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A deux pas de la gare, dans cet espace à vocation multiple et super contemporain qu’est Fouund, se niche un petit espace où soigner les énergies. Dans son cabinet, Carine accueille toute personne désireuse de «se redéfinir de l’intérieur, retrouver ou renforcer sa propre vitalité, définir une émotion». Ame curieuse, à côté de son travail fixe dans le domaine de la presse, Carine a pris le temps, il y a huit ans, d’approcher plusieurs disciplines et surtout, de façon naturelle et sans prosélytisme, de franchir le pas du chamanisme. Une pratique spirituelle ancestrale qui considère que la nature dégage des énergies que l’homme peut capter, si le chamanisme connaît un discret succès en Occident, c’est avant tout grâce au fait qu’il véhicule une conscience et une gratitude envers la nature, la Terre-Mère.
Alors que la presse s’entête récemment à pointer du doigt les dangers et les dérives du chamanisme importé dans nos contrées, Carine Roth nous raconte cette façon d’appréhender l’univers à la fois très simple et magique. Des techniques autrefois controversée comme l’hypnose ont fait aujourd’hui leur entrée dans les hôpitaux comme complément à l’anesthésie, rien n’exclut donc que la médecine traditionnelle n’emprunte un jour des outils chamaniques.
«360°» – Comment as-tu découvert le chamanisme?
Carine Roth – J’ai l’impression que c’était comme de rentrer à la maison! Il n’y a jamais eu de composante réellement exotique ou bizarre. Il n’y a pas de dogme, de foi. Le seul postulat est celui d’affirmer l’existence d’autres forces, qu’on peut appeler les esprits. Je trouve toujours très délicat de mettre de mots sur ces expériences. Bien évidemment un certain vocabulaire a été mis sur pied pour s’entendre sur une idée, mais le chamanisme est essentiellement quelque chose qui se vit, sans trop théoriser.
– Pourquoi parler de chamanisme queer?
– Mon étude est ouverte à tout le monde, mais comme je suis queer et intéressée au chamanisme, je trouve que ces deux mondes se rejoignent. Dans mon cabinet on peut discuter et travailler sur des aspects subtils et intimes sans devoir se définir par un genre et surtout sans que l’on essaie de vous en guérir! Quand on entre dans le chamanisme, on entre dans une qualité de rencontre particulière, il n’y a plus des questions superflues comme celle de se définir selon des statuts sociaux. C’est un retour à l’essentiel!
– Un des livres le plus célèbre sur le chamanisme est sans doute «Le serpent cosmique» de Jeremy Narby. Tes services, eux, n’ont rien à voir avec l’emploi de substances enthéogènes?
– Absolument! La prise de psychotropes, notamment de la fameuse potion ayahuasca, ne représente qu’une des pratiques possibles. A côté de ma pratique personnelle du chamanisme, j’ai par exemple suivi des cours à la Fondation d’études chamaniques, notamment avec Ulla Straessle. Cette fondation réunit des méthodes clés de différentes traditions chamaniques rendues accessibles pour les gens de la civilisation moderne. En ce qui concerne la littérature sur le sujet, pendant longtemps je n’ai pas voulu me documenter, pour ne pas gâcher mon expérience en prise directe. Cela n’est que plus tard que j’ai lu des livres et retrouvé des choses que j’avais vécues.
– Peux-tu nous expliquer comment est-ce que tu travailles en tant que praticienne chamanique?
– Le praticien chamanique va faire le voyage dans le monde non ordinaire où il trouve le contact avec des êtres spirituels, les alliés, qui lui transmettent l’énergie et la connaissance nécessaires au travail de guérison. Le praticien n’est finalement qu’un canal et il intervient exclusivement pour une requête spécifique et ne va jamais s’occuper des choses qu’on ne lui a pas expressément demandées. C’est pour cette raison qu’au début de la séance il faut cerner une demande et une intention très claire de la personne en consultation. Ensuite, le travail se fait essentiellement à l’aide du tambour.
– Pourrais-tu encore évoquer d’autres pratiques chamaniques accessibles à tous, sans préparation particulière?
– Il existe des stages de sudation qui ont lieu dans la nature, où en groupe on construit la hutte et peu à peu on introduit des pierres chauffées selon un certain ordre par des parcours définis selon les quatre portes. Et il y a bien évidemment le cercle des tambours, où on se soigne par le rythme.
– J’ai remarqué que, quand tu parles de chamanisme, tu emploies souvent le mot «simple». Pourquoi?
