flickr/stevendepolo
Pilule rose, par opposition à la couleur bleue du Viagra, la flibansérine, récemment commercialisée aux Etats-Unis sous le nom d’Addyi, est censée donner envie aux femmes d’avoir des relations sexuelles.
Ma première réaction fut l’agacement: quand les hommes ont des soucis de performance, on leur donne une molécule leur permettant d’être mécaniquement performants (et qui marche pour presque tous les hommes). Tandis que lorsque les femmes ne peuvent pas avoir de relations sexuelles car elles sont atteintes de vaginisme ou n’ont pas de lubrification, on leur donne une molécule qui soigne le cerveau… la dépression plus précisément et qui aurait comme effet secondaire dans 10% des cas d’augmenter la libido.
Pour les hommes ce serait physique et pour les femmes, ce serait mental.
Bien entendu, pour les hommes déprimés, il suffit de les faire bander, peu importe qu’ils aient envie. Et les femmes atteintes de vaginisme… tant pis pour elles, leur vaginisme est sûrement lié à un problème moral, un viol ou un truc psychologique n’est-ce pas ?
Pour autant, j’ai tenté de savoir s’il existait une femme qui aurait envie de prendre cette pilule. Elodie (prénom modifié), 32 ans, célibataire sans enfant, a accepté de témoigner sous anonymat.
Il y a presque 10 ans, mon gynéco m’avait mis sous une pilule qui ne me convenait pas du tout. Sautes d’humeur perpétuelle (au point où je ne me reconnaissais pas d’être aussi agressive) et zéro libido. Je vivais en couple, inutile de dire que c’était dur pour nous deux. Moi je me sentais bonne à rien, inutile, avec le sentiment d’avoir un corps déjà hors d’état de servir, alors que j’avais une vingtaine d’années. Cela me rendait malheureuse car je voyais bien que mon ami souffrait et moi je pensais faire une dépression.
Le sexe, comme la nourriture, sont pour moi des moyens simples de se faire plaisir rapidement ; le jour où on perd ça, la vie perd de sa saveur. Et surtout j’avais le sentiment que ma jeunesse était déjà finie, que j’avais la vie d’une mamie, etc.
Cette phase a duré deux ans, avec en moyenne un rapport par mois, et a débouché assez inévitablement sur une rupture (ce n’était pas le seul problème ! Mais je vivais aussi mon absence de désir comme un symptôme que quelque chose ne tournait pas rond entre nous donc je nous épuisais à essayer de comprendre…).
Ce que j’aurais attendu de ce médicament, c’est d’avoir à nouveau du désir et de rendre mon corps à nouveau réceptif aux sollicitations (j’avais vraiment l’impression d’être un bout de bois, de passer à côté de tout un pan de ma vie). Mais pour être honnête, à l’époque je n’en parlais à personne, ni médecin ni ami… si j’avais su qu’un médicament existait je serais allée en parler, de préférence à mon généraliste (je n’ai pas une affection folle pour les gynécos, les 4 que j’ai connus étaient ultra axés sur la reproduction, alors la contraception était vraiment le dernier de leurs soucis, et le mot désir n’existait pas dans leur vocabulaire…). Mais c’est aussi car je pensais à l’époque faire une déprime ou une dépression et le généraliste me semble plus approprié pour ces sujets.
Néanmoins, elle nuance l’intérêt potentiel:
Peu de temps après, j’ai changé de pilule (pour une très modulable et qui avait plein d’autres effets bénéfiques – adieu acné et règles, bonjour peau de bébé et cheveux vigoureux), rencontré quelqu’un d’autre et les choses sont rentrées dans l’ordre.
Et elle avoue « une certaine amertume vis à vis de l’industrie pharmaceutique »:
L’industrie pharmaceutique qui commercialise depuis des années des pilules contraceptives dont on sait qu’elles dégradent sérieusement la libido pour 15% des utilisatrices, donc je n’ai pas pu m’empêcher de penser que commercialiser ET le poison ET le remède est un bon business modèle. Ma remarque n’est pas liée qu’à l’industrie, cela vient aussi beaucoup du modèle français où c’est forcément le gynécologue qui s’occupe de contraception, avec pour modèle unique « pas d’enfants entraine pilule » et « enfant entraine stérilet ».
Plus qu’à espérer que les médecins lisent un peu plus Martin Winckler. A ma connaissance, il n’existe rien contre le vaginisme mais il existe beaucoup de très bons lubrifiants. Quant aux hommes sans libido, vous pouvez toujours attendre, peut-être que le traitement arrivera en même temps que la pilule contraceptive pour homme, dans un siècle ou deux.