Il fallait bien que je l’écrive quelque part.
Il n’était pas tard ce soir quand il est arrivé chez moi, c’est vrai je l’ai invité, nous devions construire une cabane de coussins pour que je m’y cache pour digérer mon mal de cœur, pour reposer ma chair meurtrie d’avoir vu l’amour venir et puis partir soudainement ; comme on arracherait la vie à un bien-vaillant.
Il n’était pas tard et nous avions deux heures devant nous, après je devais accueillir des âmes égarées. Mais nous n’avons pas construit de cabane, nous avons parlé pendant deux heures, de tout, de rien, des histoires d’amour et des histoires de cul.
Je lui ai parlé de mon passé tumultueux, des listes que je tenais avec tous ces prénoms dessus, il me parlait de ses listes, de son ex, je lui racontais mon dîner de la veille, quand mon cœur avait éclaté, et qu’il fallait panser, maintenant, les débris créés par la tempête.
Et puis mes âmes égarées ne sont pas venues, elles ont trouvé d’autres chemins. Et il m’a sauté dessus, heureux que nous soyons finalement seuls plus longtemps, il s’est mis à m’embrasser, et je ne disais rien, pétrifiée, je n’ai pas su parler, je l’ai laissé faire, je lui ai rendu ses baisers dans un automatisme qui me dégoûte, dans un état second, accablée par la chaleur je n’ai pas résisté à ses gestes, et pourtant dans ma tête je hurlais “arrête, qu’est-ce que tu fais, regarde-toi, dis-lui non, bordel dis-lui d’arrêter”, comme consentante de ma propre terreur.
Et ça continuait, ses doigts partout où je ne voulais pas. Perdu pour perdu j’ai voulu le faire jouir et vite, qu’on en finisse, que ça cesse, j’ai simulé, mais rien n’est arrivé, et il continuait, il me faisait mal et je ne disais rien, mes mains emprisonnées dans les siennes.
Et puis il a fait trop chaud, il fallait faire une pause, je me suis levée, un instant de répit où j’ai osé dire “stop, je suis fatiguée, je ne peux plus bouger”, la tête contre mon mur, pour me retenir, pour m’empêcher de tomber, il est venu derrière moi en disant “tu n’as pas besoin de bouger”, et il est revenu à la charge, et j’avais mal, et j’étais faible, et je disais “stop” cette fois à haute voix, “stop s’il te plaît”, et il n’arrêtait pas.
Avec ses doigts en moi que j’éloignais, avec sa bouche sur moi et son odeur qui traine encore partout autour de moi. J’ai réussi à le repousser une fois et il est revenu en moi, comme un coup de poignard et j’ai parlé plus fort, et il a entendu, et il s’est retiré.
Mais c’est trop tard, il n’a pas vu, il n’a pas su, pas compris, il pense juste que je ne voulais plus car c’était trop lent, et qu’il faisait trop chaud. Il n’a pas saisi l’ampleur du désastre intérieur, il était juste désolé de ne pas avoir terminé, quand moi j’étais soulagée qu’il enlève enfin ses bras d’autour de moi, qu’il laisse ma chair, qu’il se détache de mon corps rempli de sa sueur. Toutes limites dépassées, toutes frontières bafouées, mon corps qui ne m’appartient plus, mon corps trop usé, harassé.
Et pourtant je ne cesse de me répéter, mon Dieu qu’est-ce que j’ai fait, mon Dieu qu’est-ce qu’il s’est passé. Et je suis seule, seule avec mon envie de vomir, ma peau mille fois lavée sur laquelle son parfum est imprimé, et mon canapé, mes coussins qui ne seront plus d’aucun abris, mes meubles, tout est là posé au milieu de la scène du drame.
Je n’ai pas su dire non, ou j’ai dit non trop tard, et je me sens salie, violée, humiliée, et pourtant comment l’expliquer ?
À lui-même qui n’a pas compris quand j’ai glissé ensuite que je pensais que ça n’avait pas été une bonne idée, et aux autres qui diront que je n’avais pas été assez claire. Et pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi sale.
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