Au cours du mois dernier, le philosophe Michel Onfray s’est retrouvé, pour son plus grand plaisir, au cœur de toutes les conversations médiatiques. Pendant quelques jours, penseurs et éditorialistes se sont succédé pour donner leur avis sur «le cas Onfray», pour le critiquer ou le défendre. Il y a, bien sûr, quelque chose de rassurant à entendre enfin des voix s’élever contre les libertés avec les faits prises par notre nouveau Pangloss. On rappellera, à titre d’exemple, que ses élucubrations sur ce qu’il appelle «la théorie du genre» ne constituent qu’un avatar parmi d’autres de ses très nombreuses affabulations où se mêlent démagogie, suffisance, certitude, ignorance délibérée du réel et approximations. D’un autre côté, on se ne peut s’empêcher de songer avec inquiétude que celles et ceux qui ont voulu lui porter la contradiction ont surtout réussi à le placer, provisoirement au moins, au centre du débat d’idées français…
Depuis plusieurs années, on se demande pourquoi les forces politiques conservatrices et réactionnaires progressent sans discontinuer un peu partout en Europe, alors que celles qui devraient leur faire contrepoids semblent gagnées par le défaitisme. L’une des raisons de cette évolution est peut-être que les secondes apparaissent le plus souvent à la remorque des premières. Elles leur répondent, elles réagissent, elles s’indignent, mais toujours dans un second temps. Ce ne sont pas elles qui imposent leurs thèmes de débat, leur agenda politique en fonction duquel les autres doivent se positionner.
C’est ainsi qu’on fact-checke les mensonges de Marine Le Pen, qu’on écrit des livres pour répondre à Éric Zemmour (Contre Zemmour. Réponse au suicide français de Noël Mamère et Patrick Farbiaz, éditions Les Petits matins), qu’on décortique «le système Soral» (Enquête sur un facho business de Robin d’Angelo et Mathieu Molard, éditions Calmann-Lévy) ou «la galaxie Dieudonné» (Pour en finir avec les impostures de Michel Briganti, André Déchot et Jean-Paul Gautier, éditions Syllepses), qu’on analyse les ressorts de La Manif pour tous (Le Mai 68 conservateur. Que restera-t-il de La Manif pour tous ? de Gaël Brustier, éditions du Cerf)…
Tout cela est bel et bon, et peut-être nécessaire. Mais c’est autant de temps et d’énergie qui ne sont pas consacrés à l’élaboration d’un projet politique d’émancipation qui se suffirait à lui-même de façon positive, sans avoir besoin de s’appuyer, comme sur une béquille, sur sa Némésis. Dans cette lutte pour l’hégémonie culturelle, il est urgent d’accorder moins d’attention et d’intérêt aux Onfray, aux Morano, aux Ménard et à leurs tristes consorts et plus à celles et ceux qui, à tâtons, tentent d’inventer des modes de subversion de toutes les formes de domination.
(Édito paru dans Hétéroclite n°104, octobre 2015)
N. B. : nous avions interviewé Michel Onfray en juillet 2010 à l’occasion de la parution de son essai contre Freud, un entretien que l’on peut retrouver ici.
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