– Le chamanisme est un accès direct à une forme de sagesse. C’est quelque chose de très simple et efficace. La notion de base est que l’homme soit avec et dans le monde et non plus en domination ou coupé de lui. Pour se remettre en lien, il n’est pas forcément nécessaire de méditer pendant des heures, parfois il suffit d’aller en nature. En précisant que le but du travail chamanique est d’être dans le moment présent, bien dans sa vie, non pas de vouloir s’évader dans des univers parallèles. Deux choses encore qualifient le chamanisme à mes yeux: une immense liberté et une grande perméabilité.
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Le festival Steps accueille une des nouvelles stars de la danse anglaise dont l’histoire pourrait servir de scénario à un film bollywoodien, dont il a d’ailleurs connu les plateaux. Aakash Odedra est un virtuose du kathat, un style de danse traditionnelle du Nord de l’Inde tristement banni pendant plus d’un siècle sous l’empire britannique, car performé par des courtisanes. A l’instar des geishas au Japon, ces femmes étaient des artistes d’exception et maîtresses absolues de l’étiquette. Elles fréquentaient les cours des rois, racontant la mythologie à travers leurs chants et leurs mouvements. Aakash Odedra porte avec lui ce nuage fantastique de légendes. En conversant avec cet interprète, il est impossible de ne pas fantasmer sur la sophistication de ces figures féminines charismatiques, difficile de retenir notre fantaisie qui erre instantanément dans ces fastueux palais de l’Inde d’antan où culminaient arts et sensualités.
– 360°: «Rising» inclut trois solos signés pour toi par trois chorégraphes de renommée internationale. Quel effet cela fait d’entrer dans la danse contemporaine par la grande porte?
– Aakash Odedra: Akram Khan a depuis longtemps incorporé la tradition de la danse kathak dans sa pratique de danseur contemporain avec l’écho mondial qui en a découlé. Akram est devenu mon mentor après avoir assisté à ma performance lors d’un festival de danses indiennes en 2009. Très rapidement, il m’a fait part de son souhait de créer un solo pour moi. Sidi Larbi Cherkaoui et Russel Maliphant m’ont ensuite auditionné et mon vocabulaire de mouvements les a également interpellé. De là a pris naissance l’intense travail derrière Rising, un voyage artistique qui m’a amené sur des terres inexplorées. La confiance qu’ils m’ont témoignée m’a poussé à me mettre en jeu au maximum et j’ai énormément appris avec ces méthodes de travail, ces nouvelles esthétiques. Je dois admettre que, jusqu’au jour de la première, face à un projet si ambitieux, j’ai aussi vécu des moments de grande solitude. C’était un peu comme une longue gestation!
– Pourrais-tu nous raconter un peu ce qu’est le «kathak»?
– Le kathat est lié à l’histoire des tawaifs et a été populaire dans le Nord de l’Inde pendant des siècles. En 1817, la Grande Bretagne puritaine a malheureusement interdit tout type d’expression corporelle jugée proche de la prostitution. Alors que les tawaifs étaient des érudites des arts à une époque où les femmes étaient majoritairement analphabètes. Tel un courant féministe avant l’heure, les tawaifs s’organisaient selon leur propre système matriarcal, jouissaient d’une grande liberté quant à leurs choix de vie et leur présence dans les cours leur conférait de l’influence en politique. Lors de son indépendance en 1947, l’Inde a voulu retrouver son identité et a donc ravivé cette tradition, mais en ôtant l’aspect sensuel. Des siècles de dominations étrangères, d’abord musulmane, puis britannique, ont donc eu raison des textes d’origine, lentement remaniés au fil du temps pour gommer toute allusion trop directe à la sexualité. Or, cette tradition nous apprend que, si l’on regarde le sexe comme quelque chose de vulgaire, il devient vulgaire, mais c’est absurde de ne pas voir la sexualité comme une partie naturelle de notre vie, cela serait comme oublier que c’est ainsi que nous arrivons dans ce monde. J’ai eu la chance inouïe de rencontrer l’une des rares tawaifs encore en vie et cela m’attriste d’autant plus de savoir qu’avec sa disparition, un grand savoir pourrait être perdu à jamais. Voilà pourquoi j’ai envie de réaliser un documentaire. En ce qui me concerne, j’essaie de perpétuer cette tradition à ma façon, en gardant son essence.
– Il s’agit d’une danse qui exige de grandes qualités physiques afin d’allier grâce et rapidité d’exécution. Les mouvements circulaires des mains et des poignets ainsi que les virevoltes en sont une composante essentielle. Pourquoi?
