Béni soit le jour où je pus regarder tous les programmes de Canal en ligne de façon légale. Un nouveau monde s’ouvrit à moi. Je regardai des séries que je ne connaissais pas. Des films dont j’avais entendu parler. Quelques documentaires. Et puis… Je cliquai sur l’onglet « Adulte ». Juste comme ça, juste pour voir, parce que je n’avais jamais vu, en vrai, ce que c’était qu’un porno pas gratuit, un porno pour lequel les gens étaient prêts à payer.
HORREUR. Je vous refais la pire scène que je vis avant de m’enfuir : deux copines vont dans un magasin de fringues, pendant que l’une essaye, l’autre est abordée par la vendeuse qui lui dit « Vous avez besoin d’aide ? Si c’est pas indiscret, c’est quoi votre taille ? Du 95C ? C’est des vrais ? Non ? Vous avez un bon chirurgien ! Je peux toucher ? » Et la nana se déshabille en plein milieu de la boutique, et vazi que j’te, tout ça à grands renforts de bruits glauques glauques glauques et de grognements louches de louches. C’était tellement absurde que ça ne me fit strictement rien. Pas même le début de l’amorce du commencement d’une envie. Je ris. C’était GROTESQUE. Amas de chair trop roses, trop nues, trop éclairées, trop crues, viandes en tas bloblotant, trous béants version mollusques visqueux… La vendeuse était une blonde platine aux lèvres mérou, elle était juste vulgaire et pathétique.
À votre avis, je fais quoi, là ?
J’étais déçue. Un peu écœurée, mes yeux débordaient de muqueuses torturées.
Avant de continuer : je n’ai, a priori, rien contre le porno. Précisons : je goûte assez peu le porno « tradi », comme presque tout le monde je trouve que l’image de la femme est un peu limite, je ne m’y retrouve pas. Mais : plutôt que de crier comme un putois et de fustiger tous ces gros obsédés qui s’astiquent la nouille, je préfère de loin la posture qui consiste à dire « ce qui se fait ne me plaît pas, alors je vais faire différemment ». Bref, je n’ai a priori rien contre le porno.
Passons à autre chose.
Volupté instantanée… Mais de qui se moque-t-on ?Le jour où… J’ai re-regardé Troie
Je regardais Troie. C’est un de mes films préférés, que je n’avais pas vu depuis longtemps. Lors de sa sortie, je l’avais vu trois fois au cinéma. J’étais dans ma période Brad Pitt. Le bel Achille. Ce film me foutait dans un état pas possible, parce que le bel Achille meurt, de façon si stupide, et qu’avant ça il tue le bel Hector (Éric Bana… entre les deux mon cœur balance), et que le seul qui reste, c’est Paris, autrement dit Orlando Bloom, autrement dit un mec dont tout le monde s’est dit au moment du Seigneur des Anneaux « Mais il est superrrrrrrrrrr », avant de réaliser que s’il jouait bien l’elfe, c’était parce qu’il ne savait jouer QUE l’elfe. Passons.
Je regardais Troie, j’étais contente, c’était régressif. J’attendais la scène d’amour entre Achille et Briséis. Elle est sa prisonnière, mais il ne la touche pas parce que c’est un mec bien. Il lui ôte même ses chaînes. C’est la nuit, elle veut s’enfuir. Il dort, elle s’approche avec un couteau, et pour que ce soit plus commode de le zigouiller elle se met à cheval sur lui. Il ouvre les yeux et lui dit « Fais-le ». Bien entendu, elle ne le fait pas. Alors il la renverse, bascule sur elle, on voit la grande main carrée remonter le long de la cuisse blanche, puis coup de bassin, et crac boum zag, la vierge est déviergée, elle y prend un plaisir de dingue. VOILÀ. Quand j’avais treize ans, cette scène me faisait des papillons dans le ventre, je la regardais, la re-regardais, la re-re-regardais… Dix ans plus tard, dé-ce-pt-ion (non, ce mot n’est pas découpé de manière homologuée).
Achille et Briséis font des chatons.
