J’ai passé un an sur un site de rencontre libertin. J’ai eu une cinquantaine de rendez-vous, tchaté avec des centaines et des centaines d’inscrits. Mais, c’est dingue, personne n’a été capable de me donner une définition claire du libertinage.
Ce que le marketing nous fait croire c’est qu’a partir du moment où on s’inscrit sur ces sites là, on devient libertin. En payant un abonnement, on intègrerait des cercles fermés. On imagine alors pénétrer dans le monde fantasmé de Sade. Tu parles ! Sur ces sites, la plupart des gens ne savent même pas ce que libertin veut dire. Les membres sont truffés à 90% de gens qui n’ont rien de libertin dans leurs valeurs et attitudes.
Il existe une bonne vingtaine de sites de rencontres « coquines » (le marché est ultra-saturé). Pour ne donner que les chiffres du principal, Nétéchangisme, le site communique sur 75.000 abonnés payants (il y a aussi plein de visiteurs non abonnés). A une heure d’affluence, genre début de soirée en semaine, voilà ce que je relève sur les compteurs des profils connectés : 13 868 hommes en ligne, 1374 femmes seules, 11323 couples. Sans parler des couples, le ratio homme / femme est de 1 femme pour 10 hommes. Autant dire que les femmes sont sursollicitées. Le jour où il y aura autant d’hommes que de femmes, les temps auront bien changé et les rapports de force aussi.
Gode sur pattesQue penser de ceux qui mettent leurs organes en photo de profil ? Chatte ou pénis turgescent photographié par les propriétaires (on imagine la scène, glamour….) Escalopes et saucisses s’étalent comme des produits à vendre. Tout cela est très symbolique de ce qu’est devenu ce milieu. « On échange, ma femme contre la tienne. » Du coup, ces sites deviennent de vastes supermarchés ou des couples vont juste chercher un gode sur pattes, un homme (en surnombre, ils sont pour beaucoup prêts à répondre à n’importe quel plan). Chaque partie « objetisera » l’autre. L’autre n’est plus qu’une bite ou qu’une chatte. L’amant prendra la femme pour un trou et la femme et son mari considéreront l’amant comme un sex-toy vivant. On consomme du sexe comme du Mac Do. Mais derrière, tout ça n’a aucun sens, si ce n’est reproduire jusque dans l’intime la spirale suicidaire du système capitaliste financier. Giulio Minghini, jeune écrivain ultra-talentueux a failli décrocher le prix de Flore avec Fake (éditions Allia), le premier roman à parler de l’univers des sites de rencontre. Il écrit : « Tout ce qui était libertinage au dix-huitième siècle en Europe, lorsque l’emprise de la morale catholique était suffocante, n’est plus qu’une forme de libéralisme sauvage diaboliquement déguisé en liberté. »
Une libertine du XXIème siècleAlors que le libertinage devrait être tout le contraire, rebelle, contestataire, anti-conformiste, le tout avec panache ! J’ai enfin trouvé quelqu’un qui m’a donné de précieuses pistes : Camille, une vraie libertine du XXIème. Sur son blog « Libertinage à Paris: le pire et le meilleur », elle vide son sac et balance sur les dérives du milieu. Mais le plus captivant c’est quand Camille redonne sens au mot libertinage. Elle transpose les valeurs de ce courant de pensée philosophique à notre époque. Extrait : « Tous ceux qui idéalisent « un certain libertinage d’esprit et de mœurs dix-huitièmiste » peuvent relire l’Encyclopédie : les philosophes opposaient déjà l’idée des « cochons » (« ils goûtent sans délicatesse, des jouissances sans désir ») à celle des « libertins » : hommes et femmes de goût, « sectateurs du luxe, de l’élégance, de la philosophie (…) des lettres et de la volupté (…) parvenus à recréer la douceur du jardin d’Epicure » (citations de Diderot).
