L’annonce, fin février, des résultats de l’essai Ipergay, plutôt encourageants, a suscité des réactions (souvent exagérément) enthousiastes dans la presse généraliste et d’autres beaucoup plus sceptiques au sein de la communauté gay (habituée, il est vrai, aux effets d’annonce sans lendemain en matière de lutte contre le sida).
Pour mémoire, cet essai (mené sur plus de 400 hommes gays séronégatifs durant deux ans) visait à tester l’effet de la prise préventive de médicaments antirétroviraux (en jargon scientifique, la Prophylaxie Pré-Exposition, ou PrEP) sur la contamination au VIH. Depuis le début des années 2010, plusieurs études ont montré que la PrEP, si elle est loin d’avoir l’efficacité d’un vaccin, réduisait de façon significative le risque de contracter le virus (l’essai Ipergay affiche ainsi une diminution du risque de 86%).
Pourtant, la PrEP est loin de faire l’unanimité, aussi bien au sein de la communauté gay que dans les associations de lutte contre le sida. C’est normal et plutôt sain : c’est le contraire (l’éventuelle absence de débats) qui devrait nous inquiéter. Et ce d’autant plus que les critiques adressées à la PrEP sont nombreuses et justifiées.
En voici quelques-unes (et la liste est loin d’être exhaustive) : la PrEP ne peut concerner qu’une toute petite minorité (surtout les gays qui n’utilisent jamais ou rarement le préservatif) au sein de la minorité que constituent déjà les populations où la prévalence du VIH est la plus forte (gays et migrants essentiellement). La PrEP ne protège pas des autres infections sexuellement transmissibles (IST), en forte recrudescence. La PrEP ne protège qu’imparfaitement contre le VIH. La PrEP coûte un bras (520€ la boîte de 30 comprimés !). La PrEP représente une manne financière colossale pour les laboratoires pharmaceutiques. La PrEP, comme tout traitement antirétroviral, peut avoir des effets secondaires indésirables lourdes. La PrEP risque de troubler le message de prévention. Etc., etc.
Certains soulignent également que les résultats obtenus par Ipergay l’ont été dans un cadre «optimal» (les participants de l’essai étaient suivis par des médecins, bénéficiaient de conseils de prévention réguliers, etc.), impossible à reproduire «dans la vraie vie». Là encore, cette critique est justifiée. Mais ce décalage entre ce qui se vérifie sur le papier ou en laboratoire et ce qui se vérifie dans la pratique existe aussi pour le préservatif.
Il est exact que le préservatif reste à l’heure actuelle le moyen le plus efficace de se prémunir non seulement du VIH mais aussi des autres IST. Il n’en est pas moins vrai (pardon pour cette lapalissade) qu’une technique de protection, aussi performante soit-elle, perd toute efficacité lorsqu’elle n’est pas utilisée. Or, c’est ce que montrent toutes les enquêtes réalisées ces dernières années : l’usage systématique du préservatif régresse chez les gays.
Il faut, bien sûr, poursuivre les campagnes ciblées de promotion du préservatif. Mais, si elles peuvent avoir un effet chez ceux qui «oublient» occasionnellement la capote, elles ne parviendront pas à convaincre ceux qui la refusent systématiquement ou presque. Ceux-là, en 2015, sont évidemment conscients des risques qu’ils prennent (on peut même avancer l’hypothèse qu’ils sont mieux informés sur le VIH et les IST que la moyenne des gays) et ce n’est pas un énième rappel des dangers encourus qui peut les faire changer d’avis.
Pour eux (et pour eux seulement), la PrEP peut être un outil de prévention imparfait mais intéressant. Ne lui fermons donc pas totalement la porte…
Photos : l’antirétroviral Truvada, une combinaison de ténofovir et d’emtricitabine commercialisé par le laboratoire Gilead et utilisé à titre expérimental dans le cadre de l’essai Ipergay
Photo 1 © Jeffrey Beall
Photo 2 © Lukas Braun
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