Harold Cobert est romancier. Il est l’auteur de Un hiver avec Baudelaire, L’entrevue de Saint-Cloud, Dieu surfe au pays basque et Au nom du père, du fis et du rock’n'roll, publiés aux éditions Héloïse d’Ormesson.
Mon avis
Jim. Qui était ce chanteur mythique mort à 27 ans ?
Avant de lire ce roman, je ne connaissais rien de Jim Morrison ou si peu. Jim Morrison, pour moi, c’était ce beau gosse à la mine boudeuse affiché torse nu sur de nombreux posters d’après les célèbres clichés de Joel Brodsky. Quant aux Doors dont il était l’un des créateurs, je n’avais entendu que quelques rares titres. Aujourd’hui, je ne peux plus en dire autant.
Lire Jim, c’est plonger en apnée dans la tête d’un Morrison cramé, perdu d’avoir trop donné, d’avoir trop joué à franchir ses propres limites. Pourtant, malgré les jours et les nuits passés à s’imbiber d’alcool dans les bars parisiens, Jim Morrison est pleinement conscient de ce qui l’a amené là, du chemin qu’il doit parcourir pour ne pas devenir un mythe mais être reconnu comme un poète et un producteur de films. Car la prouesse de Harold Cobert est d’avoir réussi à se transformer en ce Jim Morrison bouffi par l’alcool qui débarque à Paris comme d’autres plongent à la mer, pour y chercher l’inspiration en glissant ses pas dans ceux de Rimbaud et de Baudelaire. Oui, j’aime à croire que les mots de Cobert sont ceux pensés par Morrison pendant les derniers jours qui ont précédé sa mort, terriblement puissants et troublants.
Jim est un roman qui s’adresse à toutes celles et tous ceux qui veulent apprendre qui était réellement James Douglas Morrison, poète, artiste et chanteur.
Extraits choisis
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J’aime Paris. J’étais venu en juin dernier, avant l’ouverture de ce maudit procès, à Miami, cette mascarade de justice. Comme aujourd’hui, j’étais descendu au George-V. J’aime bien cet endroit, il a des airs de bordel en peluche dans le style Nouvelle-Orléans, mais c’est surtout le bar Alexandre, juste à côté, qui me botte. C’est là que j’ai attendu Pam à ma descente de l’avion. Elle était partie en vadrouille avec sa crevure d’aristo, là, le comte Jean de Breteuil de mes deux, alors j’ai bu jusqu’à ce qu’elle se pointe. J’étais ivre quand elle a débarqué, elle était défoncée par sa saloperie d’héroïne. J’étais furieux qu’elle soit encore stone, elle était excédée que je sois encore bourré. Pourtant nous avons fait comme si de rien n’était. Qu’est-ce qu’un ivrogne peut reprocher à une droguée et une junkie à un alcoolo ? Nous sommes deux éclopés, deux araignées prises dans leur propre toile.
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Le rock est mort, tu sais. Rock is dead. Tout est parti en couilles, comme moi. Tout est pourri jusqu’au trognon, comme mon corps en déliquescence.
Le rock est mort depuis des années déjà. En tout cas ce qu’il signifiait pour moi. Il y a vingt ou trente ans, le jazz était le genre de musique vers laquelle les gens allaient, et des foules entières ont dansé là-dessus. Et puis le rock’n'roll est venu remplacer ça, et une nouvelle génération est arrivée et elle a appelé ça le rock. Mais l’éclair initial s’est éteint. La chose qu’on appelle rock aujourd’hui, ce qu’on appelait rock’n'roll il y a dix ans, est en décadence. Il y a eu un renouveau incarné par les Anglais. C’est allé très loin. Ç’avait vraiment un sens. Et puis c’est devenu timide, et ça, c’est la mort de tous les mouvements. Il y a plus d’élans initial, la spirale s’est inversée, c’est désormais presque incestueux. L’énergie n’est plus là. On n’y croit plus.
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Tu vois, personne arrive à comprendre le lien mystérieux qui nous unit, Pam et moi. Notre entourage a jamais réussi à savoir si nous étions en couple. On a vécu ensemble que par intermittence. On est pas mariés. On est libres d’avoir d’autres partenaires. Et même si on se dispute en permanence et si on se quitte presque une fois par jour, nous ne pouvons pas vivre l’un sans l’autre. C’est la seule, malgré les quelques aventures un peu plus sérieuses que j’ai pu avoir, que j’ai désignée comme ma légataire il y a un peu plus de deux ans. C’est la seule qui me voit tel que je suis vraiment. Elle est ma compagne cosmique. C’est elle. L’unique. Jusque dans la mort.
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J’ai vraiment merdé avec Patricia, tu sais, et dans les grandes largeurs.
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On avait dîné en tête à tête et elle m’avait invité chez elle. On avait débouché une bouteille de bordeaux et nos vêtements avaient rapidement volé aux quatre coins de l’appart. Une baise d’enfer. C’était aussi hard qu’avec Nico mais avec des pauses plus tendres, avec une dimension spirituelle, du sexe à la bougie façon messe noire. La tête de loup, emblème de la lignée de chamans irlandais dont Patricia dit descendre, lui allait mieux qu’une tunique de druidesse, car au pieu, c’était une putain de vraie louve. On était des bêtes, on baisait jusqu’à l’épuisement. Elle s’empalait sur ma queue et me chevauchait en la tenant bien droite pour l’enfoncer au plus profond de ses entrailles. Ride the snake. Ses lèvres se dessoudaient presque jamais des miennes, elle aspirait mon souffle, elle suçait mon âme jusqu’à l’os. Elle aimait que je la prenne à quatre pattes. Son cul ondulait avec fureur autour de ma bite. Elle psalmodiait des incantations celtiques pendant que je la défonçais. Plus elle murmurait dans cette langue archaïque, plus nos corps et nos esprits régressaient sur l’échelle du règne animal. Je lui écartais les fesses pour la pourfendre, lui donnant des coups de bélier médiéval toujours plus violents, la baisant et l’enculant indistinctement. On était plus nous. On était plus humains. On prenait un pied de damnés.
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Je me suis planté face aux spectateurs et j’ai posé mes deux mains sur la boucle de mon ceinturon et j’ai commencé à jouer avec. « Pas de règles, aucune limite ! Allez, tout le monde à poil ! » J’ai marqué un temps de silence sous les cris hystériques du public. « Vous voulez voir ma queue ? » j’ai fait. La foule a rugi et j’ai déboutonné mon ceinturon et tout a basculé.
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Tu vois, c’est pas étonnant que j’aie passé mon temps à pousser les limites et à défier l’autorité, surtout celle des flics et de la loi. C’était qu’une manière pour le petit James Douglas Morrison de continuer d’essayer d’attirer l’attention sur lui et d’être aimé. C’est con, je te l’accorde, c’est débile, et pourtant, pas besoin de faire dix ans d’analyse pour le comprendre.
Tout ça me dit pas ce que je vais bien pouvoir faire de moi. Ce qui est certain, c’est que je vais pas rentrer tout de suite aux Etats-Unis, je ne suis pas encore prêt, même si je pense de plus en plus à revenir à la musique. Ma poésie et mon écriture sont liées aux Doors et les Doors sont liés à mes textes. J’ai encore quelques portes à ouvrir avec Ray et les autres. C’est mon truc en fait, la matrice de mon écriture.
Jim Morrison et Pamela Courson copyright Michael Ochs Archives
Jim, Harold Cobert, éditions PLON 16,90 €