Canesi & Rahmani, respectivement originaires de Corse et d’Algérie, exercent en hôpital. Cet univers inspire la plupart de leurs romans. Après leur très beau roman Alger sans Mozart paru en 2012, les deux écrivains nous offrent une étrange histoire de famille : SIAMOISES.
EXTRAIT CHOISI :
Maman vient dormir dans ma chambre, elle dépose un matelas en mousse au pied de mon lit, je l’entends renifler.
- Pourquoi es-tu venue ?
- Pour rester avec toi, pour que tu ne te sentes pas trop seule.
C’est papa qui doit se sentir seul là-haut. Pourquoi n’est-elle pas avec lui ? Bientôt, Sophie vient nous rejoindre. Elle se glisse dans mon lit. Je surveille leur respiration. Maman ne renifle plus, elle doit dormir, Sophie aussi. Je regarde l’heure sur mon réveil Mickey, une heure et demie. Je me lève doucement, sans faire de bruit, j’enjambe la tête de lit et grimpe au premier, maman a encore fermé la chambre, la clé est toujours cachée sous le tapis. J’entre, ça pique encore un peu, j’ouvre la fenêtre. Il fait clair, la lune brille, elle éclaire papa. Il est allongé les bras croisés sur le ventre, je m’approche de lui, il sourit. Mon petit papa, je suis là, je ne t’abandonne pas, moi. Je m’allonge contre lui, je lui caresse les mains, les cheveux, j’aime ses mains pleines de poils et ses cheveux noirs et blancs. Poivre et sel, dit maman. Je l’embrasse sur les joues. Il pique, sa barbe a poussé.
Il n’est pas mort !
Il fait peut-être semblant de dormir.
Je t’aime, mon papa, tu es glacé, il faut que je te réchauffe, l’air du dehors est froid, je te frotte les jambes, les bras, j’enlève tes pantoufles et tes chaussettes, j’entoure tes pieds avec les miens. Je caresse encore tes cheveux, tu fais pareil quand tu me réveilles le matin, tu vas peut-être te réveiller aussi.
Tu es à moi, je défais les boutons de ta chemise, je touche ton ventre, ta poitrine, c’est doux. Je baisse la fermeture éclair de ton pantalon. La grosse dame t’a mis un caleçon de soie bleue.
Un oiseau chante, maman dit que c’est un rossignol, d’habitude il chante le printemps. Il est amoureux d’une rose ; moi aussi je t’aime, papa, je vais t’embrasser partout en chantant.
Je fredonne À la claire fontaine.
Tu ne respires plus, si je te faisais respirer, peut-être que tu te réveillerais ?
Tu as plein de coton dans la bouche, il faut le retirer, voilà, je mets mes lèvres sur les tiennes et je souffle, comme j’ai vu faire le docteur cet après-midi. Allez mon papa, respire s’il te plaît…
Tu ne veux pas respirer.
Je suis fatiguée, j’ai sommeil, je vais dormir sur ton épaule et demain on se réveillera tous les deux.
Maman m’a trouvée dans tes bras, entortillée dans le couvre-lit, elle a dit : « Oh, mon Dieu ! » en m’arrachant à toi.
Axelle Laffont évoque SIAMOISES, clip d\’Edouard Molinaro
MON AVIS :
Que j’aime retrouver l’écriture de CANESI & RAHMANI ! Leur jeu est si parfait qu’il est impossible de distinguer les raccords. Car, pour écrire à quatre mains deux têtes, il faut bien qu’un écrivain cède la place à l’autre et enchaîne l’histoire sans vouloir imposer son propre style. Or, je le répète, aucune différence n’est visible. Le tempo est juste, de la première page à la dernière, aucun mot n’est superflu. Quel travail d’orfèvre pour ce thriller psychologique !
A la suite de la mort brutale du père, Sophie trouve le réconfort auprès de sa sœur, Marie. A moins que ce ne soit l’inverse. Toutes les deux deviennent inséparables. La jolie mère dépressive retrouve la joie de vivre entre les bras d’un beau-père beaucoup trop affectueux pour être honnête.
De page en page, CANESI & RAHMANI entraînent le lecteur dans le sillage de Marie qui vit dans la terreur d’être séparée de sa sœur Sophie, comme ces deux petites siamoises Marocaines à qui on fait subir une opération pour les libérer l’une de l’autre.
Devenues adultes, chacune a choisi deux métiers différents. L’une est thanatopracteur, l’autre médecin anesthésiste. Depuis l’enfance, leur monde oscille sans cesse entre le rêve et la réalité jusqu’à la bascule finale dès lors que Marie disparaît après avoir annoncé qu’elle partait en vacances. Sophie est de plus en plus inquiète au fil des jours, elle ne peut pas vivre dans Marie. Le silence de sa sœur n’est pas normal, il se passe quelque chose. Mais quoi ?
Qui détient la vérité dans cette histoire ? Qui peut aider Sophie ? Ou Marie ?
SIAMOISES m’a rappelée certaines scènes de Lolita, Vol au-dessus d’un nid de coucou, Arizona Dream, Shutter Island… mais c’est surtout, grâce aux deux écrivains, une très belle histoire.
Ensoleillé et glauque, cruel et féérique, SIAMOISES devrait étonner et ravir plus d’un lecteur. Reste que ce thriller psychologique envoûtant pose une terrible question : à quel moment l’aidant - quel qu’il soit - doit stopper ses « soins » pour le bien-être de l’aidé ?
SIAMOISES, CANESI & RAHMANI, éditions NAÏVE 288 pages 20 €
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