« Non, mais tu ne comprends pas quand je te parle ? Je t’ai demandé de mettre le fromage APRÈS avoir fait griller le pain et la viande, c’est pourtant pas compliqué !
– Excusez-moi Monsieur, c’est qu’on met toujours le fromage avant de faire toaster le sandwich. Je suis dé…
– Et alors, qu’est-ce que j’en ai à faire, moi, de ce que vous faites toute la journée ? J’aime pas le fromage fondu. Tout le monde est pas obligé d’aimer le fromage fondu ! C’est quand même pas de ma faute si vous comprenez pas le français…
– J’ai dit que j’étais désolée, je vais vous refaire votre sandwich. »
Il est presque 15 heures, c’est la fin du rush : 173 sandwichs vendus, ce qui fait 692 tranches de fromage allongées sur le pain mou. Et ce connard vient me faire chier. J’ai trop chaud, le dos trempé, je meurs de soif, je crève de faim et mes jambes tremblotent. Et ce putain de connard de merde vient me faire chier. Bien sûr, le client est roi. Ça ne le dispense pas d’être aimable que je sache. Je me retiens, rajuste ma casquette, souris très hypocritement, attrape une nouvelle baguette que j’éventre, étale dessus les huit tranches de salami réglementaires, j’ouvre la porte du four et balance le tout.
« Eh bah voilà, quand elle veut, c’était pas si compliqué. », ironise le gros con en sortant son portefeuille. Puis il ajoute, à l’intention de Cédric, mon patron, qui lui rend sa monnaie : « Je sais pas sur quel critère vous les recrutez vos employées… Mignonne hun, y a pas à dire, mais un peu longue à la détente. Serait peut-être mieux dans une boîte de strip-tease si vous voulez mon avis. » Rire gras du gros con. Un ange passe… Puis c’est le drame.
« C’est sûr que tu dois être un habitué, toi, des boîtes de strip, non ? Parce que c’est pas avec ton gros bide et ta gueule de bouledogue que tu risques de choper, je me trompe ? Les meufs c’est comme tes sandwichs au fromage pas fondu, tu les payes, hun ? »
Je ne sais pas ce qui est le plus rond, des yeux de Cédric ou de la bouche bée du gros con. Je profite de leur stupéfaction pour dévaler les escaliers, je pousse les portes battantes et m’engouffre dans la cuisine. J’entame rageusement la plonge. Je suis en train de rincer l’évier quand Cédric me rejoint. Je serre les dents, il ne va pas me louper. J’ai poussé le bouchon un peu loin. Il est plutôt coulant, Cédric : jeune patron tout juste trentenaire, pas tyrannique, de gauche, des idéaux d’égalité plein la tête… Il m’a embauchée en dépit de mon expérience zéro en restauration rapide, il y a dix ans il avait mon âge, il était à la fac de lettres comme moi, il galérait tout pareil, il a eu pitié peut-être, et finalement on est devenus presque amis (presque, parce qu’il sait rappeler qui est le chef quand ça lui chante, notamment quand il ne veut pas reconnaître qu’il a tort et que j’ai raison).
« Je l’ai foutu dehors, me dit-il.
– Quoi ?
– Je lui ai dit ce que je pensais, et je l’ai foutu dehors.
– …
– Ça ne veut pas dire que je cautionne ton attitude. »
Pendant trente secondes, j’ai cru que j’allais y échapper. Naïve.
« Tu ne peux pas répondre comme ça à un client ! C’est moi qui recadre, au besoin. Tu as de la chance que ce soit un pauvre type insignifiant, et qu’il n’y ait eu personne.
– Tu veux dire quoi, là ? Que si un “Monsieur très important” me traite comme de la merde, je dois juste fermer ma gueule, sinon tu me vires pour préserver la réputation de ton “restaurant” ?
– C’est à peu près ça. »
Je fulmine. Je m’essuie les mains, jette le torchon par terre et me précipite dans la chambre froide. Alors que je suis en prise avec un carton beaucoup trop lourd pour mes petites forces, une main de Cédric se pose sur ma nuque et la presse un peu. Le geste n’a pas l’effet escompté, je serre les dents, secoue la tête pour me débarrasser des doigts encombrants et m’acharne sur mon carton.
« T’as pas de couilles Cédric, vire-moi si tu veux, je m’en fous, t’as juste pas de couilles », je lui balance. Sa main sur mon cou se resserre, de l’autre il attrape au vol mon poignet et m’oblige à me retourner.