Pour Stéphane Rose, auteur de l’essai Miseresexuelle.com aux éditions la Musardine interrogé par le Huffington Post, « les sites de rencontre agrègent plutôt les internautes addicts (au sexe, à l’amour, voire aux sites eux-mêmes quand le piège se referme). Beaucoup de paranoïaques également. Quant aux personnes qui cherchent éternellement, et donc sans succès, un partenaire idéal, leur obsession perfectionniste, qui se traduit par un renoncement total à toute capacité d’émerveillement, finit par caractériser des comportements névrotiques alarmants. »
La liste du Père NoëlEn parlant d’obsession perfectionniste, que dire du fameux « syndrome de la liste au Père Noël » ou « La liste de mes envies ». Je veux dire par là que les hommes arrivent avec leur fantasme, leur scenario tout ficelé à l’avance. Il n’y a pas de place pour quelqu’un d’autre, la rencontre quoi !
Exemples avec ces messages authentiques que j’ai reçu en privé sur l’un de des sites (seuls les pseudos on été modifiés, les fautes d’orthographes conservées).
Barpapa : Je suis soumis et je cherche des rencontres. Pourriez vous me renseigner svp? merci Barpapa : j’adorerai vous lécher l’anus madame.
mais aussi
gargamel : bonjour mademoiselle, aimeriez-vous avoir un homme doux et docile à vos pieds… ?
bobléponge : Bonjour Madame, Je suis un homme soumis de 37a qui recherche à servir de toilette pour dame. Je vis en région parisienne et je travaille dans l’informatique, je ne suis pas marié. Ce serait un honneur pour moi de pouvoir être votre WC
albator : coucou! suis bi, j adore le sex, suis act pass, j adore les odeurs feminines, et mon plaisir favori c est de sentir les fesses d une femme
version « je cherche une pute »
grosminet : Bonjour, si attirance, je serais heureux de vous inviter – entierement – pour un séjour libertin à la mer, à une date à fixer ensemble.. Sejour où vous serez traitée en soumise sexuelle, et où vous abandonnerez la maitrise de vos orifices.. souhaitez vous faire connaissance ? Bizz
schtroumpf : Bonsoir, tentée de se faire delicatement sodomiser de maniere audacieusement directe et insolite, voire sans un mot par un inconnu dans les deux heures qui viennent…?
goldorak : viens m chercher en jupe ou tallon robe courte a toi de voir et on nira chez toi tu m succera pen roulant pour comencer et ensuite chez toi tu t colle contre 1 mur les jambes un peux ecarter tu m penche ton corp tu resort bien tes fesse et pusi on passe au canneper tu met 1 jambes sur 1 autre ou une chaise ensuite sur le bureau contre ou dessus avec une jambes sur mon epaule ensuite sur chaise soit assie sur moi ou debout et 1 pied dessus et on termine sur une table a 4 patte ou avec une jambes sur le coter
picsou : bonsoir ayant eu une mauvaise nouvelle aujourd hui par mes medecins concernant ma santé je risque de perdre la vie dans quelques jours donc j’aimerai si possible m’amuser une derniere fois avec vous bisous
ceux qui ne savent plus où ils habitent :
transformer : bonsoir a vous mme je suis philippe il y a une erreur sur ma fiche je ne suis pas trans .. je suis sur bussy ce soir hotel campanile vous avez un charme fou et jose vous proposer un jeux .. aimez vous portez bas escarpin . vos bas contre kdo
on se retrouve à être consultée sur des débats de fond qui déchirent la société :
lepetitnicolas : bonjour vous penser que j’ai des tendence homo vue que j’aime m’enfoncer des objets dans les fesses merci de repondre bisous vous êtes jolie.
