particulièrement crue et explicite de sexe non simulée, ainsi que d’autres scènes qui représentent elles aussi des adolescents en mêlant sexe et violence ». Si pour l'heure Clip n'a fait l'objet d'aucune action particulière devant les tribunaux français, il est vraisemblable que ce raisonnement guide encore le juge s'il venait à être saisi...
L'article a également été publié sur le site Cinemafantastique.net dans la chronique "Renvoyez la censure !". Pour y accéder, cliquez ICI.