« Tu comprends pas, Agnès. J’ai aucune envie de te virer. Si je te vire, je te vois plus. Et ça, ça me ferait chier. »
Tout en parlant, il a parcouru les dix centimètres qui séparaient nos corps. Je lui tiens tête. Hum, la belle gueule de Cédric, le menton carré, les sourcils coupés au couteau, la fossette, le nez droit… « Ce mec est un stéréotype », je pense. Puis, l’instant d’après, alors que ses lèvres pleines frôlent les miennes, je suis bien obligée de constater que le stéréotype ne me laisse pas indifférente. Je rechigne à lui abandonner ma bouche, pour la forme. Je découvre que je suis capable, chose étonnante, de rougir par -20°C (et, accessoirement, que Cédric arrive à bander par -20°C, je sens sa queue contre ma cuisse). Une humidité chaude envahit mon entrejambe, et je couine, toute perturbée par l’écart de température entre l’air de la chambre froide et le bas de mon ventre qui bouillonne. Terrible, d’être aussi faible. Mon couinement fait rire Cédric, un rire franc qui découvre toutes ses dents – blanches et droites, forcément.
« Non, mais c’est l’étagère qui me rentre dans le dos.
– Benh oui, j’imagine. Et tes joues rouges, c’est parce que tu es en colère. Et tes seins qui pointent, c’est parce que tu as froid… évidemment. »
De ses pouces, il effleure les pointes de mes seins. J’étouffe un couinement bis. Il se détache de moi et c’est pire encore, dans le froid mordant les chaleurs que propagent nos corps quelques centimètres au-delà de leurs limites sont d’autant plus denses, palpables, et ces chaleurs se frôlent désormais, elles maintiennent entre nous le contact, un contact imparfait, incomplet, frustrant. Cédric s’écarte tout à fait, je reste clouée à mon étagère, au carton que je n’ai pas réussi à soulever, étonnée de ce qui s’est passé, étonnée de ce qui ne s’est pas passé, pétrifiée par le souvenir, déjà, de son corps dur contre le mien, surprise de ressentir d’un seul coup, si fortement, un désir que je ne soupçonnais pas. Ou que j’ai nié, têtue que je suis, refusant de tomber sous le charme d’un type aux allures de Ken, mon chef de surcroît… Trop cliché.
Il est 16 heures, mon collègue Baptiste est arrivé, je rentre chez moi. Cédric est dans son bureau, je baragouine un au-revoir et file sans demander… mon reste (qu’il termine ce que je l’ai laissé commencer qu’il me prenne à même le carrelage qu’il me fasse jouir mille fois avec ses doigts sa langue sa queue… je suis sûre que même sa queue est parfaite, digression… sur lui sous lui devant lui sa peau ma peau le sel de nos sueurs et nos odeurs, le respirer être pleine de lui plein les yeux les oreilles pleines de son souffle plein la bouche de sa chair mordre tout pétrir tout finir remplie déborder, Cédric, Cédric…). J’arrive au métro. Cherche mon pass dans mon sac. Peste. J’ai gardé les clés du restaurant. Demi-tour. Il n’y a personne derrière le comptoir. Personne dans la salle. J’hésite à déposer le trousseau près de la caisse. Non. Je descends. J’entends la voix de Baptiste, celle de Cédric qui lui répond. Mon prénom. J’écoute.
« Alors, raconte-moi tout. T’as réussi, avec Agnès ?
– Pas tout à fait.
– Mais encore… ?
