Après l’explosion de la bulle économique, fin 1990, le Japon communie dans l’amour des “honyû idol”, playmates à l’aspect maternel. Ce goût pour les seins gonflés perdure-t-il ? En décembre 2019, il était possible de recevoir la tétée d'une star virtuelle.
Au début de l’année 2005, le nouveau produit à la mode sur le marché du «bust-up» se nomme B2Up. La boite de 50 chewing gums coûte 5600 yens et le mode d’emploi précise qu’il faut en macher entre trois et quatre par jours pour bénéficier des effets «positifs» de l’extrait de plante Pueraria Mirifica dont ils sont composés. Alors que la crise sévit, chaque mois, de nouveaux produits relancent la mamelle-mania : thé aux isoflavones, crèmes aux hormones de croissance, gels de massage dopants, soutien-gorges utilisant les radiations atmosphériques et les ondes ultrasoniques pour augmenter le volume des poitrines… Les hônyû idol sont également appelées mochiri, parce que la pate blanche du riz pilé (mochi) – quand on la fait cuire – se met à gonfler jusqu’à l’explosion. Les mots qui désignent les seins au Japon font d’ailleurs allusion à des seins remplis de «lait» (nyû) : bakunyû (seins explosifs, prêts à déborder, 爆乳), kyonyû (seins géants, 巨乳), hônyû (seins riches, 豊乳), binyû (beaux seins, 美乳)… Quant au mot «poitrine» (oppai, オッパイ), il n’est lui-même pas sans évoquer l’allaitement du nourrisson, avec sa connotation légèrement infantile de «nénés».
La tendance oppai ga ippai («plein de seins»)
Le phénomène de mode génère d’étranges offres de service. En 2003, au plus fort de l’oppai ga Ippai – la tendance «plein de seins» - de nombreuses vidéos montrent des femmes qui pressent leurs seins pour en faire gicler du lait. Des magazines se spécialisent dans les pin-ups qui se têtent elles-mêmes. Les couvertures de mangas amateurs s’ornent de jeunes filles juchées au sommet de leurs seins, transformés en colline ou en ballons de silicone, aux tétons dilatés comme des lances à lait. Le fantasme de l’éjaculation mammaire se répercute à la télévision : les speakerines, choisies au tour de poitrine, et désormais nommées kyonyû joshi-ana (présentatrices TV à gros seins), annoncent des émissions au caractère de plus en plus outrancier. Eiko Koike et Megumi – les superstars de l’agence Yellow Cab, spécialisée dans les honyû idol – doivent affronter les animateurs de talk-show surexcités qui les assaillent de plaisanteries douteuses : «Faites-vous du beurre avec vos seins ?».
Faire du café au lait humain
Paradise TV, une chaîne du cable pour adultes, lance un concours national de la meilleure allaiteuse. L’émission s’intitule Bonyû Mama-san Daishûgô Bonyû Matsuri : «Le grand rassemblement des mamans qui allaitent au sein. La fête de l’allaitement». Les quatre candidates au titre de championne, âgées de 21-28 ans, gonflées d’espérance, doivent tout d’abord devant les caméras vider leurs glandes galactophores jusqu’à la dernière goutte. La seconde épreuve consiste à faire un expresso avec son propre lait. L’expresso le plus mousseux est classé N°1. Quant à la dernière épreuve, elle consiste à allaiter de jeunes hommes. Le premier qui jouit désigne la gagnante.
Le combat des bonnets
A Osaka, l’établissement Misoji n’a pas attendu cette émission pour offrir le même service à ses clients : dès 2002, ils peuvent boire le lait à la source. Les hôtesses qui travaillent à Misoji offrent donc l’allaitement tarifé, et pour ceux qui préfèrent déguster dans un verre, elles extraient le liquide garanti 100% frais. A Osaka, une des villes les plus excessives (voire underground) du pays, les clubs ne reculent devant aucune faute de goût pour appâter la clientèle. En 2005, comme par réaction à tant d’excès, la balance semble s’inverser. Les hinnyû (petits seins 貧乳) reviennent timidement à la mode. Sur Nihon TV, la série dramatique Gokusen, dans laquelle joue une des plus plates poitrines du Japon – Yukie Nakama (78-59-80) – bat le record d’audience, inaugurant peut-être un retour aux ex-aequo. Hinnyû contre bakunyû. Le combat des bonnets ne fait que commencer.
Une décennie passe. Quel bilan ?
Dix ans après le début du phénomène – dans un contexte de crise qui perdure – il semble que les gros seins restent une valeur sûre : récemment, le fan d’une star virtuelle débourse plus de 8000 euros (un million de yens) afin de pouvoir téter son lait en réalité virtuelle.
La suite au prochain article.
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Cet article fait partie d’un dossier : « Un chewing gum qui fait grossir les seins ? » ; « Faire l’expérience d’un allaitement virtuel ? »
ILLSTRATION : image prise sur la vidéo YouTube (Maa Channeru) de l’influenceuse japonaise Masami, intitulée «Vous êtes plutôt “petits seins» ? «Gros seins» ? Le chemin qui mène aux seins géants« (anata wa hinnyû-ha ? Kyonyû-ha ? Hônyû e no michi. 24 avril 2019.