La veuve de Fiona Barton est un thriller réaliste et glaçant. Combien d’entre nous préfèrent voir la vérité qui nous arrange plutôt que celle qui remet en cause notre indifférence à la vie d’autrui, surtout quand elle paraît si « ordinaire » aux yeux de la communauté ?
La veuve raconte une histoire sordide dont se délectent toujours les médias et ceux qui les suivent avec avidité. La construction qu’a choisie Fiona Barton pour dérouler les évènements est machiavélique. Elle entrelace le chant choral de ses personnages – Jane Taylor, la veuve ; Kate Waters, la journaliste ; Bob Sparkes, l’inspecteur ; Dawn Elliott, la mère – à leur présent et leur passé.
Au début du roman, nous sommes en juin 2010. Jane Taylor est veuve depuis quelques jours. Son mari, Glen est mort, fauché par un bus.
Jane Taylor. Qui est réellement cette femme, mariée à 18 ans à un homme tellement attentionné ? Sa vie a toujours été ordinaire. Un travail sans histoire, une jolie maison et Glen qui lui apportait tout ce qu’elle désirait sans qu’elle lui demande jamais rien. Banal. Ou presque.
En 2006, Bella, une fillette de deux ans a disparu. En quelques semaines, la vie de Jane Taylor a basculé. Les médias ont désigné Glen comme le suspect idéal.
Pendant quatre années, les Taylor vont être harcelés. Jane est abandonnée par le peu d’amis qu’elle avait et perd son emploi. Elle n’a plus aucun répit, même après l’acquittement de Glen.
La mécanique mise en œuvre par Fiona Barton est impressionnante. Son récit malmène le lecteur éblouit par cette lumière jetée sur cette femme mariée à un homme soupçonné d’avoir kidnappé, violé et tué une enfant. Qui dit vrai ? Que s’est-il réellement passé ? Qui est coupable ? Jane Taylor a tout subi. Pourtant, elle est restée aux côtés de Glen.
La veuve nous renvoie à nos propres paradoxes et au jugement que nous pouvons porter sur les épouses des hommes accusés d’avoir commis des horreurs. N’est-il pas plus facile de vivre en ignorant ce que l’on soupçonne chez l’autre ?
Fiona Barton est journaliste et formatrice internationale dans les médias. Elle a notamment écrit pour le Daily Mail et le Mail of Sunday. Par ailleurs, elle a gagné le prix du reporter de l’année. Son travail lui a permis d’observer les femmes des accusés lors des audiences et donné l’envie d’écrire La veuve, son premier roman.
Extrait (p.9 à 12)
Mercredi 9 juin 2010
La veuve
J’entends le gravier crisser sous ses pas tandis qu’elle remonte l’allée. Une démarche appuyée, des talons hauts qui claquent. Elle est presque à ma porte, elle hésite, se lisse les cheveux. Jolie tenue. Une veste à gros boutons, une robe correcte en dessous et des lunettes remontées sur le sommet de son crâne. Pas un témoin de Jéhovah ni une militante du parti travailliste. Une journaliste sûrement, mais pas du genre habituel. C’est la deuxième aujourd’hui – la quatrième de la semaine, et on est mercredi. Je parie qu’elle va me sortir un : « Je suis navrée de vous déranger dans un moment aussi difficile. » C’est ce qu’ils disent tous, avec une expression contrite idiote. Comme s’ils s’en souciaient.
Je vais attendre de voir si elle sonne deux fois. L’homme de ce matin ne l’a pas fait. A l’évidence, se donner cette peine est d’un ennui mortel pour certains d’entre eux. Ils repartent sitôt le doigt retiré de la sonnette, redescendent l’allée d’un pas pressé, s’engouffrent dans leur voiture et filent. Ils pourront raconter à leur patron qu’ils ont toqué à la porte mais qu’il n’y avait personne. Pathétique.
Elle sonne deux fois. Puis elle frappe du poing : des coups forts et rapides. Comme la police. Elle me voit soulever le bord du voilage et me décroche un immense sourire, celui que ma mère appelle le sourire hollywoodien. Puis elle toque encore.