– Je l’ai coincée dans la chambre froide. Elle était super énervée à cause d’un connard de client. J’ai joué le patron cool mais pas trop, du genre “Je te vire pas mais c’est une faveur que je te fais, si je te vire pas c’est que je t’aime bien… Tu sens comme je t’aime bien ?” J’ai pas réussi à proprement parler tu vois, mais je l’ai embrassée, elle a pas bronché. C’est juste une question de temps. J’y arriverai, je te l’ai dit…
– Bon, OK. Mais faut qu’on se mette d’accord. Tu arriveras à quoi ? À la sauter en sournois sur le plan de travail alors qu’elle a un moment de faiblesse ? Ou à la séduire vraiment et à en faire tout ce que tu veux ? Parce que la première option, je vois pas où est le challenge…
– J’en ferai ma poupée. Tu veux savoir… ? Je vais la prendre de toutes les façons imaginables, je vais la faire mienne le temps d’une nuit, la caresser, la lécher, la pénétrer partout où c’est possible. À la toute fin, je la prendrai par-derrière, je m’agripperai à ses hanches et je poserai mes pouces dans les deux petits trous qu’elle a en bas du dos, on les voit quand elle se penche ou quand elle s’essuie le visage avec le bas de son tee-shirt… J’en rêve, de mes mains sur ses hanches, de mes pouces juste là, et de ses fesses qui cognent contre mon ventre. Je suis certain que sous ses airs de pas y toucher… C’est une sacrée salope. Elle le sait pas encore, mais elle a du potentiel. Faut juste lui montrer comment l’exploiter. Tu verras. »
Enfoiré. Je suis vexée comme un pou, qu’il soit si assuré de sa victoire, qu’il me prenne pour une oie blanche (injustifié), qu’il se prenne pour un Messie à la queue providentielle gonflée d’un sperme révélateur (prétentieux). J’esquisse un mouvement, mon bras se tend vers les portes battantes et dans ma tête sonnent déjà les mots que je m’apprête à prononcer. Puis non. Pas assez fin, pas assez tordu.
Aujourd’hui Agnès arrive avec une trentaine de minutes d’avance. Je lui fais remarquer. Elle sait. Elle n’avait « rien de mieux à faire ». Elle me sourit, en coin. Elle va se changer. Je poireaute derrière le comptoir. C’est calme l’après-midi. Mathilde attend gentiment la fin de son service. « Je te laisse gérer, je lui dis, je descends faire deux trois trucs. » Le dos tourné je souris. Deux trois trucs. La porte du vestiaire est entrouverte. Évidemment, j’entre. C’est tout petit, on tient à deux, serrés. Ça m’arrange bien. Agnès n’a pas eu le temps d’enfiler son pantalon, le polo noir couvre ses fesses. Contraste du noir et des jambes nues, pâles dans la lumière crue. « Mais qu’est-ce que tu… » Je tire sur ses cheveux, sa tête bascule en arrière et ma langue dans sa bouche coupe court à ses protestations. Elle se laisse aller contre mon torse, je l’entoure de mes bras, la soulève et l’assieds face à moi sur la chaise qui, avec la colonne de casiers, constitue le seul mobilier du résidu. Je m’agenouille et lui écarte les jambes, elle résiste un peu, je lève les yeux vers elle, force sur ses genoux, autoritaire, elle a les joues rouges, elle respire vite, elle cache son visage dans le creux de son coude, cède. De sa main libre, elle cherche l’interrupteur et éteint la lumière. Il fait noir, je ne vois rien, je me penche et c’est sa cuisse que j’embrasse, c’est sa chatte que je veux. Aucun obstacle, ni culotte (tiens donc), ni réticence. Ses poils caressent ma joue, mes yeux se sont habitués à l’obscurité et je distingue le triangle sombre, à la pointe duquel j’applique un premier baiser, et dessous les lèvres charnues, plus foncées que la peau de l’aine. Une petite lèvre dépasse, je la suce. Agnès gémit. Je plonge. Ma langue défroisse, ouvre, fouille. J’introduis un doigt dans son vagin, puis deux, passe mon autre bras sous ses reins pour la tenir plus serrée contre ma bouche. Elle explose. Se laisse glisser sur le sol et m’embrasse. Reconnaissante.
« Allez zou, va travailler maintenant, Mathilde va partir. »
Elle met son pantalon, fouille dans son sac et me tend une enveloppe. Elle sort, je lis :
Cédric.
Tu dois me trouver bien timorée. Je me laisse faire, je ne fais rien. J’ai envie mais je n’ose pas. J’ai envie, si tu savais… J’ai envie de ton corps contre le mien. J’ai envie de tes mains sur moi, ta peau, ta bouche, ton sexe contre mon ventre, contre mes seins… dans ma bouche… De m’empaler sur ta queue.
Viens chez moi, ce soir.
J’ai gagné.
