La rencontre-débat organisée à l’ENS avait pour thème « Rendre compte des sciences sociales ». Sur 9 intervenants, seulement 2 femmes étaient présentes. Une cible de choix pour le collectif la Barbe qui s’efforce depuis 2008 de rendre visible la domination des hommes au sein des principaux lieux de pouvoirs, des amphithéâtres aux colloques en passant par les jurys officiels.
Comme à leur habitude, les femmes à la barbe postiche ont privilégié l’action directe aux grands discours. Deux d’entre elles se sont immiscées au sein du débat pour y lire un message plein de dérision. Afin de mettre à nu le ridicule de la situation, elles ont fait mine de louer les efforts de ces messieurs pour lutter contre la parité : « La rigueur scientifique ne peut être que masculine : qui mieux que des hommes pour parler de sciences humaines, de sociologie, de sciences politiques, d’histoire ou de géographie ? ».
La mise en scène demeure un aspect important de leur démarche qui se rapproche du happening. Silencieuses, les « barbues » se tiennent droites, placées stratégiquement derrière les participants comme elles l’ont fait à l’Institut Carnot ou à l’Assemblée Générale de L’Oréal. L’image se veut significative: la présence de ces femmes en ce lieu symboliquement dominé par le sexe masculin semble être tolérée uniquement parce qu’elles en ont adopté l’attribut traditionnel, la barbe. Pour reprendre leur formule : « il fallait du poil au menton pour en être ! ». Si la dérision et le second degré sont les armes fétiches de ces féministes, cela n’enlève rien au sérieux de leurs revendications.
Les « Barbues » interrompent la réunion-débat « Rendre compte des sciences sociales » organisée à l’ENS (© Laura Tangre)
L’action de la Barbe doit nous alerter sur la question de la parité dans la recherche. Rappelons en effet que si les femmes représentent 57 % des étudiants à l’université, elles deviennent minoritaires au niveau doctorat. Si l’on s’intéresse au domaine des sciences sociales en particulier, l’écart est frappant. De 71,4% de femmes en master, on passe à 54,1% de doctorantes (chiffres de 2010 de l’INSEE).
Parce qu’il entend avant tout interroger et semer la confusion, le collectif la Barbe ne propose pas de solutions concrètes à ces inégalités persistantes. Il s’agit d’un choix revendiqué. Leur rôle ne consiste pas, selon elles, à donner des solutions aux gouvernants. Ce sont à eux de les trouver. Avant toute chose, ce sont les femmes elles-mêmes que le collectif entend changer. En perturbant les conciliabules exclusivement masculins, la Barbe incite les femmes à investir les lieux de pouvoir et à prendre la parole. Dans son Assemblée de Femmes, l’écrivain grec antique Aristophane dépeignait de façon quelque peu moqueuse les prétentions de femmes, elles aussi affublées de barbes postiches, à participer à la prise de décision politique. Les activistes de la Barbe ont adopté le postiche, mais ce sont bien ceux qui perpétuent ou feignent d’ignorer la domination masculine qu’elles entendent tourner en ridicule.
Le 17 mai dernier, le collectif la Barbe se réunissait à la Librairie Terre des Livres à l’occasion de la parution de leur ouvrage, « La Barbe, cinq ans d’activisme féministe ».
Photos : © Laura Tangre
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