Une future maman se doit d’être toujours bien accompagnée. C’est un peu la base. Mais rassurez-vous, du moment qu’un signe positif apparaît sur son test de grossesse après s’être copieusement uriné sur les doigts, la femme enceinte n’est plus seule.
D’un coup, d’un seul, elle se retrouve entourée,
épaulée, suivie, écoutée. Une présence, plus proche que la meilleure des meilleures amies se love soudainement au creux de son épaule. Pour ne plus jamais la quitter, quelle que soit l’heure du jour et de la nuit.
Mais qui est donc ce Gemini Cricket si bienveillant ?
Je vous le donne en mille : la culpabilité.
Depuis l’annonce de ma grossesse, elle ne me quitte pas d’une semelle, et trouve toujours un subtil moyen de se glisser entre mes deux oreilles. En fait c’est simple, j’ai l’impression que nous avons fusionné. À tel point que toute la rationalité que je pouvais avoir a totalement déserté, corps et biens. Je préviens donc ceux qui auront le courage d’aller au bout de ma diatribe : rien de ce qui suit n’est lié à la raison. Et il est évidemment inutile de me dire qu’il faut que j’arrête de m’en faire autant : comme toute femme, enceinte de surcroît, j’ai mis le doigt dans un engrenage bien plus grand et plus fort que moi.
Le sentiment de culpabilité est un de mes vieux compagnons de route. Mais depuis l’annonce de ma grossesse, c’est carrément Joe L’Incruste. Très rapidement, mon corps a commencé à changer, et j’ai éprouvé de nouvelles sensations. J’ai donc très vite compris que pour les mois à venir, j’allais être un hôtel et que mon invité allait complètement refaire la déco et pousser les murs. Et comme j’essaie toujours d’être une hôtesse agréable, j’ai tenu de suite à ce qu’il manque de rien et à ce qu’il se sente chez lui. En même temps, j’ai aussi voulu poser des limites, parce que l’hôtel, après tout, il est à moi, et que j’ai quand même un peu envie d’en profiter.
J’ai donc commencé à culpabiliser chaque fois que j’avais des nausées, soit 42 fois par jour environ. Quelle ignoble mère faut-il être pour faire subir l’équivalent d’un séisme niveau 7 sur l’échelle de Richter à son rejeton toutes les fucking demi-heures ? J’ai aussi commencé à culpabiliser de perdre du poids : non seulement je le secoue comme un prunier mais en plus je l’affame. Je suis un Ténardier, que fait la police ? Quand j’arrive à m’alimenter, forcément, ce n’est jamais vers les haricots vapeur que je me tourne. Du gras et des féculents : je fais de mon futur enfant un carencé en puissance. Et comme si ça ne suffisait pas, je lui soumets de gros shoots de cortisol, l’hormone du stress. Parce que je stresse pour les mêmes raisons qu’avant la grossesse et qu’en plus, je stresse de tout ce qui pourrait m’arriver et arriver à mon fœtus maintenant que je suis en cloque. Forcément, tout ce stress me fait culpabiliser.
Corollaire : je culpabilise de travailler tout en culpabilisant de me demander si travailler est une bonne idée. Bossant dans le trou du cul du monde, j’ai pas loin de trois heures de transport par jour. Régulièrement, ce temps de transport m’interroge. Est-ce bien raisonnable de se taper autant de train chaque jour ? Est-ce bien raisonnable de m’infliger cette fatigue ? Rationnellement, non, et c’est un signal qui vient directement de mon ventre. Mais l’idée même d’adapter mes horaires ou ma charge de travail me ronge. Après tout, je suis pas malade, et d’autres l’ont fait avant moi. Pour quoi je vais passer si je demande un traitement de faveur là où certaines de mes collègues se targuent d’avoir fait une Rachida Dati, et semblent donc me reprocher de pas envisager de faire la même chose ?
Depuis quelques semaines, je m’interroge aussi sur mon retour de congé maternité. Pour tout un tas de raisons, on se pose la question d’un congé parental de deux mois avec l’amoureux. Pour tout un tas de raisons, si on opte pour cette solution, c’est moi qui prendrais le fameux congé. Quelque part, cette idée me réjouit. Et je vous le donne en mille : elle me prend en même temps l’estomac. Comment moi, féministe revendiquée, militant pour l’indépendance, l’autonomie et l’équité de mes sœurs, je peux décemment envisager de rester deux mois de plus à la maison à regarder mon bébé pendant que mon mec ira au turbin ? Ne suis-je pas une traîtresse à ma cause ? Ne suis-je pas en train de reproduire ce que je conchiais jusqu’à cet été ?
Le simple fait d’écrire cet article est source de culpabilité. Moi qui ait toujours trouvé que les femmes enceintes qui ne parlaient que de leurs nombril étaient des grosses reloues, me voilà en train de faire exactement la même chose. Je suis en train de me renier totalement. Mais que faudrait-il que je fasse ? Que j’ignore totalement ce que je suis en train de vivre alors que 112% de ce que je ressens et de ce que je vis est centré sur mon nombril (qui commence à sortir), quitte à passer à côté, pour ne pas passer de statut de personne à celui de mumtobe ? Ou est-ce que je peux m’autoriser à y aller comme je le sens, quitte à passer de l’autre côté ? Dans un cas comme dans l’autre, je me sens coupable de pas être en phase avec moi-même…
Le comble, c’est que je me suis même déjà surprise à culpabiliser d’être enceinte. C’est facile, il suffit de regarder un JT. Quelle personne normalement dotée d’intelligence aurait envie de mettre un enfant au monde, vu la gueule du monde dans lequel on vit ? N’est-ce pas totalement inconscient, absurde, égoïste voire dangereux ?
Et comme si ça ne suffisait pas, en plus de me culpabiliser toute seule comme une grande, il y a les autres. Mon mec, ma famille, mes amis, les soignants, mes collègues de travail, des inconnus dans la rue, le rayon maternité de la bibliothèque municipale : une belle population unie par ses avis bien arrêtés sur la grossesse et sur ce que peut ou ne peut pas faire une femme enceinte. Que j’accepte ou non cette coupe de champagne, que je mange ou non ce morceau de saint nectaire fermier, que je reste debout ou que je m’assoie dans les transports en commun, que je sois fatiguée ou en forme, que j’aie envie de me préserver ou d’en faire autant qu’avant : le monde entier est désormais légitime pour me dire ce que je peux ou dois faire. Et devinez quoi ? Globalement, je fais au pire mal, au mieux, pas assez bien. Ce qui fait qu’alors que je suis supposée évoluer vers une nouvelle étape de ma vie de femme, je me retrouve reléguée au rang de petite fille qu’il est bon de montrer du doigt.
Et ça, forcément, ça me fait culpabiliser.