Lorsque j’ouvre la porte, elle me tend la bouteille de lait qui se trouvait sur le seuil et lance :
— Vous ne devriez pas laisser ça dehors, il va tourner. Puis-je entrer ? Vous faites chauffer de l’eau pour un thé ?
Je n’arrive pas à respirer, encore moins à parler. Elle me gratifie d’un nouveau sourire, la tête penchée sur le côté.
— Je m’appelle Kate. Kate Waters, je suis journaliste au Daily Post.
— Je m’app…
Je me tais brusquement, elle ne m’a rien demandé.
— Je sais qui vous êtes, madame Taylor, réplique-t-elle sans dire ce qui lui brûle en réalité les lèvres : Vous êtes l’info. Ne restons pas dehors.
Sur ces mots, elle se fraie je ne sais comment un chemin vers l’intérieur de la maison.
Je suis trop sidérée par la tournure des évènements pour protester et elle prend mon silence pour un consentement : la bouteille de lait à la main, elle se rend dans la cuisine pour préparer du thé. Je lui emboite le pas – la pièce n’est pas très grande et on se gêne un peu tandis qu’elle s’active, remplissant la bouilloire et ouvrant mes placards, à la recherche des tasses et du sucrier. Je reste plantée là et je la laisse faire.
Elle jacasse à propos des meubles.
— Quelle cuisine agréable et bien rangée ! J’aimerais que la mienne soit pareille ! Est-ce que c’est vous qui l’avez installée ?
J’ai l’impression de papoter avec une amie. Je ne pensais pas que ce serait comme ça, de parler avec la presse. Je croyais que ça ressemblerait aux questions de la police. Que ce serait pénible, comme un interrogatoire. C’est ce que disait Glen, mon mari. Mais en fait ce n’est pas le cas.
Je réponds :
— Oui, nous avons choisi des portes blanches et des poignées rouges pour que ce soit propre et élégant.
Je suis chez moi, en train de discuter éléments de cuisine avec une journaliste. Glen en ferait une attaque.
— Par ici ? demande-t-elle, et je lui ouvre la porte du salon.
Je ne suis pas sûre de vouloir d’elle chez moi ; je ne sais pas très bien ce que je ressens. Mais me récrier maintenant serait grossier. Elle ne fait que bavarder en buvant le thé. C’est drôle, j’apprécie presque l’attention qu’elle me porte. Je me sens un peu seule dans cette maison maintenant que Glen est parti.
Et puis, elle prend les choses en main. C’est plutôt agréable d’avoir à nouveau quelqu’un qui s’occupe de moi. Je commençais à m’angoisser à l’idée de devoir gérer toute seule, mais Kate Waters dit qu’elle peut tout arranger.
Tout ce que j’ai à faire, c’est lui raconter ma vie, assure-t-elle.
Ma vie ? Elle ne veut pas vraiment savoir des choses sur moi. Elle n’a pas frappé à ma porte pour apprendre qui est Jane Taylor. Elle veut connaître la vérité sur lui. Sur Glen. Mon mari.
Voyez-vous, mon mari est décédé il y a trois semaines. Renversé par un bus devant le supermarché Sainsbury’s. Une minute il était là, à m’agacer à propos des céréales que j’aurais dû acheter, l’instant d’après il était mort sur la chaussée. Traumatisme crânien. Clamsé, quoi qu’il en soit. Je suis restée immobile le regard baissé sur lui. Autour de moi, les gens couraient dans tous les sens en quête de couvertures et un peu de sang tachait le trottoir. Pas beaucoup, cependant. Il aurait été content. Il n’aimait pas le bazar.
Tout le monde s’est montré très gentil, on a cherché à me dissimuler son corps ; je ne pouvais tout de même pas avouer que j’étais heureuse qu’il soit mort. C’en était fini de ses bêtises.
La veuve, Fiona Barton, éditions Fleuve Noir 416 pages 19,90 €
Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Séverine Quelet
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