– Selon la mythologie hindoue la vie est un cercle et Shiva régit ces cycles: destruction et renouveau. Au niveau du système rythmique de la danse, on remarque qu’on compte souvent deux temps de huit. Dans cette répétition mathématique, on peut aussi voir un sens de circularité. Le cercle vaut comme symbole de fluidité, de continuité, d’absence de cassure.
– Existe-t-il encore une forme de kathak fidèle à ses origines?
– L’Inde est un pays d’extrêmes et de contradictions, où passé, présent et futur cohabitent, s’amalgament. Lors de mon dernier voyage, j’ai vu derrière les ruines millénaires s’élèver des gratte-ciels commandités par des magnats, il y a donc toujours de la place pour les traditionalistes aussi bien que pour ceux qui aiment regarder vers le futur. De nos jours, la ville de Bénarès demeure indubitablement un berceau du kathak et dans l’enceinte de leurs maisons les grandes familles accueillent encore des représentations comme à l’époque.
– Tu as grandi en Angleterre, mais tu as réussi à te reconnecter à tes racines. Pourrais-tu nous raconter ton histoire personnelle?
– Je descends d’une famille indienne qui a quitté le pays depuis quatre générations pour émigrer en Afrique d’où ils ont été forcés de partir, dans les années 70, sans rien d’autre que les habits qu’ils portaient. Si j’ai pu garder des liens avec mes racines, je le dois tout d’abord à ma grand-mère qui m’a élevé en Angleterre. C’était une femme à l’esprit ouvert, une créature intense à l’allure unique avec ses tatouages traditionnels remontant le long de ses bras et de son cou. C’est elle qui m’a donc appris la langue de mon village en me racontant des contes indiens pour m’endormir. Depuis l’âge de 4 ans, j’ai eu la chance de retourner souvent au Rajasthan et j’y passe parfois plusieurs mois. Avec ces allers-retours réguliers, j’ai pris le meilleur de l’Inde. Quand on vit longtemps au même endroit, on ne prête plus attention à ce qui nous entoure et tout devient comme des white noise, un bruit de fond qu’on ne perçoit plus. Paradoxalement, c’est en voyageant que nos racines se renforcent.
– Est ce que la danse est une passion ancrée dans ta famille?
– Au Rajasthan, les hommes dansent très bien, c’est une caste de guerriers qui possèdent un sens du rythme très développé, mais cela a été un grand tabou de devenir danseur de kathak, une discipline traditionnellement destinée aux femmes. Ce choix n’a pas toujours été facile à tenir et, là encore, c’est ma grand-mère qui m’a encouragé. Dans ma communauté, j’ai parfois été ridiculisé, alors qu’aujourd’hui les mêmes me citent comme représentant de leur culture.
– Adolescent, tu es rentré en Inde quelques années et tu as pratiqué différents types de danse, notamment dans une grande compagnie de danse à Bollywood. Quels souvenirs gardes-tu de cette période?
– C’était une expérience immersive. Je dansais vingt-quatre heures sur vingt-quatre et les enseignants ne montraient aucune compassion. J’y ai appris à garder les pieds sur terre et à ne pas confondre la lumière des projecteurs avec la vraie vie, car l’ego peut couper ta croissance spirituelle. La danse indienne a une vocation holistique et vise la perfection de l’âme, bien au-delà de l’aspect physique. J’ai eu l’occasion de travailler avec des danseurs classiques du Royal Ballet: ce sont des danseurs exceptionnels, mais parfois j’ai eu l’impression d’être en face de poupées de verre figées dans leur technicité.
– Avant de nous quitter, pourrais-tu nous révéler si, comme beaucoup de grands artistes, tu as un rituel avant de monter sur scène?
– Oui, je suis très superstitieux! J’ai l’impression que les esprits communiquent avec moi, ils me lancent des signes. Pour savoir si la représentation va bien se passer, je regarde les numéros autour de moi: le numéro de mon siège d’avion, celui du gate ou du check-in, celui de ma loge ou de ma chambre d’hôtel. J’additionne jusqu’à arriver à un seul chiffre. 1-7-9 veut dire que j’aurais un show superbe, 4-6-8 me montrent que j’ai intérêt à rester sur mes gardes. Si je vois des plumes blanches apparaître, c’est le signe que quelque chose de spécial va arriver. Comme quand j’ai été nominé pour le prix de danse new-yorkais Bessie. Le jour de la remise des prix, je ne pensais pas avoir une chance de gagner et avais ôté mes chaussures pour profiter confortablement de la soirée dans l’Apollo Theater. Quand mon nom a été prononcé, j’ai enfilé mes chaussures n’importe comment et me suis précipité en courant sur la scène où j’ai reçu mon prix en ayant mal aux pieds.
