Le lundi 6 novembre 2017 a été diffusée sur France 2, dans l’émission Stupéfiant, une interview de la réalisatrice Sara Forestier. L’interview a fait sensation : pour illustrer sa lassitude de l’injonction faite aux femmes de se rendre “présentable”, elle s’est présentée face nue et sans brushing. Mais attention ! Elle aime bien son petit rouge à lèvres, juste qu’elle n’a pas envie d’en même à chaque fois qu’elle doit se présenter en public et encore plus sous les projecteurs.
Si elle s’est faite tancer par des personnalités telles que Raphaël Einthoven, ce discours résonne en moi. En effet, en tant qu’autiste, je considère que je porte déjà un masque tous les matins ne serait-ce qu’en fermant la porte de mon appartement à clé. Je ne me maquille que rarement (maladie, deuil, chagrin, soirée un peu huppée, représentation avec mon orchestre, etc.) et je vis mal les jours où je me maquille.
En parallèle de la grande poussée d’empouvoirement féministe qu’est la campagne de dénonciations de crimes sexuels dans le milieu du cinéma hollywoodien depuis le mois de septembre, d’autres combats se sont agrégés à cette prise de parole. Que ce soit pour l’apprentissage de la sexualité et de ses conséquences, les violences faites aux femmes ou l’injonction de bonne tenue graphique qui leur est faite par les différentes sociétés humaines, si la parole contradictoire est encore réprimée de manière parfois violente, elle a le mérite de prendre enfin de l’ampleur sur le plan médiatique.
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Vivre en société nous impose de revêtir un masque qui est plus ou moins visible selon la valeur dont nous pensons être tributaires. Pour les personnes de sexe féminin, ce masque est tellement imposant qu’il empêche parfois la propriétaire de respirer. C’est en cela que j’ai aimé l’intervention de Sara Forestier, même si le masque qu’elle portait lors de l’interview était aussi visible que la Muraille de Chine vue de l’espace.
Pourquoi refusons-nous tous tellement de voir la personnalité des autres à nu que les sociétés humaines imposent ainsi ces masques ? Pourquoi le masque que porte toute femme est si énorme qu’il invisibilise toute forme de parole qu’elle prend ?
À titre personnel, je ne suis même pas certaine que le masque que nous portons tous, nous le portions de manière consciente. J’ai mis 25 ans à en avoir conscience. Habituellement, cette prise de conscience vient avec l’adolescence et la formation dudit masque. C’est en effet à cette période, après les premiers essais de sociabilisation liées à l’enfance, que nous formons tous notre masque pour avancer dans cette société. Enfin, c’est ce que nous croyons : il est fort possible que ce soit la société même qui fabrique notre masque afin de nous aider à nous y intégrer. De plus en plus pourtant, ces masques fabriqués, il arrive qu’il ne nous convienne jamais.
D’où la dénonciation de ces injonctions à la bonne qualité graphique pour les femmes. Une femme sera toujours mieux écoutée dès lors qu’elle aura le bon tailleur, les bonnes chaussures, la bonne forme de sourcil, pas de moustache et le maquillage à la fois discret et assez apparent pour cacher la misère. Ca fait beaucoup d’un coup. Trop. Le masque d’une femme en devient tellement imposant qu’il ne lui reste plus qu’à sourire, faute de pouvoir s’exprimer.
Quand un pan de la société essaie de détricoter une manœuvre sociétale, que ce soit la dénonciation et la volonté d’abolition de systèmes financiers ou de faits ancestraux concernant les rapports humains, on dit pour les élites de ce système que le masque tombe. Obligées d’avancer à nu, donc faibles, dans l’attente d’un autre masque, les personnes sont alors soumises à une sorte de vindicte populaire qui attend que l’ennemi désigné sorte sans masque pour l’invisibiliser par la mort sociale ou réelle.
Or cette mise à nu est nécessaire pour nous tous, que nous ayons une dimension vertueuse ou vicieuse dans la société. Mon souhait utopique de société serait que nous avancions tous sans masque, en ne présentant que notre personnalité comme seul bagage graphique. Nous ne chercherions pas à correspondre à ce masque dont la société nous revêt.
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Bref, maquillons-nous, ne nous épilons pas, mais questionnons constamment ce masque que nous portons. Correspond-il à nos aspirations ? Que faisons-nous pour ce faire ?
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