Ça dure 47 secondes (j’ai compté). Ça se fait tout seul. Ça se fait sans douleur. Ça se fait d’un seul coup, avec zéro préparation. Et, dans les films « grand public », c’est presque tout le temps comme ça. Ils jouissent en même temps. Ils sont savamment décoiffés. Ils sont sales mais propres. Le mec sort du lit avec son caleçon. La fille pousse des couinements charmants. Pas un bruit disgracieux ne vient briser l’instant.
Parfois, je me demande si les films ne devraient pas faire l’économie des scènes de cul.
Et sinon, le juste milieu, ça existe en vrai ?
Comprenez-moi : on (et je) s’insurge contre le porno, trop cru, trop dégradant, qui donne une image dénaturée du sexe. Mais le cinéma grand public, il fait quoi, lui ? Je me souviens de la polémique autour de La vie d’Adèle. Je l’ai vu au cinéma. J’ai entendu les réactions choquées de part et d’autres (là où ça m’a fait marrer, c’est quand elles venaient de garçons, GENRE). Bon. Rien à dire sur le réalisme de la chose, je n’ai jamais fait l’amour avec une fille. Mais j’ai trouvé ce film honnête : Adèle mange un kebab elle a de la sauce partout sur la tronche, Adèle pleure elle a la morve au nez, Adèle fait l’amour on entend ses fesses qui claquent, on voit son corps (au début du film, lorsqu’elle couche avec le jeune mec, on aperçoit son pénis en érection alors qu’il passe sur elle).
Adèle après sa première fois, qui n’a manifestement pas joui, et se demande si elle a aimé ou pas.
Comprenez-moi : on s’insurge contre le porno, je m’insurge contre le porno tel qu’il est mais aussi contre le cinéma grand public, que je trouve hypocrite. Entre les deux, il n’y a rien. On montre le sexe à grand renfort d’orifices béants ou on ne montre rien. D’un côté comme de l’autre, la représentation est bien loin de la réalité.
Permis de tuer
Interdit de forniquer
J’ai été terrifiée, il y a quelques jours, d’apprendre qu’une pétition contre l’exposition « Le Zizi sexuel », destinée à parler de sexualité aux enfants, avait recueilli 38 000 signatures de parents refusant que leur progéniture s’y rende. L’exposition n’est pas nouvelle, pourtant, et n’a rien de choquant. J’avais Le Guide du zizi sexuel, gamine. Je ne me souviens pas avoir été choquée, ni mes parents. On a ri, j’ai appris des trucs, ça m’a intriguée, point à la ligne. Je ne pense pas que Le Guide du zizi sexuel ait fait de moi une obsédée perverse nymphomane.
L’ouvrage honteux qui m’a pervertie enfant.
Il ne faut pas montrer le sexe. Surtout pas aux enfants/adolescents, ça pourrait les choquer, les pervertir, leur donner des idées farfelues. Non, la sexualité et l’enfance sont deux sphères que la morale impose de séparer, la sexualité est une affaire d’adultes, une sale petite affaire d’adultes que les enfants découvriront bien assez tôt. « Une levrette mon chéri ? C’est euh… Benh… C’est l’amoureuse du lévrier, pardi ! Quoi ? Et une fellation ? Voyons réfléchis, c’est comme la fée Clochette. »
À l’âge adulte, les choses changent, mais pas tant que ça. Bien sûr, on se confronte au corps de l’autre et en général, on aime. On mate du porno en cachette, et au cours des discussions sur le sujet on se déclare choqué (et on l’est pour de vrai), on reprend le discours sur l’asservissement des femmes, le corps-objets, tout ça tout ça, parce que c’est de bon ton, et parce qu’avouer qu’on est un peu obsédé sur les bords et aux entournures (comme tout le monde, faut pas se leurrer) c’est de très mauvais goût. Et avec nos mômes, on recommence : le sexe, c’est caca, c’est caché, c’est pas de ton âge tu verras quand tu seras grand, ne regarde-pas-ne-dis-pas-ces-horreurs-s’il-te-plaît.
Regard contrit de l’individu qui a envie de faire tagada tsouin tsouin mais n’assume pas.
