L’autre soir, j’ai regardé en replay un docu produit par canal plus sur le French Bashing. Non pas que le sujet me passionne . Il n’y avait rien de plus attrayant à la télé, et je me suis dit que ça plutôt qu’autre chose, pourquoi pas.
Mais très vite, j’ai déchanté, et j’ai commencé à me tortiller sur mon canapé. Non que le French Bashing me tienne particulièrement à coeur (à vrai dire je m’en bats un peu le steak, les clichés sont toujours une plaie), mais plus j’avançais dans le docu, plus je sentais le malaise en moi grandir. Au début, j’avais du mal à mettre le doigt dessus, puis soudain, ça m’a éclaté au visage.
Plus de vingt minutes de film, et rien d’autre que des hommes blancs à l’écran. Des acteurs, des historiens, des écrivains, des journalistes, des ex-ministres, des traders, des pdg, des anglais, des américains, des français. Rien que des mâles. Tous blancs. Non, attendez, je suis mauvaise langue : deux femmes ont eu le loisir de s’exprimer, de quoi je me plains ! Deux femmes sur dix huit intervenants. Mais pas n’importe lesquelles : la première a écrit un bouquin sur la maternité, la seconde est co-auteur de la bible anglo saxonne du style à la parisienne. Une référente maternité, et une référente mode donc. Vous commencez à percevoir le loup ? Des hommes nobles historiens, journalistes et traders et des femmes mamans et modasses ?
Partons du principe communément acquis que j’en fais des tonnes et que je vois le mal partout. Après tout, il est communément admis que nous autres, féministes, en faisons toujours des caisses. Et donc admettons que la présence quasi exclusive d’hommes blancs comme référents ne soit qu’un pur hasard, une malheureuse coïncidence.
Reprenons du début : selon Wikipédia, un documentaire « peut proposer une lecture créatrice du réel » et « le tournage d’un documentaire influe sur la réalité qu’il filme et la guide parfois, rendant donc illusoire la distance théorique entre la réalité filmée et le documentariste. » Le documentaire est donc question de choix : le réalisateur traduit sa vision toute subjective d’une réalité. Le tout dans un laps de temps défini. Le réalisateur choisit le sujet à traiter et l’angle à aborder. Ici, l’auteur, Jean-Baptiste Péretié, a décidé de nous montrer que le French Bashing c’était quand même un peu cliché, et qu’il traduisait la relation « je t’aime, moi non plus » que la France entretient depuis des années avec les anglo-saxons. Une relation entre amour, admiration, jalousie, rancune et incompréhension.
Il aurait tout aussi bien pu servir un autre angle, justifiant la très grande véracité du French Bashing. D’autres images, d’autres experts, un autre montage et le tour est (en gros) joué. Ce que je veux dire ici, c’est qu’un documentaire n’est pas la résultante d’un hasard ou d’une coïncidence. Il est écrit.
De là à dire que le réalisateur a choisi délibérément de faire de l’entre blanches couilles, il y a quand même un fossé. Il est très certainement de très bonne foi. Exemple : il interroge un ex ambassadeur de la France à Washington. Or, manque de pot, tous les ambassadeurs français aux US ont été jusqu’à aujourd’hui des hommes blancs. Ok. Mais il a aussi choisi d’interroger un député britannique. Or, il aurait pu tout à fait choisir d’interroger l’une des 193 (sur 774, sic) députées actuellement élues. Certes, le choix est un peu plus restreint, mais gageons que sur les 193, il aurait pu en trouver ne serais-ce qu’une qui soit à la fois disponible et apte à servir son propos.
Idem pour le choix qu’il a fait d’interroger les PDG de Publicis et de Vente Privée, deux entreprises frenchies qui rayonnent à l’international. Est-on absolument certains qu’il n’existe aucune alternative féminine et / ou non blanche ? Allez, au hasard, après trois minutes de recherche sur google(bon ok, ça a été un peu plus long de trouver une entrepreuneure racisée) (d’ailleurs je n’en ai trouvé qu’une seule) : Hapsatou Sy, par exemple, qui est à la tête de plusieurs entreprises et qui a en plus vécu aux Etats Unis. Ou alors Marie-Laure Sauty de Chalon, PDG de aufeminin.com, qui n’est présent que dans dix pays. Idem pour les journalistes, les historiens ou les acteurs. C’est vraiment si difficile à trouver un comédien qui ne soit pas blanc et qui a un avis sur le French Bashing ?
