Peinture de Tamara de Lempicka
En écrivant sur ce site, et très récemment en parlant de littérature érotique, je me suis souvent posé la question des termes à utiliser lorsqu’on parle d’une « oeuvre » représentant/évoquant la sexualité (par oeuvre j’entends création artistique, film, dessin, texte, photos…). Dans l’usage commun, le terme « porn(o) » est généralement associé aux vidéos et films, et a souvent une connotation péjorative (vulgarité) ; tandis qu’on parle plutôt d’érotisme dans des contextes de « suggestion », qui montrent moins que le porno, et par opposition à celui-ci, soulignent une approche plus « esthétique ».
Comme le décrit très bien André Breton « La pornographie, c’est l’érotisme des autres », il est aussi évident que ce qui serait considéré comme pornographique pour certains serait tout juste érotique pour d’autres – et inversement. Érotisme ou pornographie concernent le sexe, l’excitation, et donc l’intime, on touche ici à quelque chose de résolument objectif. Pour moi, le terme de porn(-etc) n’est pas nécessairement péjoratif et ne comprend pas seulement les films et vidéos. À l’inverse, certaines oeuvres dites « pornographiques » comme les créations de A Four Chambered Heart me semblent plus érotiques que pornographiques.
Une simple recherche sur Google confirme ce ressentit : il apparaît clairement que la limite entre érotisme et pornographie est très fine, la définition de l’un s’imbriquant indéniablement dans l’autre, et la différence bien difficile à clarifier.
Pour certains, « la pornographie n’a rien à voir avec l’érotisme ». L’étymologie et la définition du terme pornographie intègrent en effet une notion d’obscénité dans la manière de représenter la sexualité :
« L’obscénité renvoie à l’indécence, à des représentations de la sexualité qui blessent la délicatesse par les manifestations grossières de la sexualité. Par conséquent, parler de pornographie «choquante», «extrême» ou «dégoûtante» est un truisme dans la mesure où la pornographie fait référence, par sa définition même, à des images obscènes. En revanche, l’érotisme désigne toute attitude ou représentation ayant rapport à l’amour physique, au plaisir et aux désirs sexuels. »
– Extrait de cet article du Huff Québec par Gregory Kudish
L’auteur de cet article s’appuie sur cette différenciation pour aborder le problème de la consommation de porno « trash » chez les jeunes – et la construction de leur sexualité. Je peux comprendre sa réflexion, mais je ne partage le postulat de base – on renvoie à nouveau le porn à quelque chose de violent, sexiste, et extrême, en occultant toute possibilité de porn respectueux et esthétique (qui existe pourtant). Cette distinction me gène d’autre part car on revient à cette limite difficile à définir : qu’est ce qui est obscène, qu’est-ce qui ne l’est pas ? Je suppose qu’à travers le regard d’un catho traditionaliste, deux femmes s’embrassant dans la rue relève de l’obscène, alors que pour d’autres personnes plus ouvertes d’esprit ce ne sera qu’un geste de tendresse entre deux personnes qui s’aiment, et cela n’aura rien de sexuel ou de dérangeant. De plus, la notion d’obscénité est très fortement liée à la culture à laquelle on appartient, et ça implique un jugement moral qui découle généralement d’une entité politique ou religieuse supérieure.
D’autres distinguent la pornographie et l’érotisme par un angle plus philosophique – intégrant par ailleurs ce jugement moral qui ressort dans les réflexions précédentes :
« La pornographie réifie (chosifie). L’érotisme fétichise (humanise) (…) même chez ceux et celles qui le formulent de façon embryonnaire, le jugement moral porté sur la pornographie procède de cette distinction fondamentale« . (…)
Un des traits saillants de la pornographie est cet isolement de zones corporelles. On vous montre un cul, une poitrine, une bite qui s’agite. On sépare ces objets de la personne qui est au bout. (…) L’implicite érotique laisse deviner et force l’activité humaine (mentale, au premier chef) que l’explicite pornographique retire des corps et des organes-choses d’acteurs et d’actrices sans noms qui s’agitent sans interagir.
– Extrait de cet article de Ysengrimus, à lire dans son intégralité
Si on prend maintenant les définitions Wikipédia de ces termes, l’imbrication apparait encore plus clairement :
D’après ces définitions, l’érotisme regroupe un ensemble de choses éveillant le désir sexuel (et pas seulement les représentations) alors que la pornographie est en elle-même une représentation de la sexualité. Il n’y a donc dans ces définitions pas d’opposition réelle entre ces deux termes mais plutôt une imbrication complexe : le porno, aujourd’hui créé dans le but de stimuler et exciter, peut se révéler érotique si l’objectif d’éveiller le désir est atteint.
Dans la suite de la définition, il est précisé que « l’érotisme se différencie de la sexualité, car il ne renvoie pas à l’acte sexuel lui-même, mais plutôt à tout ce qui provoque le désir sexuel, et à toutes les projections mentales que celui-ci évoque, en particulier les fantasmes. » La pornographie, pour ce qu’on en fait aujourd’hui, est bien une représentation de l’acte sexuel – même si ce n’est pas une représentation de la sexualité réelle, et la mise en scène de fantasmes.
C’est donc peut être ici que se situe la limite : la pornographie est une représentation de l’acte sexuel en lui-même tandis que l’érotisme n’est qu’une évocation de la sexualité. L’érotisme fait appel à l’imaginaire, aux non-dits et au fantasme, la pornographie se contente de montrer sans tabou – ce qui peut être considéré comme obscène.
Au final, l’objectif est malgré tout le même : exciter, susciter le désir sexuel via des représentations ou suggestions de la sexualité. Dans les deux cas on joue sur le fantasme, et dans les deux cas, la différenciation se joue sur des détails « moraux » et discutables tels que la question de ce qui est obscène ou ne l’est pas, ou ce qui définit un « acte sexuel » – un baiser, qu’on pourrait considérer comme fortement érotique, ne serait-il finalement pas trop explicite pour ne pas tomber dans la cour du porno… ?
Image extraite de Sunstone, une BD érotique superbe par Stjepan Sejic
La réponse à mon interrogation du début de l’article est contenue dans la question : il est très difficile, voire impossible, de définir une distinction claire et objective (sans impliquer de jugement moral) entre érotisme et pornographie, et il n’existe pas non plus d’antagonisme flagrant entre les deux termes. Si ils expriment des concepts différents, ce ne sont finalement que des nuances d’un même thème : la représentation de la sexualité en vue de susciter une excitation. Et dans la plupart des cas, l’utilisation de l’un ou de l’autre ne relève que de la pudeur morale !
Et vous, que pensez-vous de cette distinction ?