Qui se ressemble s’assemble? – flickr/RIza Nugraha
Internet, cette grande machine de mise en relation des individus du monde entier, peut nous permettre de rencontrer des gens de tous horizons. Mais l’entre-soi y reste la règle, et c’est aussi le cas sur les sites de rencontres. La sociologue Marie Bergström a consacré sa thèse aux rencontres en ligne : « Au bonheur des rencontres : Sexualité, classe et rapports de genre dans la production et l’usage des sites de rencontres en France ». Après nous avoir expliqué comment les rencontres en ligne devenaient rapidement sexuelles, elle nous décrit ces mécanismes qui nous font rejeter les profils trop éloignés de nos standards.
Est-ce qu’internet permet de réduire l’homogamie (trouver un conjoint au sein de son propre groupe social), d’aller chercher des partenaires qui sont en dehors de nos cercles habituels ?
L’originalité de ces sites est de faciliter les rencontres au-delà de nos cercles habituels : les rencontres en ligne se déroulent en dehors, et à l’insu, du cercle de sociabilité. On aurait pu penser que Facebook allait tuer les sites de rencontres, mais Facebook ne permet pas d’aller chercher en-dehors de ses cercles, ni d’éviter le regard des pairs. Par exemple les jeunes femmes, dont la sexualité fait toujours l’objet d’un contrôle important par l’entourage, vont plus aisément vivre des relations, notamment occasionnelles, avec des partenaires qui sont extérieurs à leurs réseaux sociaux.
Pour autant les sites de rencontres ne réduisent pas sensiblement l’homogamie car, comme lors des rencontres offline, il y a toujours une sélection sociale des partenaires. On se retrouve souvent avec des personnes qui ont les mêmes goûts et sont issu du même milieu social.
Comment se passe cette sélection sociale?
Elle a lieu en trois phases : l’évaluation du profil, l’échange écrit, puis finalement la rencontre physique.
Lors de l’évaluation du profil, il y a des pratiques très différentes. Les personnes diplômées tendent à donner beaucoup d’attention à l’annonce écrite, à la fois sur ce qui est dit, sur le niveau en orthographe qui est très discriminant. La photo compte aussi, mais le texte est très important. Chez les personnes moins scolairement dotées, un texte détaillé va paraître prétentieux et on va miser davantage sur l’image. Donc, il y a des usages sociaux différents des profils qui contribuent à l’homogamie.
Pendant l’échange écrit, d’autres mécanismes sont en action. On va essayer de créer une interaction par le verbe, en trouvant des sujets de conversation (musique, activités, pratiques culturelles). L’affinité des goûts participe ici au processus d’homogamie. En plus de ça, il y a des codes de la séduction qui sont socialement discriminants. Dans les milieux à plus faible capital économique et culturel, on va beaucoup plus vite raconter sa propre histoire affective et se faire des compliments directs, ce qui sera perçu comme déplacé chez les personnes dotés en capitaux pour qui la séduction est un jeu d’ambigüité : on ne peut pas y être explicite, il faut faire comprendre son intérêt sans le dire. La séduction est un jeu à la fois genré et très social.
Hommes et femmes sont donc censés se comporter différemment ?
Oui, les rencontres en ligne suivent des scripts qu’on trouve ailleurs et qui sont très genrés. Un de ces scripts c’est la réserve féminine. C’est aux hommes de prendre l’initiative et aux femmes de temporiser les interactions. Selon le rituel de la séduction hétérosexuelle, les femmes doivent ainsi mettre des « barrières » et c’est aux hommes de les faire tomber. Si une femme déroge à ce script, si elle prend l’initiative ou si elle se montre ouverte à une rencontre sexuelle, elle risque sa « réputation sexuelle ». Mais cela créé aussi des attentes chez les hommes : une femme qui se montre disponible risque d’être perçue comme inconditionnellement disponible, les hommes vont attendre d’elle qu’elle ne dise jamais non. Elle peut donc perdre le contrôle des interactions et pour l’éviter, elle se retrouve dans la nécessité d’afficher une image retenue et « respectable ».
Qui plus est, souvent les hommes ne vont pas répondre favorablement à une situation qui les prive de la performance d’avoir à séduire. En résumé, ce n’est « pas marrant si c’est trop facile ». Aussi, dans les situations ou les femmes passent outre la réserve qu’on attend d’elles, les hommes ne donnent souvent pas suite car cela sort du script qu’ils connaissent. Ils ne savent pas comment gérer la situation et prennent peur. Dans le script habituel, c’est la réserve féminine qui crée la tension sexuelle, donc si les femmes dérogent à ce scénario, les hommes ont du mal à jouer le jeu de la séduction.