Un visuel sur le site ASDA dating, qui propose de rencontrer des célibataires en faisant ses courses… – flickr/ssoosay
Dans son dernier ouvrage, Misère-sexuelle.com, le livre noir des sites de rencontres, l’inénarrable Stéphane Rose tombe à bras raccourcis sur les sites qui vous promettent de trouver l’âme soeur ou simplement une aventure d’un soir, voire un coup d’un soir qui tourne mal et devient une histoire d’amour.
Son interview a fait bondir mon amie Justine (35 ans) qui a souhaité réagir. En revanche, son livre et ses constats ont été encensés par mon ami Matthieu (33 ans) qui voyait là une bonne analyse de son expérience. Il semblerait donc que les hommes et les femmes ne fassent pas du tout la même expérience de ces sites de rencontres.
Camille : Cher Stéphane, vous à qui les sites de rencontres ont tant apporté (que ce soit en tant que source d’inspiration littéraire ou en rencontres glanées), ce livre n’est-il pas une façon de cracher dans la soupe?
Stéphane : Je cracherais dans la soupe si je dénigrais unilatéralement les sites de rencontres, ce qui n’est pas le cas. J’affirme tout au long du livre qu’on peut en avoir une utilisation efficace et saine… Mais pas que. Et tout est dans le « pas que ». C’est un fait : beaucoup de personnes n’ont aucun succès sur les sites de rencontres, et parmi ceux qui ont du succès, beaucoup se laissent aller à des distorsions comportementales un peu flippantes (addiction, zapping relationnel, parano, flicage…) qui peuvent faire des dégâts sur leurs partenaires et sur euxmêmes. Mais c’est une expérience intéressante, c’est pourquoi je ne cherche surtout pas à dissuader les gens de s’y inscrire. On peut apprendre des choses précieuses sur soi en fréquentant les sites de rencontres. Comme les réseaux sociaux d’une manière générale, les sites de rencontres nécessitent parfois qu’on s’en fasse sa propre expérience, sa propre éducation avant de pouvoir les utiliser sainement (ou décider de ne jamais les utiliser).
Justine : je ne pense pas que les distorsions comportementales soient spécifiques aux sites de rencontres. Ce sont sûrement les mêmes personnes jalouses (par exemple) qui, en d’autres temps, auraient surveillé le courrier, qui se mettent à examiner le temps de présence en ligne.
Matthieu : le zapping relationnel lié aux rencontres en ligne est une réalité selon mon expérience. En ce qui me concerne, j’ai plutôt été le zappé. J’ai souvent vécu ce genre de configuration : j’envoie un premier message pour lequel je m’applique un peu, et la réponse que je reçois est souvent très positive et laisse entendre que j’ai suscité de l’intérêt. Mais après le deuxième message (pourtant pas torché, insultant, graveleux ou quoi que ce soit), plus aucun contact … Je ne comprenais pas les raisons de ces fins de nonrecevoir subites, et honnêtement, ça me laissait perplexe et frustré. C’est en lisant misère-sexuelle.com que j’ai pris conscience de ce phénomène de zapping, de « le prochain sera peutêtre mieux », qui pouvait exister chez les femmes. Après tout, le mâle est la marchandise sur les sites de rencontres, et l’offre surpasse largement la demande (par quel facteur ? les sites de rencontres se gardent bien de le dire). Les sites comme adopteunmec en font même leur principe fondateur.
Camille : Monsieur Rose, vous suggérez que les sites de rencontres, grâce à tous les critères renseignés sur les fiches des inscrits, ne sont que des entre-soi où l’on essaye de rencontrer son double…
Stéphane : La nouvelle tendance des sites « pour célibataires exigeants » comme Attractive World, le montre bien : voilà un site que l’on ne peut utiliser que si on a été admis par les membres de la communauté des utilisateurs sur la base de quelques indications sommaires et une photo. C’est l’inverse d’une démarche d’ouverture. Le boom des sites communautaires (rencontres par affinités religieuses, culturelles ou autres) va également à l’encontre de toute logique d’ouverture. Et sur les sites généralistes, ça n’est pas forcément mieux. Je connais et peux témoigner de votre propre ouverture, honorable Camille, mais je pense qu’elle est une exception qui ne reflète pas la réalité des sites de rencontres. Après, ces sites peuvent très bien servir aux exceptions pour se rencontrer entre elles… Ce qui revient au même : « l’ouverture » devient alors un critère de sélection comme un autre.
Justine : Justement, je trouve que c’est un des avantages des sites de rencontres. Ils permettent effectivement de rencontrer son double, ce qui est rarement possible la vie de tous les jours. Quelles sont les chances de rencontrer (au hasard) un homme un peu journaliste sur les bords, mesurant 1m85, barbu, aimant les poils et la randonnée dans un café?
Matthieu : Je ne cherche pas spécialement de double sur les sites de rencontres, étant au contraire plutôt plus attiré par des filles assez opposées à ce que je suis au moins en terme de tempérament. Et je suis encore moins intéressé par quelqu’un qui peut se résumer en deux adjectifs ou un centre d’intérêt. Mais je comprends que les gens d’un même milieu socioculturel s’attirent et se recherchent. Ca donne des conversations où le consensus peut être vite atteint, ce qui est relaxant. Et puis après tout, ça ressemble à ce qui s’est toujours fait avant les sites de rencontres: les gens se mariaient au sein d’un même milieu, d’un même culte, ou se rencontraient au travail ou dans le cadre de leurs hobbies … Non ?
Encore une inégalité hommes/femmes?
Justine, une fille qui aime à pouvoir sélectionner efficacement ses contacts, et Matthieu, un garçon qui a l’impression d’être noyé dans la masse des hommes prétendants, sont peut-être les archétypes de l’inégalité structurelle à tous les sites de rencontres : beaucoup d’hommes en recherche, et donc surreprésentés par rapport aux femmes. Le mot de la fin revient à Matthieu : « Ce qui est intéressant dans le livre de Stéphane Rose, qui relate une expérience mitigée par rapport au discours conventionnel et publicitaire autour des sites de rencontres mettant en avant les réussites, c’est qu’elle permet de relativiser ma propre expérience. Sans recul ni feedback, à certains moments tu te demandes si l’échec vient de toi uniquement. Maintenant, je sais que c’est un petit peu plus compliqué que ça ! »