Ce matin, en me levant, j’ai eu une furieuse envie d’écouter Etienne Daho. Certes, ça m’arrive régulièrement. Mais ce matin, c’était un morceau bien particulier que je voulais écouter.
Au moment d’appuyer sur play, je me suis dit quelque chose que je n’aurais jamais cru possible. Quelque chose de si simple et de si absurde, que juste après l’avoir pensé, j’ai pleuré. Je me suis dit » Cette chanson me fait du bien. J’aime bien l’écouter après des attentats ».
Je me suis donc déjà construit des rituels de survie en cas d’attentats. Je me suis habituée. Je suis prête. Ils auront gagné au moins ça.
Dans la nuit de samedi, pourtant, j’ai expérimenté la peur. La vraie. Celle qui prend les tripes, celle qui fait perdre de contrôle de son corps. J’étais prostrée dans mon fauteuil, je regardais la télé et je tremblais. Pas pour moi. Mais pour tous ces gens que j’aime, que j’aime si fort, et qui auraient pu être dans ce massacre. Parce qu’ils aiment le métal. Parce qu’ils vont dîner régulièrement au Carillon. Parce qu’ils travaillent au Stade de France. Parce qu’ils ont leur petit ami qui vit dans ces quartiers aujourd’hui ensanglantés. Parce qu’ils vivent, sortent, rient, aiment. Parce qu’ils sont comme moi. Parce que ce sont mes frères et mes soeurs. Parce que c’est pour cette raison qu’on les a attaqués. Parce que c’est contre eux, contre vous, contre moi qu’une force obscure est entrée en guerre.
Par une chance inouïe, aucun d’entre-eux n’a été touché. Tous vont bien. Ils sont là. Mon soulagement est immense autant qu’il est égoïste. Les gens que j’aime sont tous là, et je pense à tous les autres. Et je me demande :
Qu’est qu’on fait maintenant ?
Nous avons l’habitude maintenant. Nous avons déjà vécu ça. Le chaos, la haine, le repli sur soi, l’ignorance, l’obscurité sont à nos portes. Cette guerre est perverse. Point de tranchées, point de char d’assaut. Juste des éclairs d’une violence inouïe qui agissent en chacun de nous comme des détonateurs. Pour nous transformer un à un en bombes à retardement. Nourris à la colère et à la haine, pour qu’à notre tour, nous soyons prêts à nous entre-tuer, pendant qu’ils nous observent de loin, en se frottant les mains. Ils peuvent gagner. Ils n’en sont pas si loin. Il n’y a qu’à allumer vos ordinateurs pour le voir. Elle prend la forme de commentaires, de statuts, de « petites phrases ». On accuse l’Autre. Cet Autre qui est forcément responsable, vu qu’il est différent. « Je ne peux pas être responsable, mon modèle est le bon. Mon modèle est Juste. Le coupable, c’est l’Autre. Il est coupable, parce qu’il ne se plie pas à mon modèle, qui est la Norme ».
Ecoutons-nous. Regardons-nous. Cessons d’être dupes. Nous sommes tous responsables. Nous avons tous un rôle à jouer, si petit soit-il. Soyons enfin humbles. Ouvrons-nous. Arrêtons de nous placer au dessus de la mêlée. Arrêtons de considérer notre échelle de valeur comme étant Universelle. Apprenons à nous connaître, à sortir de notre zone de confort. Allons au devant de l’Autre. Ecoutons ce qu’il à dire. Considérons enfin qu’il a peut-être quelque chose à nous apprendre. Aimons-nous. Ouvrons-nous. Ce monde est fou, complètement fou. mais nous en sommes responsables. Il est de notre devoir de le soigner, de le guérir.
La haine se nourrit de la haine. L’obscurité se nourrit de l’obscurité. Comment pourraient elles survivre si nous inondons le monde de lumière et d’amour ? Mon discours n’est pas naïf. Il n’est pas utopique. Il est simple. Il est évident. Mais il est difficile à mettre en application, car vous autant que moi, nous devons dès aujourd’hui nous remettre en question. Remettre en question nos modèles et nos valeurs. Nous devons admettre que nous nous sommes trompés. C’est dur. Surtout quand on voit à quel point nous sommes attachés si forts à des dogmes, que c’est comme s’ils allaient de soi. Comme s’ils étaient naturels. Se déconstruire ne signifie pas se renier. C’est aller de l’avant. C’est regarder l’avenir. C’est se servir du passé pour devenir plus fort et plus grand. C’est apprendre.
Nous ne pouvons pas les laisser gagner. Soyons plus grands qu’eux. Soyons plus forts. Ils veulent entrer en guerre ? Saisissons nous des armes qui les anéantirons : l’amour et la connaissance.
Nous sommes soeurs et frères. Prouvons-leur. Aimons-nous.