Extrait choisi :
[...]
Le cauchemar ne s’arrête pas là :
Ça dure des heures et des heures.
Des jours et des jours.
Ils entrent, ils sortent. Ils lui donnent à boire et à manger pour qu’il tienne le coup. Ils le traînent au ruisseau et le ramènent. Ils l’obligent à faire des exercices, des pompes, des tractions, des flexions. Ils posent des dizaines de questions sur lui, le mouvement, les porte-valises. Ils lui demandent des noms, des adresses. En français, en espagnol. Le plus souvent en espagnol. Jamais en basque. Le chef joue le rôle du méchant. Le cagoulé qui pue l’après-rasage, celui du gentil. Ils le contraignent à signer des papiers que Crâne rasé est dans l’incapacité de lire tant les hématomes sur ses paupières sont volumineux et douloureux. Ils prétendent le libérer bientôt, puis le frappent encore. Ils simulent une exécution. Ils lui détachent les mains, lui enfilent de force un sac-poubelle sur la tête. Crâne rasé déchire le plastique avec les ongles pour ne pas s’étouffer. Il ne sait même plus ce qu’il fait là. Il ignore totalement ce que les cagoulés attendent de lui.
Ils recommencent.
Une fois, deux fois, dix fois.
Ils enfilent, il déchire. Ils enfilent, il déchire. Et ainsi de suite jusqu’à ce que le chef lui mette un rouleau de sacs entre les mains pour lui signifier qu’ils en ont un stock. Leur petit jeu est sans fin.
A nouveau. Une fois. Deux. Dix.
Ils enfilent, il déchire. Ils enfilent. Il déchire. Jusqu’à épuisement. Ses bras tombent le long de son corps. Sa tête bascule sur le côté. Ses muscles sont mous. Ils le retiennent de justesse. Ils retirent le sac.
Ses yeux sont vitreux.
Crâne rasé ne respire plus.
C’est à leur tour de paniquer.
Les cinq hommes ôtent leurs cagoules à l’unisson et redeviennent ce qu’ils sont vraiment.
Le sale travail est terminé.
Ils sont aux petits soins. Ils pratiquent le bouche-à-bouche et le massage cardiaque. Leurs gestes sont précis et ordonnés. Le chef réclame en espagnol qu’on lui apporte la trousse de secours. Celui qui sent le tabac se précipite jusqu’au véhicule. Quand il revient, un défibrillateur dans les mains, les autres ont dénudé la poitrine du jeune homme à terre et retiré les menottes. Des gouttes de sueur perlent sur leur front et les tempes du chef. Il arrache le plastique et place les électrodes sur le côté droit de sa poitrine et sous son aisselle gauche, puis il donne l’ordre à tout le monde de reculer. L’appareil charge, une sonnerie retentit, le corps encaisse le choc électrique. Toujours aucun pouls. Ils reprennent le massage cardiaque et la respiration artificielle.
Le cœur ne repart pas.
Ils remettent ça. Ils ne doivent surtout pas le perdre.
Ils n’ont pas le droit de le perdre.
- C’est fichu, murmure l’un d’entre eux.
Le chef hurle :
- ¡ Cállate !
[...]
Résumé
Iban Urtiz, journaliste à Lurrama, est envoyé à une conférence de presse sur la disparition de Jokin Sasko. On le menacera bientôt de garder ses distances ou de prendre position, il n’est pas Basque. Où est la vérité ? Qui a tort ou qui a raison ? A qui peut-il se fier ?
Avis
L’homme qui a vu l’homme est une chronique sociale où des personnages tourmentés évoluent dans un bourbier noir hanté par un disparu.
En 464 pages, Marin Ledun réussit à instaurer un climat de doutes, de peurs et de rages qui ne s’estompera pas même à la naissance d’une aventure amoureuse. En qui avoir confiance ? Qui dit vrai ? A qui profite la disparition de Jokin Sasko ? A quelles lois obéissent les habitants de cette région ? Faut-il être issu de parents basques pour pouvoir y vivre ? Existe-t-il des polices parallèles françaises ou espagnoles, organisées en commandos ? Mais alors, qui les finance ? Existe-t-il des journalistes capables de franchir la ligne rouge pour découvrir LA vérité ? Ont-ils ensuite la possibilité de l’offrir au public ? La République aurait-elle le pouvoir de fabriquer l’Histoire, d’interdire la diffusion d’informations ?
J’ai refermé ce livre depuis plusieurs jours et je me demande encore si cette fiction racontée par Marin Ledun n’est pas la vraie histoire. Qui sait ?
Quoi qu’il en soit, L’homme qui a vu l’homme est un roman envoûtant et choquant. Bravo et merci pour cette intelligence créative, Monsieur ! Avoir l’œil encore plus aiguisé sur le monde qui m’entoure après avoir passé un très bon moment de lecture, j’aime. Mieux, J’AIME. Vous êtes vraiment un GRAND écrivain.
L’homme qui a vu l’homme est inspiré de faits réels qui se sont déroulés au pays basque.
Le 18 avril 2009, Jon Anza disparaît après qu’il ait pris un train à Bayonne pour se rendre à Toulouse. En mars 2010, ses proches retrouvent son corps dans une morgue toulousaine. Jon Anza avait été pris en charge par le SAMU dès le 29 avril 2009 à minuit. Ni la police qui enquêtait ni l’hôpital n’ont prévenu ses proches.
L’homme qui a vu l’homme, Marin Ledun, éditions Ombres Noires. 464 pages 18 €
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