Du 21 septembre 2016 au 23 janvier 2017, le Centre Pompidou a rendu hommage à Magritte, dans une rétrospective La trahison des images. J’ai aimé.
Magritte, illustrateur publicitaire et artiste peintre, a su mettre en image les mots, transfigurer les images, donner sens aux mots, jouer avec les contresens et surtout tout mettre sens dessus-dessous.
Rares sont les rétrospectives qui lui ont été consacrées car beaucoup de ses œuvres appartiennent à des collections privées. En 2016, le Centre Pompidou à Paris organise une nouvelle exposition réunissant des collections publiques et privées.
Les symboles, Magritte en distille dans chacune de ses toiles, de façon répétitive, redondante, presque obsessionnelle. Ainsi, le grelot qu’on croit reconnaître ici et là comme la métaphore des neurones se transforme au détour d’une autre toile comme un reflet indécis qui nous fait revenir à la case départ. Le ciel et les nuages sont d’un côté le décor au-dehors, parfois la matière en dedans. Un reflet sur un miroir peut être une vitre à travers de laquelle le regard ne sait plus s’il est tourné vers l’intérieur ou l’extérieur. Le rideau se dévoile ou cache avant devenir lui-même le sujet des regards, mis en scène dans un cadre accolé à celui du nuage…
Depuis que j’ai découvert Magritte, je m’amuse à chaque fois à essayer d’en décrypter entre autres les symboles : vaut-il mieux se fier aux mots ou aux images pour faire sens ? Un mot doit-il aider à comprendre le sens à donner à une image ou peut-il en détourner le sens profond pour servir une autre interprétation ? Peut-on parler de trahison des images ?
Car si on envisage le fait même qu’il peut y avoir trahison, c’est que la réalité à laquelle on s’attendait a été trahie, déviée de son sens (encore faut-il en avoir le bon), mais il semble que Magritte aime à suivre plusieurs pistes et ouvrir ainsi à plusieurs vérités… Où serait donc la trahison ?
Ce qui caractérise aussi l’œuvre de Magritte, ce sont les personnages scénarisés et qu’on croise au gré des tableaux : ainsi l’image de sa mère s’invite dans les toiles faisant allusion à sa disparition. La femme voilée. S’agit-il de représenter le suicide de sa mère portant son linceul, la pudeur de sa compagne ou une femme dont il protègerait l’identité ? L’ambiguïté semble s’infiltrer comme laisser un doute. Il ne s’agit pas d’exorciser la mort d’un proche, mais là encore de poser une énigme… Celle de l’identité et de l’anonymat, de ce qui est dévoilé ou caché, un niveau de vérité à deviner…
Magritte, comme toujours, même sur un sujet aussi délicat, ne dévoile pas sa vérité, il ouvre à l’interrogation, et joue entre l’image de la mère, la femme, l’épouse… Laquelle se cache, se dévoile, se dénude ou se met à nu ?
Une transition pour présenter un autre personnage omniprésent dans les toiles de Magritte, son épouse qui aura posé et travaillé avec l’artiste, comme une complice, une muse réelle, imaginaire, dessinée, peinte ou photographiée… Existant sur plusieurs niveaux de réalités, mais toujours présente. Elle est tout autant le modèle personnifié que l’objet du désir de tout homme, une réflexion plus large sur la place des femmes sur la toile, dans la créativité de l’artiste, dans la vie de l’homme, et plus largement dans la création du monde. La femme est donc porteuse d’un message qu’il soit écrit ou visuel, et au-delà d’un symbole, elle semble représenter tout un pendant de réflexion et de création.
Objet de désir, icône sacrée, ou complice amoureuse, la femme est au centre de son œuvre.
Également, Magritte se met en scène, lui l’homme, l’artiste, et le modèle… On trouve des autoportraits, Magritte reconnaissable par ses traits, ses caractéristiques propres, qui se démultiplie parfois jusqu’à l’infini, jusqu’à perdre sa propre identité, il devient l’autre, les autres hommes, tous les hommes. C’est le Sinnerman, l’homme au chapeau melon, l’homme sans identité, les Mr Doe dans lesquels chaque homme peut se reconnaître…
Personnellement, ce personnage qui se répète pourrait être le pendant d’Arman avec ses accumulations d’objets du quotidien mêlé à l’œuvre cinématographique de Spike Jonze avec son film Dans la peau de John Malkovich, Magritte accumulant l’homme singulier pour le perdre dans la masse. Une accumulation de personnages anonymes dans une société de consommation et où chacun est interchangeable jusqu’à la névrose, l’effacement du Moi.
Magritte, tout comme David Lynch au cinéma, semble vouloir inviter chacun à s’interroger en profondeur sur le sens même du mot « exister » pour qu’émerge le Moi. Est-ce ce que Magritte souhaite encourager à travers son œuvre ? Inviter celui qui regarde au questionnement ? Explorer les méandres d’un cerveau soumis au doute ? Se dévoiler à soi-même en dépassant ce qui est caché au fond de soi, derrière un rideau, en regardant à travers une fenêtre (que représente le monde extérieur qu’on observe tout en menant une réflexion sur son for intérieur) ? Quelle vérité dévoiler ou cacher ?
Ce n’est peut-être pas la réponse qui compte, car chaque réponse peut ouvrir à plusieurs niveaux de réalités, les images ne trahissent ni les mots ni leur sens. La réalité n’est pas tangible et unique. À chacun de cheminer pour libérer son Moi, et trouver ses propres réponses. L’œuvre de Magritte me semble construite ainsi, comme un parcours dans le Psyché vers une réelle libération intérieure.
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