«Rising» le 15 avril 2016 à 20h à la Salle du Lignon vernier.ch/billetterie ou steps.ch
Le festival Steps accueille une des nouvelles stars de la danse anglaise dont l’histoire pourrait servir de scénario à un film bollywoodien, dont il a d’ailleurs connu les plateaux. Aakash Odedra est un virtuose du kathat, un style de danse traditionnelle du Nord de l’Inde tristement banni pendant plus d’un siècle sous l’empire britannique, car performé par des courtisanes. A l’instar des geishas au Japon, ces femmes étaient des artistes d’exception et maîtresses absolues de l’étiquette. Elles fréquentaient les cours des rois, racontant la mythologie à travers leurs chants et leurs mouvements. Aakash Odedra porte avec lui ce nuage fantastique de légendes. En conversant avec cet interprète, il est impossible de ne pas fantasmer sur la sophistication de ces figures féminines charismatiques, difficile de retenir notre fantaisie qui erre instantanément dans ces fastueux palais de l’Inde d’antan où culminaient arts et sensualités.
– 360°: «Rising» inclut trois solos signés pour toi par trois chorégraphes de renommée internationale. Quel effet cela fait d’entrer dans la danse contemporaine par la grande porte?
– Aakash Odedra: Akram Khan a depuis longtemps incorporé la tradition de la danse kathak dans sa pratique de danseur contemporain avec l’écho mondial qui en a découlé. Akram est devenu mon mentor après avoir assisté à ma performance lors d’un festival de danses indiennes en 2009. Très rapidement, il m’a fait part de son souhait de créer un solo pour moi. Sidi Larbi Cherkaoui et Russel Maliphant m’ont ensuite auditionné et mon vocabulaire de mouvements les a également interpellé. De là a pris naissance l’intense travail derrière Rising, un voyage artistique qui m’a amené sur des terres inexplorées. La confiance qu’ils m’ont témoignée m’a poussé à me mettre en jeu au maximum et j’ai énormément appris avec ces méthodes de travail, ces nouvelles esthétiques. Je dois admettre que, jusqu’au jour de la première, face à un projet si ambitieux, j’ai aussi vécu des moments de grande solitude. C’était un peu comme une longue gestation!
– Pourrais-tu nous raconter un peu ce qu’est le «kathak»?
– Le kathat est lié à l’histoire des tawaifs et a été populaire dans le Nord de l’Inde pendant des siècles. En 1817, la Grande Bretagne puritaine a malheureusement interdit tout type d’expression corporelle jugée proche de la prostitution. Alors que les tawaifs étaient des érudites des arts à une époque où les femmes étaient majoritairement analphabètes. Tel un courant féministe avant l’heure, les tawaifs s’organisaient selon leur propre système matriarcal, jouissaient d’une grande liberté quant à leurs choix de vie et leur présence dans les cours leur conférait de l’influence en politique. Lors de son indépendance en 1947, l’Inde a voulu retrouver son identité et a donc ravivé cette tradition, mais en ôtant l’aspect sensuel. Des siècles de dominations étrangères, d’abord musulmane, puis britannique, ont donc eu raison des textes d’origine, lentement remaniés au fil du temps pour gommer toute allusion trop directe à la sexualité. Or, cette tradition nous apprend que, si l’on regarde le sexe comme quelque chose de vulgaire, il devient vulgaire, mais c’est absurde de ne pas voir la sexualité comme une partie naturelle de notre vie, cela serait comme oublier que c’est ainsi que nous arrivons dans ce monde. J’ai eu la chance inouïe de rencontrer l’une des rares tawaifs encore en vie et cela m’attriste d’autant plus de savoir qu’avec sa disparition, un grand savoir pourrait être perdu à jamais. Voilà pourquoi j’ai envie de réaliser un documentaire. En ce qui me concerne, j’essaie de perpétuer cette tradition à ma façon, en gardant son essence.
– Il s’agit d’une danse qui exige de grandes qualités physiques afin d’allier grâce et rapidité d’exécution. Les mouvements circulaires des mains et des poignets ainsi que les virevoltes en sont une composante essentielle. Pourquoi?
