«L’égalitarisme ré-pu-bli-cain en vigueur diffère du républicanisme réel en ce qu’il ne doit jamais être pris au pied de la lettre. Il n’est que proclamé, théorique donc virtuel.»
(Philippe Marlière, Rebelles imaginaires, Têtu n°203, octobre 2014)
Les propos de Xavier Dolan, qui se dit «dégoûté» par l’existence de prix récompensant les films à thématiques LGBT, ont trouvé un écho presque unanimement favorable auprès de l’opinion publique. En France, la dénonciation du « communautarisme » est toujours de bon aloi, et tant pis si celui-ci est le plus souvent invoqué hors-de-propos, comme c’est le cas ici. Même une partie importante des gays et des lesbiennes semble y adhérer, comme en témoigne une majorité des réactions sur un site LGBT comme Yagg. Il y a là une sorte de syndrome de l’Oncle Tom, qui voit une minorité dominée prendre fait et cause pour le discours majoritaire qui théorise son infériorité et son invisibilité. Comment expliquer que ce discours ultra-dominant continue pourtant de se parer des oripeaux du courage et de l’anticonformisme ?
Une partie de la réponse se trouve peut-être dans les pages du dernier numéro de Têtu, dont la couverture est précisément ornée d’une photo de… Xavier Dolan (qui, sans grand souci de cohérence, n’est visiblement pas «dégoûté» d’assurer sa promo dans un magazine gay). Le politologue Philippe Marlière y décortique la rhétorique «ré-pu-bli-caine» qui nous intime de «refuser les étiquettes» et de «sortir du ghetto». «Homos, bi, trans, hétéros : nous sommes humains avant tout !» proclament ainsi fièrement ceux qui refusent de comprendre que les films à thématiques LGBT ont besoin, pour accéder au grand public, d’un coup de pouce médiatique plus fort que les autres. Autrement dit, c’est en s’habillant de prétentions égalitaires (à même de séduire les gens de gauche, qui ne sont hélas pas épargnés quand il s’agit de dénoncer le « communautarisme ») que cette rhétorique « républicaine » entérine des inégalités de fait.
En refusant de voir l’écart immense entre le principe qu’il prétend défendre (l’égalité pour tous, auquel on ne trouvera évidemment rien à redire) et la réalité de nos sociétés (où les individus sont hiérarchisés en fonction de leur sexe, de leur identité de genre, de leur orientation sexuelle, de leur couleur de peau, etc.), ce discours pseudo-égalitariste contribue de facto à masquer que «dans la pratique, les égaux dans les positions de pouvoir économique, politique et culturel appartiennent presque invariablement au cénacle des hommes blancs, d’âge mûr et hétérosexuels» (Philippe Marlière).
En France plus qu’ailleurs, on aime confondre la République avec l’ordre établi et l’universel avec la norme. Plutôt que de faire de ces deux notions (la République et l’universel) un projet politique positif, un horizon vers lequel il serait exaltant de tendre, on préfère les considérer comme déjà acquises, les figer et les présenter comme menacées par celles et ceux qui ont l’impudence de réclamer leur juste part du gâteau. Que les internautes lecteurs et commentateurs du Figaro, du Point, de Marianne ou du Monde adhèrent à cette mentalité d’assiégés n’est en soi ni nouveau, ni surprenant. Que de très nombreuses personnes LGBT la partagent est en revanche nettement plus inquiétant – et devrait nous pousser, collectivement, à défendre et célébrer l’idée si noble et si décriée de « communauté ».
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