Il y a 15 ans mourait Matthew Shepard, un nom devenu un symbole pour toutes les victimes de violences homophobes. Le calvaire du jeune homme de 21 ans, battu et torturé à mort par deux hommes, Aaron McKinney et Russell Henderson, a mené à l’adoption d’une loi contre les crimes de haine aux Etats-Unis, en 2009, et à d’innombrables commémorations et initiatives à travers le monde.
Prostitution et crystal
Mais voici qu’un nouveau livre sur l’affaire crée la polémique. Stephen Jimenez, un journaliste gay, affirme que McKinney, un des deux meurtriers, vivait secrètement sa bisexualité. Au fil de 13 ans d’enquêtes sur le terrain, à Laramie, Wyoming, Jimenez a accumulé des témoignages qui tracent le portrait d’un jeune homme qui se prostituait auprès d’hommes afin de s’acheter de la drogue. En outre, il aurait eu plusieurs rapports sexuels avec Shepard, lui-même gros consommateur de stupéfiants. Or selon l’auteur, Shepard avait réceptionné 170g de crystal meth peu avant son assassinat. Cette drogue de synthèse aurait été convoitée par ses deux futurs meurtriers, en état de manque.
Dans «The Book of Matt: Hidden Truths About The Murder of Matthew Shepard», Jimenez analyse comment les questions de toxicomanie et des effets des méthamphétamines au moment du crime n’ont pas été prises au sérieux au cours du procès. Les débats avaient tourné autour de l’orientation sexuelle de Shepard, ouvertement gay. Quant aux deux prévenus, ils avaient prétendu avoir agi sous le coup de la «panique homosexuelle», une pulsion prétendument incontrôlable face à des avances d’une personne du même sexe. Aaron McKinney et Russell Henderson ont finalement été condamnés à la prison à vie, en 1999.
«Épouvantable journalisme»
Le livre de Jimenez a été hué par une partie de la presse gay américaine, qui a accusé l’auteur de rejeter le crime sur sa victime. Moises Kaufman, le réalisateur du film tiré de la pièce «The Laramie Project» a qualifié l’enquête d’«épouvantable journalisme». Tous ne sont pas de cet avis. Certains éditorialistes ont relevé que le travail de Jimenez rassemblait de nombreux éléments déjà évoqués par les protagonistes de l’affaire, mais passés sous silence au profit d’un «mythe» Shepard immaculé.
«Sous certains aspects, l’histoire que nous avons embrassée était nécessaire pour l’histoire des droits des gays: cela a galvanisé une génératioon de jeunes LGBT, résume Aaron Hicklin dans le magazine gay «The Advocate». [...] Qu’il s’agisse d’un crime de haine, d’un crime lié à la drogue, ou d’une combinaison des deux, il est difficile de se débarrasser de l’idée que la haine de soi et la culture macho, qui ont poussé McKinney à se détester lui-même et à détester ce que Shepard avait appris à accepter, faisaient partie des facteurs qui ont mené à l’assassinat.»