– Selon la mythologie hindoue la vie est un cercle et Shiva régit ces cycles: destruction et renouveau. Au niveau du système rythmique de la danse, on remarque qu’on compte souvent deux temps de huit. Dans cette répétition mathématique, on peut aussi voir un sens de circularité. Le cercle vaut comme symbole de fluidité, de continuité, d’absence de cassure.
– Existe-t-il encore une forme de kathak fidèle à ses origines?
– L’Inde est un pays d’extrêmes et de contradictions, où passé, présent et futur cohabitent, s’amalgament. Lors de mon dernier voyage, j’ai vu derrière les ruines millénaires s’élèver des gratte-ciels commandités par des magnats, il y a donc toujours de la place pour les traditionalistes aussi bien que pour ceux qui aiment regarder vers le futur. De nos jours, la ville de Bénarès demeure indubitablement un berceau du kathak et dans l’enceinte de leurs maisons les grandes familles accueillent encore des représentations comme à l’époque.
– Tu as grandi en Angleterre, mais tu as réussi à te reconnecter à tes racines. Pourrais-tu nous raconter ton histoire personnelle?
– Je descends d’une famille indienne qui a quitté le pays depuis quatre générations pour émigrer en Afrique d’où ils ont été forcés de partir, dans les années 70, sans rien d’autre que les habits qu’ils portaient. Si j’ai pu garder des liens avec mes racines, je le dois tout d’abord à ma grand-mère qui m’a élevé en Angleterre. C’était une femme à l’esprit ouvert, une créature intense à l’allure unique avec ses tatouages traditionnels remontant le long de ses bras et de son cou. C’est elle qui m’a donc appris la langue de mon village en me racontant des contes indiens pour m’endormir. Depuis l’âge de 4 ans, j’ai eu la chance de retourner souvent au Rajasthan et j’y passe parfois plusieurs mois. Avec ces allers-retours réguliers, j’ai pris le meilleur de l’Inde. Quand on vit longtemps au même endroit, on ne prête plus attention à ce qui nous entoure et tout devient comme des white noise, un bruit de fond qu’on ne perçoit plus. Paradoxalement, c’est en voyageant que nos racines se renforcent.
– Est ce que la danse est une passion ancrée dans ta famille?
– Au Rajasthan, les hommes dansent très bien, c’est une caste de guerriers qui possèdent un sens du rythme très développé, mais cela a été un grand tabou de devenir danseur de kathak, une discipline traditionnellement destinée aux femmes. Ce choix n’a pas toujours été facile à tenir et, là encore, c’est ma grand-mère qui m’a encouragé. Dans ma communauté, j’ai parfois été ridiculisé, alors qu’aujourd’hui les mêmes me citent comme représentant de leur culture.
– Adolescent, tu es rentré en Inde quelques années et tu as pratiqué différents types de danse, notamment dans une grande compagnie de danse à Bollywood. Quels souvenirs gardes-tu de cette période?
– C’était une expérience immersive. Je dansais vingt-quatre heures sur vingt-quatre et les enseignants ne montraient aucune compassion. J’y ai appris à garder les pieds sur terre et à ne pas confondre la lumière des projecteurs avec la vraie vie, car l’ego peut couper ta croissance spirituelle. La danse indienne a une vocation holistique et vise la perfection de l’âme, bien au-delà de l’aspect physique. J’ai eu l’occasion de travailler avec des danseurs classiques du Royal Ballet: ce sont des danseurs exceptionnels, mais parfois j’ai eu l’impression d’être en face de poupées de verre figées dans leur technicité.
– Avant de nous quitter, pourrais-tu nous révéler si, comme beaucoup de grands artistes, tu as un rituel avant de monter sur scène?
– Oui, je suis très superstitieux! J’ai l’impression que les esprits communiquent avec moi, ils me lancent des signes. Pour savoir si la représentation va bien se passer, je regarde les numéros autour de moi: le numéro de mon siège d’avion, celui du gate ou du check-in, celui de ma loge ou de ma chambre d’hôtel. J’additionne jusqu’à arriver à un seul chiffre. 1-7-9 veut dire que j’aurais un show superbe, 4-6-8 me montrent que j’ai intérêt à rester sur mes gardes. Si je vois des plumes blanches apparaître, c’est le signe que quelque chose de spécial va arriver. Comme quand j’ai été nominé pour le prix de danse new-yorkais Bessie. Le jour de la remise des prix, je ne pensais pas avoir une chance de gagner et avais ôté mes chaussures pour profiter confortablement de la soirée dans l’Apollo Theater. Quand mon nom a été prononcé, j’ai enfilé mes chaussures n’importe comment et me suis précipité en courant sur la scène où j’ai reçu mon prix en ayant mal aux pieds.
