NDLR : Ceci est le quatrième numéro de la série Bouillon de Kub’Ture initiée par Storia Giovanna.
Un jour de désœuvrement comme aujourd’hui, je suis tombée sur cette vidéo du vidéaste Links The Sun :
Cet épisode de la capsule Non mais t’as vu ce que t’écoutes ? est un vrai concentré de ce que j’aime en termes de critique culturelle : elle invite à interroger ses propres goûts en même temps que celui de ses détracteurs.
Je suis ravie que Links The Sun – qui a la large tendance à défoncer avec force argumentation tout ce qu’il trouve problématique dans la musique – en vienne à faire ce genre de vidéo.
Lui-même a dû s’interroger sur le succès des musiques dont il démonte les mécanismes qui lui semblent grossiers, et il en est venu à la conclusion que les personnes qui aiment la musique qu’il déteste ont des arguments bien plus construits que les siens.
Le succès de ce qu’on déteste dans l’art ou la vie quotidienne paraît toujours incompréhensible, si bien qu’on en vient généralement à stigmatiser la partie de la population réceptive à cet objet d’art ou de la vie quotidienne, bien qu’on puisse partager d’autres sensibilités ou les mêmes valeurs de vie. Pire, l’argumentation contraire fait que l’on cantonne la personne réceptive dans des traits figés qui sont difficiles à défaire.
Dire C’est de la merde et les gens qui aiment ça sont cons est la pire des choses que quiconque s’intéresse à l’art et au goût puisse faire.
Travailler avec des adolescents – masse influente dans la culture s’il en est – me permet constamment de revoir mes grilles de lecture en matière de culture. Je vois également les efforts du Mari et des professeurs que je côtoie pour faire aimer des choses qui ne sont pas en accord avec le goût, la culture ou l’environnement de leurs élèves.
Le dernier exemple en date que j’ai trouvé à ce propos est l’institutrice de la classe de maternelle où se trouve mon neveu, qui leur sort une compilation par trimestre avec non seulement de la musique classique et des chansons pour enfants, mais également du Neil Young, du Dick Annegarn et du Nirvana.
Je visualise si ma maîtresse de maternelle, au lieu du Mannick et du Henri Dès, m’avait fait écouter les Beatles et Elvis…
À ce titre, ce qui était positif avec les débuts du rap et de la musique électronique, c’est qu’il y avait une recherche de sens pour les auditeurs lambda envers ses racines (soul, jazz, etc). Je suis encore idéaliste quant à la formation que chacun se fait de son propre goût.
Par exemple, dans mon projet de formation idéale, et si je reprenais comme Links The Sun l’exemple de Jul, j’aimerais qu’un amateur de ses textes s’intéresse de même à des personnes comme IAM, Marcel Pagnol, TTC, ou alors à la culture prolétaire spécifique au Sud-Est de la France.
Car oui, je n’aime pas Jul, parce que j’estime que j’ai le cerveau qui fond à chaque fois que j’écoute ne serait-ce que 30 secondes d’une chanson. Mais j’admire le fait qu’il puisse tout faire tout seul et qu’il s’ancre dans un background culturel riche.
Le goût se forme, et entrevoir la possibilité que notre propre goût puisse avoir des racines insoupçonnées ou nous ouvrir d’autres portes culturelles nous permet de ne jamais se laisser cantonner aux préjugés auxquels notre goût nous fixent.
Ne restons jamais passifs de notre goût, passons notre temps à analyser ce que nous aimons comme ce que nous détestons. C’est à ce prix que nous serons aptes à argumenter sur tout et sur rien avec la rhétorique adéquate.
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