Ce matin, je lisais le dernier numéro du magazine Paulette, hyper bien fait, dont le thème est l’ivresse de vivre. Les articles font référence à cette génération, dite Y, ou encore les Millennials.
Ma génération, celle qui est née avec le chômage et Internet, celle qui crée son propre emploi, celle qui essaye de trouver sa place, celle qui vit avec la possibilité d’un attentat à chaque verre en terrasse.
J’aime faire partie de cette génération. J’aime cet entre-deux dans lequel nous sommes, à chercher notre place tout le temps. C’est peut-être mon remède à la routine, mon remède à l’ennui.
Un des articles fait référence à cette génération qui s’enivre, qui se came, qui cherche le temps d’une nuit, le temps d’une soirée à flotter dans un autre monde. Alors ça m’a rappelé une période de mon passé pas si lointain, et j’ai eu envie de le raconter ici.
Je n’en ai quasi jamais parlé. À peine à une ou deux personnes. Pas des très proches. Je ne sais pas si c’est parce que je n’assume pas ou parce que j’ai peur qu’on me juge. Ceux qui savent l’ont fait, me juger. L’espace d’un instant, leur regard sur moi a changé. Ça s’est vu, un léger blanc, une ombre sur le regard et le cerveau qui se demande si c’est bien vrai.
Ça semble ne pas coller avec moi et pourtant si, tellement. C’est tellement moi, ce côté borderline, que je cache, derrière mon métier, derrière ma bouille ronde, derrière ces cheveux d’ange.
Je me souviens très bien la première fois. Jusque là, j’étais un peu naïve. Je pensais pas que ça se trouvait si facilement, cette poudre blanche. Que c’était si répandu autour de nous. J’ignorais son goût, sa texture, son effet, son odeur. J’ignorais ses pouvoirs.
La première fois, c’était juste pour un délire. Du champagne, des fraises, de la coke, une nuit entière de sexe. Parce que j’appris à cette occasion que cela permet une endurance pour les hommes assez incroyable.
Le truc qui m’a frappé pour cette première expérience, c’est cette impression que mon thorax était trop petit pour mes poumons.
J’ai tout ressenti puissance mille, chaque respiration, chaque caresse, chaque once de désir, chaque orgasme.
Et puis il y a eu une longue période où cette poudre blanche a redisparu de ma vie. Puis je ne sais pas comment elle est revenue à la maison. Occasionnellement d’abord, sans que je m’en rende vraiment compte. Au début à mon insu, puis les gestes ne trompent pas. Ceux qui consomment sont plein de tocs, se trahissent.
J’y ai regoûté. J’ai apprécié. Tout est prétexte à un rail. Une dure journée, une grosse soirée à venir. Parce que la coke empêche d’être complètement ivre, parce que la coke te permet de te coucher à 8 h du matin sans problème et sans trop de gueule de bois. Parce que la descente est moins violente qu’avec les autres et même qu’avec l’alcool.
C’est occasionnel, juste pour les vraiment très grosses soirées. Puis ça devient aussi nécessaire pour les grosses soirées, puis juste pour les soirées normales. Et puis pourquoi pas la journée, aussi, histoire de rendre l’existence plus douce. Tu t’en rends compte quand tous tes tickets de CB sont roulés, que des cartes de fidélité jonchent le bar, la table basse, la table de nuit.
Tu t’en rends compte quand tu angoisses à l’idée d’une soirée sans. Comment tu vas gérer la fatigue, comment tu vas gérer l’alcool. C’est ce qui m’a alerté. Le fait d’avoir besoin de savoir s’il y en aura pour la soirée à venir. Ne pas avoir envie de sortir s’il y en a pas.
J’ai décidé ce jour-là que c’était la dernière fois. L’étape suivante aurait été le quotidien, le travail et puis la dépendance. La coke a cette subtilité. La dépendance n’est pas physique, la dépendance se crée du fait de sentiment de puissance qu’elle impose. Elle vous rend résistant. À la fatigue, au stress, à l’alcool, à la dure réalité.
J’ai décidé que je ne voulais plus en voir chez nous. J’ai décidé que je n’en prendrais plus. J’ai testé, j’ai aimé, j’ai vu le danger. Le danger est trop grand, j’ai trop aimé ça pour prendre le risque d’y retourner.
(cc) Elad Rahmin
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