«Rising» le 15 avril 2016 à 20h à la Salle du Lignon vernier.ch/billetterie ou steps.ch
Dès la rentrée 2016 l’université de Stony Brook à New York propose à ses étudiants un nouveau cursus sous l’intitulé «Études en masculinités». Une heureuse reconnaissance pour le sociologue américain Michael Kimmel et une belle claque aux masculinistes qui s’opposent aux revendications féministes et s’agrippent à une notion archaïque et figé de l’idéal masculin viril. Dans leur approche de la condition masculine, les men studies sont pro-féministes et refusent qu’un unique système de valeurs s’impose aux hommes car, historiquement, la virilité s’est affirmée par la capacité d’un homme à en dominer d’autres – on remarque au passage que la langue française permet de distinguer masculinité et virilité alors que la distinction n’existe pas pour la féminité. C’est en se détachant des anciennes valeurs que l’homme peut donc surmonter la présumée crise de la masculinité.
Les men studies ont premièrement fait leur apparition en tant que sous-catégorie des women studies, mais l’entrée en vigueur de ce master marque un signe encourageant pour une (r)évolution des hommes qui ne songent pas à rivaliser avec leurs homologues féminines et qui ne s’offusquent pas devant les mutations des rôles sociaux. En investigant l’ensemble des éléments donnés comme devant être le propre de l’homme dans une époque et un contexte social bien précis, ce master décortique le genre masculin et participe à combattre l’homophobie.
Michael Kimmel en 2012, photo Stephan Roehl/flickr CC.
Pour Michael Kimmel, 64 ans, les hommes ont constitué l’objet de recherche de toute sa carrière académique. Ses derniers ouvrages: «Angry White Man», qui décrit la frustration d’une tranche de la population américaine, ou encore «l’Encyclopédie culturelle du pénis» (lire ci-dessous). Rencontre avec un chercheur passionné et prolifique.360° – Quel était le concept à la base de ce nouveau programme d’étude?
Michael Kimmel – L’intitulé de ce master pourrait faire croire à des études qui se définissent en opposition aux women studies, mais il s’agit d’une extension. Les women studies ont réalisé principalement deux choses : elles ont rendu les femmes visibles, en commençant par les artistes et les écrivains, et ainsi elles nous ont ouvert les yeux sur tous les mécanismes, des plus évidents aux plus pernicieux, selon lesquels les critères de genre organisent notre vie sociale. A leur tour, les hommes ne peuvent pas éviter cette réflexion.
– Quelles seraient les motivations des hommes face aux études de genre?
– Quand on commence à comprendre les inégalités de genre, on comprend aussi que les stéréotypes masculins nuisent aux hommes comme aux femmes. Aucun des hommes que je connais ne désire être un Don Draper (le héro macho de la série «Mad Man»), aucun des hommes que je connais ne veut se dédier exclusivement à son travail au détriment de bonnes relations avec leur partenaire ou avec leurs enfants.
– Vous avez collaboré avec Martin Lewine pour la publcation du livre «Gay Macho», quelle est votre position par rapport aux revendications actuelles de la communauté LGBT?
– Nous soutenons l’égalité des genres comme des sexualités. J’ai collaboré avec Lewine il y a 20 ans avec «Gay Macho» qui mettait en évidence comment, à un moment particulier du mouvement gay, les hommes homosexuels voulaient montrer qu’ils étaient de vrais hommes, et non pas des hommes ratés. Et donc, s’ils sont comme les autres hommes, pourquoi n’auraient-ils pas droit aujourd’hui au mariage et à la famille ? Plus qu’une question de genre, c’est un problème de morale, car il n’existe aucune raison qui devrait les en empêcher. Aujourd’hui, ces questions ont une portée politique, mais mon rôle est celui de chercheur et je ne peux qu’essayer de réduire tous les préjudices causés par les orientations sexuelles.
«La plus grande majorité des victimes de violence sont d’autres hommes… » Michael Kimmel
– Comme Virginie Despentes en France, vous pointez du doigt le lien entre masculinité et violence comme un problème majeur.