Toujours jeudi, le soirUn mot scotché sur la porte de l’appartement d’Agnès invite Cédric à entrer. Quelques secondes, il anticipe la suite, un sourire goguenard monte à ses lèvres. Il ferme les yeux, une seconde, pour effacer la satisfaction qui fonce l’éclat de ses iris. Sûr de sa victoire. Il pousse la porte. Les volets sont fermés, le couloir est plongé dans l’obscurité, plus loin une pièce ouverte laisse échapper sa lumière en une tache jaune aux contours flous, qui rompt l’uniformité grise du parquet. La chambre, sûrement. Cédric imagine Agnès allongée sur le lit, nue, humide de la douche qu’elle vient de prendre – il semble à Cédric qu’une odeur de savon flotte dans un air alourdi par la vapeur –, attendant anxieuse, sa respiration rapide agitant les seins qu’il n’a jamais vus. Il s’arrête et glisse sa main dans son pantalon, pour arranger son sexe déjà raide et comprimé, tordu, agréablement douloureux sous les couches de tissu qui l’entravent. Mais Agnès n’est pas dans la chambre. Sur la table de nuit, deux verres de vin blanc frais, un lecteur MP3 et un mot :
Prends un verre, et écoute un peu…
Agréablement surpris par la tournure des événements, curieux, Cédric obtempère. Le vin est bon. Il met les écouteurs, appuie sur play. Un souffle emplit ses oreilles, puis la voix d’Agnès.
Tu entends, Cédric ? Tu sais ce que je fais ? Je suis nue, sur le lit où tu es assis… Je me souviens de tes mains sur mes seins… Et de ta langue qui me lèche, ta bouche qui me fait tellement de bien… Ça m’excite, si tu savais, je suis toute mouillée… Il faut que je me touche… Comme tu l’as fait, hum…
Elle arrête de parler et sa respiration saccadée envahit les écouteurs.
C’est presque aussi bon que si tu me léchais, tu vois, j’ai deux doigts enfoncés et de l’autre main je me caresse le clitoris, je tourne autour, comme ta langue, je le pince, comme tes lèvres… J’aimerais pouvoir toucher mes seins en même temps… J’aimerais qu’une queue remplace mes doigts… Cédric…
Cédric a ouvert sa braguette et se branle doucement, par-dessus son boxer. Il murmure le prénom d’Agnès, jetant autour de lui un regard inquiet, fou d’attente.
Cédric… J’aimerais tellement que tu sois là, et que tu me fasses l’amour… Que tu me prennes de toutes les façons imaginables… J’ai envie d’être tienne le temps d’une nuit, que tu me caresses, me lèche, me pénètre partout où c’est possible… Que tu fasses de moi ta poupée… Mais… Tu n’es pas là, Cédric, puis je ne sais pas si tu le mérites…
Ces mots résonnent dans la mémoire de Cédric. Agnès couine, le même couinement déçu que dans la chambre froide.
Cédric, je n’en peux plus… Heureusement, j’ai tout prévu… Alex, dis bonjour à Cédric.
Une voix masculine.
Cédric, je te présente Alex. Tu sais ce qu’il me fait ? Il… Hum… Il suce mes seins et… Il a mis, ses doigts… C’est trop bon, Alex… Et moi, tu sais ce que je lui fais ? Je caresse sa bite. Elle est dure, et si grosse… Plus que la tienne ? Je ne sais pas. Je me demande si elle rentre dans ma bouche.
Bruits de salive, grognements d’homme.
Oui, elle rentre. J’adore. Tu ne savais pas, hun, Cédric, que j’adorais sucer ? C’était pas écrit sur mon CV ? Et tu ne me l’as pas demandé le jour de mon entretien ?
Cédric voudrait hurler de rage. Au lieu de ça, sans s’en rendre compte, il se masturbe de plus en plus vite.
Baise-moi, Alex. Je n’en peux plus… Baise-moi. Ah, ah, ah… ! Oui, viens… Hum. Cédric, Cédric… On dirait que la bite d’Alex est faite pour moi, ça glisse tout seul, tu l’entends, rentrer, sortir, rentrer, sortir ? Attends, je me tais deux secondes.
Cédric entend, effectivement, les bruits mouillés, le choc des chairs, un claquement presque.
Tu entends comme ça claque ? Hum… Tu sais ce que c’est ? Ce sont mes fesses qui cognent sur le ventre d’Alex… Il a ses deux mains sur mes hanches… Et ses pouces dans les deux petits trous que j’ai en bas du dos, les petits trous qu’on voit quand je me penche ou m’essuie le visage avec le bas de mon tee-shirt…
Agnès crie, Alex grogne, ils jouissent.
Cédric éjacule et s’en fout partout.
Hum… Au fait, il y avait une bonne dose de viagra dans le verre que tu as bu. J’espère que tu n’es pas cardiaque et que tu as sous le coude une autre nana à qui révéler son « potentiel ».
À demain, patron.
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