Admettons que l’auteur du documentaire n’a pas « fait exprès », et qu’il n’a même pas fait attention à tout ce que je viens d’évoquer. C’est plausible après tout : il peut tout à fait me rétorquer qu’il n’a absolument pas fait le choix délibéré ne de montrer que des hommes blancs et quelques femmes dans des postures hyper stéréotypées (mode et maman, je le rappelle). Qu’est ce que ça dit ?
Nous sommes d’accord qu’il y a approximativement autant d’hommes que de femmes dans le monde. Et que parmi ces hommes et ces femmes, les blancs sont loin d’être tous seuls. C’est ce qu’on appelle de la manière la plus dégueulasse qui soit des « minorités » (colonialisme et ethnocentrisme, je hurle vos noms). Si on fait un calcul tout bête, même moi qui suis la pire des billes en maths, je suis capable de constater que la minorité en fait, c’est l’homme blanc. Or, fermez les yeux deux secondes, et représentez-vous un député lambda. Que voyez-vous ? Un homme blanc quadra ou quinqua. Même exercice pour le journaliste, l’écrivain, le trader, l’historien, l’ambassadeur ou le pdg. Une belle brochette d’hommes blancs.
Oui, me direz-vous, mais ils sont majoritaires à ce genre de poste ! C’est normal que ce soit eux qu’on se représente !
l’homme « normal » vu de l’espace : un couple de blancsNormal ? Drôle de mot. L’homme blanc journaliste ou ambassadeur serait donc une norme ? Qu’est ce que ça dit en creux de ceux qui ne sont ni des hommes, ni blancs ? Que lorsqu’ils accèdent à ces rangs-là ce n’est plus « normal » ? Là d’un coup on met le doigt sur ce qui pique le plus fort. Le privilège des blancs, et le double privilège des hommes blancs. Ils sont la norme. Ils ne représentent qu’une toute petite minorité de l’humanité, et pourtant ils sont considérés comme la norme. Le blanc, « c’est la couleur biologique et sociale de la norme et du pouvoir. » Et si le racisme et le sexisme (le fait de discriminer une personne en fonction de sa couleur de peau, de son appartenance religieuse ou culturelle ou de son genre) n’a pas de sens, le privilège blanc et plus précisément le privilège de l’homme blanc n’en a pas plus.
Autre gros problème du documentaire : il y est dit à plusieurs reprise que « tapette », « lady » « pussy » (dans le sens de sexe féminin) ou « efféminé » sont des insultes, les pires du French Bashing. Autrement dit, comparer un mâle à tout ce qui est apparenté au féminin est considéré comme étant un affront suprême. Ok, je dois le prendre comment là ? Avoir les mêmes attributs de genre et de sexe que moi est une insulte ? Ce que je suis est une insulte ? Ça ne vous gène pas d’exprimer comme ça, en toute impunité que de ressembler de près ou de loin à une gonzesse est infamant ? En tant que greluche je fais quoi, je vais me jeter sous un train ou validez-vous mon existence jusqu’à ce que je vous ponde un chiard aussi blanc et con que vous ?
Excusez-moi, je me suis emportée : travers de féministe. Excusez-moi si j’ai dérangé votre quiétude.
French Bashing, docu d’homme blanc pour des hommes blancs m’a dérangée. Parce qu’il traduit une réalité problématique. Parce que je m’en suis sentie totalement et gratuitement exclue. En tant que blanche, mais femme, j’ai bien moins que certain-e-s l’occasion de faire l’expérience de ce sentiment, mais le peu que j’ai vécu, j’ai trouvé ça vraiment dégueulasse. Et vraiment pas normal.