– La violence fait indéniablement partie de la masculinité, comme chaque homme est confronté avec le potentiel de violence, car il s’agit de la manière dont l’homme se sert pour maintenir le contrôle et le pouvoir. La plus grande majorité des victimes de violence sont d’autres hommes et il me semble que la plupart des actes de violence, que ça soit vers un homme, une femme ou un enfant, est basé sur le genre et correspond à une expression des stéréotypes de genre.
– Du coup, décortiquer les clichés qui oppriment les hommes représenterait une solution pour résoudre ce problème?
– Afin de le traiter, on doit parler de ce que signifie être un homme avec une approche académique et intellectuelle. A travers cette nouvelle filière nous allons aborder également les thématiques de paternité, sexualité, vie de famille, relation au travail qui montrent que les différences parmi les hommes sont beaucoup plus grandes que celles entre hommes et femmes! Si on en parle aujourd’hui, c’est parce que ces causes sont importantes. Je suis même un peu frustré que ces thématiques mettent si longtemps à être à l’ordre du jour.
Un jouet, un objet fétiche, une arme, le pénis est tout à la fois. Habitué à ne jamais appréhender les choses d’un point de vue biologique, Michael Kimmel a invité des experts de toutes les disciplines pour explorer cette richesse sémantique pour une suite bigarrée de textes qui vont de la ceinture de chasteté à l’ autofellation, du glory hole aux castratos en passant par l’ impuissance. On voyage au Bhoutan où les boiseries phalliques décorent l’extérieur des maisons pour chasser les mauvais esprits et on apprend qu’une école de masturbation tantrique existait aux Etats Unis sous le nom de Body Electric School.
Chaque texte étant indépendant des autres, ce tome volumineux peut être feuilleté au hasard et n’a pas encore été traduit en français. Si certaines thématiques sont passées en survol et nous laissent un peu sur notre faim, cette compilation phallique a le mérite d’attiser la curiosité pour continuer la recherche sur les sous-cultures du pénis. Dans l’introduction, Kimmel cite une anecdote sur le président américain Lyndon B. Johnson qui, aux questions des journalistes sur les raisons de sa volonté de poursuivre la guerre au Vietnam, avait osé sortir son pénis et répliquer « voilà pourquoi ». Si cet épisode grotesque date de 1968, il nous ramène au triste constat que virilité exacerbée et pouvoir politique font encore bon ménage de nos jours.
«Cultural Encyclopedia of the Penis», sous la direction de Michael Kimmel, Christine Milrod et Amanda Kennedy, aux éditions AltaMira Press
Poète, écrivain, cinéaste, journaliste, figure du communisme engagé, rien n’aurait pu arrêter la voix singulière de Pier Paolo Pasolini, à part sa propre mort. Il y a quarante ans, le cadavre de l’artiste est retrouvé, massacré et mutilé, dans un terrain vague à la périphérie de Rome. A la barbarie de l’assassinat s’ajoute l’infamie des versions officielles présumant d’un jeune voyou prostitué auprès de qui Pasolini aurait insisté pour une prestation sexuelle. Ce dernier se déclarera coupable et sera le seul à subir une condamnation alors que plusieurs éléments prouvent qu’il n’était pas l’unique individu sur le lieu du crime.
Les circonstances demeureront fumeuses. La magistrature, qui n’avait cessé de harceler l’écrivain de son vivant avec un total de trente procès contre sa personne, montrera peu de zèle à cette occasion et se contentera de la première piste servie sans jamais démêler les modalités du délit. A l’époque de sa mort l’opinion publique essaie de traiter l’affaire comme l’ultime scandale d’un sulfureux personnage. Pour étouffer momentanément la piste du crime politique, on sous-entend qu’il aurait cherché les ennuis à travers son homosexualité assumée et les propos radicaux de son art.
L’ange et le démon
Persécuté par la justice, lynché par les médias, parfois agressé et pour finir réduit au silence à travers un homicide truculent et jamais élucidé, la figure de Pasolini peut se targuer du statut de prophète martyr. Son effigie a fait d’ailleurs apparition dans les rues de Rome et de Naples en version Pietà de Michel-Ange, dans une réalisation qu’on a à tort d’abord attribuée à Banksy mais qui appartient à un autre artiste urbain français répondant au nom d’Ernest Pictet-Ernest.
Alors qu’il était profondément anticlérical et qu’il avait subi des accusations d’indignité morale, l’Eglise lui a tout de même également rendu sa révérence, à travers un article paru en juillet 2014 dans le quotidien du Vatican «L’Osservatore Romano». On y cite son long-métrage «L’évangile selon Matthieu», sorti en 1964, comme «un des meilleurs films jamais tourné sur Jésus». Sonne l’heure de la commémoration et l’Italie entière regrette «le corsaire», «l’hérétique», «le saint infâme».