Je ne dis pas qu’il faut parler de sexe à tout va, que les films grand public devraient se mettre au porno, qu’il faudrait apprendre le kama-sutra aux enfants. Non. Mais je m’étonne toujours de voir avec quelle complaisance on considère la représentation de la violence alors que la moindre allusion sexuelle nous choque. On ne m’a jamais soupçonnée d’être une psychopathe parce que je lisais du Grangé. On me soupçonne d’être une perverse parce que je lis/écrit de la littérature érotique. On ne regarde pas de travers quelqu’un qui, dans le métro, lit Hunger Games – un roman à destination des adolescents qui, je le rappelle au passage, raconte l’histoire d’un jeu horrible où tout le monde tue tout le monde… Essayez de lire ne serait-ce qu’Emmanuelle, avec le titre bien visible, et vous verrez les réactions (surtout si vous êtes un homme d’ailleurs, je pense).
Croquer le fruit défendu sans se péter les dents
La sexualité fait peur. Parce qu’elle ramène l’humain à sa part animale, parce qu’elle est associée aux bas-instincts. Parce qu’elle n’est pas exempte de dangers, aussi : une grossesse précoce, une putain de MST, un univers fantasmatique infini… Pourtant la sexualité n’est pas en soi « le problème des problèmes ». Mais la sexualité comporte des risques, nécessite certains principes tels que le respect ou la contraception pour être un facteur d’épanouissement.
On nous bassine avec le rapport à la sexualité de la nouvelle génération : ils en savent beaucoup trop beaucoup trop tôt, on s’interroge sur leurs pratiques, on les dit élevés et formatés par le porno… On installe des filtres qui ne fonctionnent pas sur les ordinateurs, on se voile la face. L’image reste accessible en un clic, ils y auront accès de toute façon. Et ils iront voir, parce qu’ils se posent des questions, parce que ça les travaille, et c’est pas de leur faute, les hormones, tout ça tout ça. L’industrie du X l’a bien compris.
Et nous aussi, ça nous travaille. Et nous aussi, on mate du porno.
Le problème des problèmes, c’est l’ignorance. Tout le monde s’intéresse au sexe, parce que le sexe c’est la pulsion de vie, parce que le sexe c’est une interaction sociale, une manière d’être ensemble (et quand on a du bol, d’être bien ensemble). La sexualité est un impératif naturel. D’une manière ou d’une autre, les enfants y viendront. Même Adam et Ève se sont fait avoir. Mais croquer le fruit défendu n’implique pas de se casser la gueule du jardin d’Eden. D’ailleurs, on dit grimper aux rideaux, monter au 7e ciel. C’est vrai, que la femme qui jouit a quelque chose de sauvage, bien loin de la petite working girl en tailleur qu’elle était quelques heures plus tôt. C’est vrai, qu’en levrette on ne vaut pas mieux que deux chiens deux chats deux chevaux.
Sauf que. L’érotisme est humain. Fondamentalement humain. Parler du sexe, représenter la sexualité, apprendre à connaître le corps de l’autre, érotiser le corps de l’autre et en faire un terrain d’exploration, ça fait de nous des Hommes, ça nous distingue de Croc Blanc qui monte Lassie chien fidèle parce qu’elle est en chaleur et qu’il veut transmettre ses gènes.
Entre l’ignoble porno de Canal et la pauvre scène de Troie, je n’ai pas vraiment le choix. Vous non plus, aujourd’hui comme hier, à l’époque de vos premiers fantasmes. Votre petit frère non plus. Et franchement, je trouve ça dommage. Faire l’amour, ça s’apprend, sur le tas mais pas que. Bien faire l’amour, ça nécessite certains pré-requis, tels que le respect mutuel et l’écoute.
Je sais, qu’il existe des pornos alternatifs. Des sites internet très bien foutus. Mais ils sont peu promus, il faut les chercher pour les trouver, il faut s’y connaître un peu, il faut accepter de payer. Le porno, par définition c’est mal, ça pue, c’est moralement abject. Mais on est bien incapable de l’éradiquer (et ce n’est pas souhaitable) alors…
J’aimerais avoir le choix. Qu’on se détende un peu. Stop la honte. Qu’on arrête l’hypocrisie. Et qu’Achille baise correctement Briséis, BORDEL.
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