Accélérateur de névrosesStéphane Rose a répertorié quatre types de consommateurs de sites de rencontre. « les exclus qui ne séduisent ni « dans la vraie vie » ni sur l net. Ils réalisent que la promesse « vous allez enfin faire la rencontre de vos rêves » émise par les publicités est mensongère, et sombrent dans la détresse et l’aigreur; les mythomanes qui mentent sur leur âge, leurs mensurations, leur métier, leurs véritables intentions…On imagine les effets désastreux de ces mensonges quand ils se trouvent confrontés à la réalité de la rencontre; les consommateurs qui en viennent à considérer l’autre non plus comme un humain, mais comme un produit, que l’on compare, essaye et jette comme un kleenex usagé s’il ne fait pas l’affaire, en faisant ainsi beaucoup de mal à l’autre, et parfois à soi; les névrosés qui pullulent sur les sites de rencontres, que je tiens comme des accélérateurs de névroses. Tous ces gens ont recours à des sites de rencontres pour des raisons très diverses, qui vont de la solitude pesante à l’appétit frénétique de rencontres sexuelles en passant par l’envie de se revigorer narcissiquement en se prouvant qu’on est capable de séduire. »
Addictions sexuellesCes sites sont à l’origine des addictions sexuelles et contribuent à les accentuer. « Si l’on a des prédispositions à l’addiction sexuelle, le site de rencontres va lui permettre de se développer de façon exponentielle. Si l’on n’en a pas, le site peut également les faire apparaître, car la tentation de rencontrer un nombre illimité d’humains sans jamais s’arrêter est grande. La possibilité d’excès peut générer l’excès, même sans antécédents addictifs. Après il faut bien différencier les addicts, qui investissent leur énergie dans les rencontres au point de négliger leur vie sociale, et les gens qui s’offrent une période de papillonnage libertin, qui ne sont pas forcément des addicts ou des névrosés. Je n’ai aucun jugement moral sur eux, j’ai moi-même utilisé les sites de rencontres ainsi. »
Consommation poussée à outranceEn parlant d’addict qui part en couille, lisez les magistrales premières lignes de Fake de Giulio Menghini« Je me suis vomi, je me suis créé, transformé, recraché, et cela à plusieurs reprises. Ma dose était la suivante : cinq bouteilles de Wyborowa par semaine, trois paquets de Marlboro sénégalaises par jour, deux Prozac. Lexomil pour dormir, trois quarts. Le dernier quart au réveil, avant d’allumer mon ordinateur. J’avais le visage ravagé de griffures, ma peau s’écaillait : dans la glace, un masque épouvantable faisait mine de me sourire. Mes ongles ressemblaient à des virgules, et ça saignait. Une fois réveillé, j’allais vérifier mon courrier. Lire, répondre, relancer, inventer des pièges, mentir encore. Percer du regard des photos un peu floues, essayer de deviner des intentions derrière des annonces creuses ou coquines, des annonces qui en disaient trop, ou pas assez. J’étais nu devant l’écran, je transpirais, je voulais aller plus vite, je ne mangeais presque plus. Des oeufs crus mélangés à du poivre, j’avalais ça pour tenir. Et j’avançais. Personne ne me l’avait dit, ça, qu’il y avait une entrée et peut-être pas de sortie, et pas de monstre au centre de ce labyrinthe. »
Peu engagé sentimentalement, le héros parait considérer ses partenaires comme de simples objets sexuels, voire des prostituées. D’après le blog Article 11, Minghini conte la quête d’amour, le numérique et la solitude. Le trentenaire dénonce la consommation poussée à outrance, le néo-libéralisme des rencontres, la collection de visages en promotion, tous cherchant à se mettre en valeur pour mieux se vendre, plus de magie ni de mystère, chacun sa fiche.
J’ai un principe, en amour, dès qu’on cherche, on ne trouve pas. Il faut déjà avoir des projets, pour que l’amour vous tombe dessus. Si on va sur un site juste dans le but de rencontrer quelqu’un, alors tout est faussé. Évidemment.
PARIS DERRIÈRE
The post « Tu veux pas coucher ? T’es pas une vraie libertine ! » appeared first on Paris Derrière.