J’ai mis mon orgasme en conserve dans un petit pot en verre. Chose plus facile à dire qu’à faire, qui m’a pris plus d’une demi-heure, en respectant scrupuleusement la procédure et en utilisant le siphon, la poire de caoutchouc et tous les autres instruments stériles qu’on m’avait remis avec un formulaire de consentement que je devais remplir et signer. Je leur ai ensuite remis mon petit pot de verre rempli par mon orgasme aux reflets opalescents et ils l’ont caché dans la sacristie, entre le vin de messe et l’eau bénite, complètement au fond du placard.
Ils m’ont bien fait comprendre qu’il devait rester là, bien caché, en sureté, et que personne ne le remarquerait.
Ils m’ont ensuite expliqué que tant que mon orgasme resterait en conserve, je vivrai éternellement, dans une jeunesse immuable, inaltérable. Pour un instant, je me suis demandé s’il était sage de confier un orgasme de si bonne qualité à des individus qui – en théorie, du moins – ont une méfiance, voire une haine de la jouissance physique, mais ils étaient si convaincants, ils regardaient mon petit pot de verre avec des regards remplis de tant de bonté… Et puis, pour être bien honnête, qu’aurais-je bien pu faire avec cet orgasme, maintenant qu’il était cuit et mis en conserve ? Il ne me serait plus d’aucune utilité tant qu’il restait là, sous le couvercle hermétiquement scellé.
Ils m’ont assurée que je pourrais à tout moment revenir le chercher, si jamais je changeais d’avis. Ne plus sentir l’horrible fardeau du temps qui brise mes épaules et me penche vers la terre vaut bien ce petit sacrifice de rien du tout, non? D’ailleurs, nous sommes au Québec, ce n’est pas comme si on allait se mettre à incendier les églises du jour au lendemain.
N’empêche, quand je l’ai vu pour la dernière fois sa lueur irisée, je me suis demandé si j’avais fait le bon choix.