A la télévision, audimat oblige, c’est en premier lieu aux circonstances obscures de sa disparition qu’on laisse place, avec leur dose de mystère et de détails morbides. Pour basculer dans le registre opposé, on note la tentative maladroite de restituer une dimension humaine à ce personnage complexe de la part d’une émission édulcorée du dimanche soir intitulée «Che Tempo Fa» sur la chaîne Rai3. Le présentateur saute à pieds joints sur toutes les thématiques pasoliniennes pour se concentrer sur l’homme qui aimait jouer au foot.
Entre ces deux extrêmes, sensationnalisme et banalisation, on dirait que la télévision ne peut pas s’empêcher de dénaturer le contenu subversif de l’œuvre de Pasolini et c’est seulement quand on lui redonne la parole à travers les images d’archives que le spectateur se délecte véritablement. D’un ton toujours calme, les joues creuses et le regard mélancolique, il livre ses anticipations sociopolitiques à propos du «génocide culturel» de la société de consommation, son nivellement et homologation systématique, mais il s’attaque aussi au dogme du progrès, entrant en résonance avec les questionnements du monde contemporain devant la surpopulation, les changements climatiques et le besoin de nouveaux modèles économiques viables.
Piètre influence
Une voix discordante s’est pourtant élevée au dessus du chœur unanime des louanges et a subi la foudre du peuple nostalgique de Pasolini sur le web. Il s’agit du réalisateur Gabriele Muccino, auteur notamment du film «Juste un baiser», qui a osé profaner la production cinématographique de Pasolini. Selon Muccino, s’improvisant derrière la caméra sans maîtriser préalablement la technique et fabriquant son propre style, Pasolini aurait nui au cinéma italien ouvrant la voie à une foule d’autres réalisateurs inexpérimentés.
Peu importe si Muccino est un réalisateur assez médiocre, son opinion a le mérite toutefois de lancer une discussion fertile au delà du processus de béatification de Pasolini. Les films de Pasolini sont-ils réellement appréciés en dehors du cercle des cinéphiles avertis? Malgré son importance, peut-on admettre que Salò est un film aux images parfois peu digestes? Considérant les diverses périodes pasoliniennes, entre l’espoir du début et la vision noire de la fin, quels sont les films à voir pour comprendre l’artiste? Et pour finir, aura-t-on vraiment compris cet intellectuel sans avoir lu ses textes?
Au moment de son premier film, «Accattone», Pasolini ne maîtrisait en effet pas encore les codes cinématographiques, mais de cette inexpérience il en fait une richesse, tout comme il préfère repérer ses acteurs dans la vraie vie au lieu de choisir des visages célèbres, à quelques exceptions près (Anna Magnani, Maria Callas et Totò).
Au-delà du supportable
Pasolini se tourne vers le cinéma relativement tard, il a trente-neuf ans lors de son premier film, guidé par l’urgence de raconter la réalité dans son parcours erratique d’artiste complet. Sa filmographie est d’ailleurs composée de court-métrages et de documentaires inconnus du grand public, tandis que les films qui ont l’impact plus tonitruant sur le cinéma contemporain sont sûrement «Théorème» ainsi que «Salò ou les 120 jours de Sodome», qui joue avec la sensibilité du spectateur au-delà du supportable. C’est là que ses écrits pourraient venir en aide à notre seuil de tolérance, pour saisir la profondeur de son regard sur le pouvoir, pour comprendre à quel point il vivait ses discours idéologiques de manière existentielle, concrète et dramatique.
De l’héritage que cet artiste inclassable et solitaire a légué à l’Italie, elle devrait surtout s’imprégner de son activisme, de sa voracité, de l’envie d’aimer la vie risquant d’entrer en collision parfois avec notre présent. En ce qui concerne la faculté du cinéma italien de raconter son pays, quelques exemples encourageants viennent égayer notre vue, comme «Gomorra» et «Reality» de Matteo Garonne ou «Il Divo» et «La grande bellezza» de Paolo Sorrentino.
«Le temps perdu ne se rattrape pas! En fait, il vit au plus profond de nous, et seuls quelques-uns de ses fragments, anesthésiés ou embaumés par une mémoire conceptuelle et intéressée, vivent dans la conscience et forment notre autobiographie.» Pier Paolo Pasolini, «Les Anges Distraits»